Par Rashid Khalidi, jeudi 30 janvier.
La politique des États-Unis au Moyen-Orient ne peut pas fonctionner parce qu’elle nécessite que les Palestiniens acceptent qu’ils sont un peuple vaincu.
En 1919, Arthur James Balfour, ministre des Affaires étrangères, écrivait qu’en Palestine, le gouvernement britannique ne « proposait même pas de consulter les habitants actuels sur leurs souhaits ». Les grandes puissances étaient converties au sionisme, continuait-il, « et le sionisme, qu’il ait raison ou tort, qu’il soit bon ou mauvais, tire ses racines de traditions séculaires, de besoins actuels, d’espoirs futurs, d’une importance beaucoup plus profonde que les désirs et les préjugés des 700 000 Arabes qui habitent aujourd’hui cette terre ancienne ».
En 2017, le Président Donald Trump reconnaissait Jérusalem comme capitale d’Israël, et déclarait : « Nous avons enlevé Jérusalem de la table, donc on n’a plus besoin d’en parler ». Il a dit à Benjamin Netanyahou : « Vous avez gagné un point, et vous en abandonnerez quelques-uns plus tard dans le cours de la négociation, si jamais elle a lieu ». On a ainsi disposé du centre historique, identitaire, culturel et religieux des Palestiniens sans même faire semblant de leur demander quels étaient leurs souhaits. Puis, en janvier 2020, l’administration Trump a finalement dévoilé son très attendu « deal » – une fois encore sans consultation avec les Palestiniens, la partie la plus directement affectée.
Tout au long du siècle qui sépare ces événements, les grandes puissances ont régulièrement essayé d’agir en dépit des Palestiniens, les ignorant, parlant d’eux par-dessus leurs têtes, ou faisant comme s’ils n’existaient pas. Mais face aux lourds fardeaux qui les accablent, les Palestiniens continuent à faire preuve d’opiniâtreté dans leur capacité à résister aux tentatives faites pour les éliminer politiquement et les disperser aux quatre vents. De fait, plus de 120 ans après le premier congrès sioniste à Bâle et plus de 70 ans après la création d’Israël, le peuple palestinien, représenté ni à l’une ni à l’autre de ces occasions, était censé ne plus avoir aucune sorte de présence nationale. À leur place, il devait y avoir un État juif, non contesté par la société autochtone qu’il devait supplanter.
Et pourtant, aujourd’hui, avec toute sa puissance, ses armes nucléaires et son alliance avec les États-Unis, l’État juif est au moins autant contesté au niveau mondial qu’il l’a toujours été dans le passé. La résistance des Palestiniens, leur ténacité et leur contestation des ambitions d’Israël sont parmi les phénomènes les plus frappants de notre époque.
Alors que la guerre contre la Palestine dure depuis plus de cent ans, les Palestiniens font face à des circonstances plus intimidantes que jamais peut-être depuis 1917, l’année de la déclaration Balfour, une déclaration du gouvernement britannique annonçant son soutien à la création d’un foyer juif national en Palestine. Depuis son élection, Trump a préparé ce qu’il appelle « le deal du siècle », visant délibérément à une résolution définitive du conflit. La conclusion de ce deal a déjà signifié le rejet de ce qui fondait les politiques états-uniennes depuis des décennies, le transfert de la planification stratégique à Israël et un déversement de mépris sur les Palestiniens. L’ambassadeur de Trump en Israël, David Friedman (son avocat lors de sa faillite et un soutien financier de longue date au mouvement juif de colonisation) a malencontreusement parlé de « soi-disant occupation » et exigé que le Département d’État cesse d’utiliser le terme. Dans une interview, il a déclaré qu’Israël avait le « droit » d’annexer « une partie, mais probablement pas l’ensemble, de la Cisjordanie ». Jason Greenblatt, envoyé depuis plus de deux ans pour les négociations Israël-Palestine (anciennement avocat en immobilier de Trump et également donateur aux causes israéliennes d’extrême droite), a déclaré que les implantations en Cisjordanie « ne sont pas un obstacle à la paix », a rejeté le terme d’« occupation » dans une réunion avec les envoyés des États-Unis et soutenu les vues de Friedman concernant l’annexion.
La nouvelle administration a rapidement proclamé une approche « avec intervention de tiers externes », dans laquelle trois des monarchies sunnites du Golfe – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn (souvent décrites à tort comme représentatives des Arabes sunnites) – étaient intégrées dans une alliance de facto avec Israël pour faire face à l’Iran. Le sous-produit de cette configuration était que ces pays et d’autres régimes arabes alliés aux États-Unis étaient encouragés à forcer les Palestiniens à accepter les positions israéliennes maximalistes qui seraient, et apparaissaient comme devant intentionnellement être, fatales à leur cause. Cette initiative a été étroitement coordonnée avec ces régimes, par la médiation de l’envoyé présidentiel extraordinaire Jared Kushner, le gendre de Trump, également un magnat de l’immobilier et un ardent sioniste dont la famille avait également fait des donations pour les colonies juives.
En collusion avec leurs partenaires du Golfe lors d’une conférence en juin 2019 à Bahreïn et dans d’autres lieux, Kushner, Greenblatt et Friedman ont publiquement promu ce qui n’était essentiellement qu’une initiative de développement économique pour la Cisjordanie et la Bande de Gaza, censées fonctionner sous les conditions actuelles d’un contrôle israélien virtuellement total. Kushner a exprimé des doutes quant à la faisabilité d’un régime d’autonomie pour une Palestine indépendante en disant : « Nous verrons ». Il a ajouté, utilisant le langage colonialiste classique : « L’espoir, c’est qu’avec le temps ils puissent devenir capables de gouverner ». Tout ce que les Palestiniens méritaient, selon Kushner, c’était « l’opportunité d’avoir une vie meilleure… l’opportunité de payer leurs hypothèques ». Avec sa solution essentiellement économique, cette troïka a démontré une ignorance remarquable de ce qui fait consensus chez les experts, à savoir que l’économie palestinienne a été étranglée avant tout par l’ingérence systématique de l’occupation militaire israélienne, ingérence que leur plan vise à maintenir.
L’administration Trump a exacerbé cet étranglement économique en coupant l’aide des États-Unis à l’Autorité palestinienne et à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Les États-Unis ont également maintenu, avec l’aide de l’Égypte, leur soutien au blocage israélien de Gaza dont les effets sont désastreux pour plus d’1,8 million de personnes.
L’aspect politique crucial du deal du siècle de Trump a maintenant été révélé. Il consiste en la création d’une entité non contigüe, non souveraine et sans démantèlement d’aucune des colonies illégales israéliennes existantes, qui vont être reconnues, « légalisées » et annexées à Israël, ainsi que la vallée du Jourdain. Cette entité serait démilitarisée et soumise entièrement au contrôle sécuritaire israélien, elle n’aurait ainsi d’État que le nom. Elle n’aurait aucune souveraineté et aucun contrôle sur Jérusalem. Elle serait située dans la Bande de Gaza et les tas de fragments disparates représentant moins de 40 % de la Cisjordanie, et inclurait quelques parties du désert stérile du Negev. Aucun réfugié ne serait autorisé à retourner en Israël, et même leur retour dans l’« État » palestinien serait « limité selon les arrangements sécuritaires acceptés » (c’est-à-dire : soumis au contrôle israélien). Les autres seraient forcés de rester où ils sont. Les réfugiés recevraient peut-être « quelques compensations », alors que les « compensations pour biens perdus » des réfugiés juifs venant de pays arabes sont explicitement mentionnées. Il est évident qu’aux yeux de Trump et de son équipe, les biens volés aux Palestiniens, dont la plus grosse partie de la terre de Palestine qui leur appartenait (et leur appartient toujours), ne sont pas du même ordre que les biens volés aux réfugiés juifs venant de pays arabes. C’est l’une des nombreuses indications que, pour Trump et al., les Palestiniens se situent à un autre niveau d’humanité, plus bas, et n’ont tout simplement pas les mêmes droits et privilèges que les Israéliens.
La reconnaissance par Trump en décembre 2017 de Jérusalem comme capitale d’Israël, puis le déplacement de l’ambassade des États-Unis dans cette ville sont intimement liés à cette approche. Ces décisions ont marqué une rupture fondamentale avec plus de 70 ans de politique états-unienne, qu’on peut faire démarrer avec la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée en 1947, UNGA 181, qui appelait à la partition de la Palestine en un État arabe et un État juif. Selon cette résolution, le statut de la ville sainte devait demeurer indéterminé tant que la question de la Palestine ne serait pas définitivement résolue par un accord entre les deux parties. Cet affront a été suivi par la proclamation de Trump qu’il reconnaissait la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan annexé, un autre changement radical dans la politique états-unienne.
Avec ces deux déclarations, l’administration a unilatéralement retiré deux questions de la table des négociations – dont une, celle de Jérusalem, pour laquelle Israël est obligé par traité de négocier avec les Palestiniens. En plus de faire marche arrière sur des décennies de politique états-unienne, l’ensemble Trump a rejeté un pan entier du droit international et des consensus acceptés, des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU, l’opinion mondiale et, bien sûr, les droits des Palestiniens. Trump a entièrement accepté la position israélienne sur la question vitale de Jérusalem et l’a fait sans qu’Israël propose quoi que ce soit en échange, et sans aucune considération pour les demandes des Palestiniens que la ville soit reconnue comme capitale de la Palestine. Tout aussi important, Trump a implicitement soutenu la définition israélienne expansive d’une « Jérusalem unifiée », incluant les larges zones arabes dans et autour de la ville, qu’Israël s’est appropriées depuis la guerre des Six Jours en 1967. Bien que l’administration ait déclaré que les frontières effectives devaient encore être négociées, sa proclamation signifiait, en fait, qu’il n’y avait plus rien à négocier.
Par ces actions et d’autres encore, la Maison-Blanche a indiqué les contours de la proposition conjointe des États-Unis et d’Israël : elle évite explicitement de soutenir une réelle solution à deux États ; elle a fermé la mission palestinienne à Washington DC et le consulat des États-Unis à Jérusalem-Est qui fonctionnait comme une ambassade informelle auprès des Palestiniens ; elle a affirmé que, contrairement au statut de tous les autres réfugiés depuis la deuxième Guerre mondiale, les descendants de Palestiniens enregistrés comme réfugiés en 1948, n’étaient pas eux-mêmes des réfugiés. Finalement, en soutenant l’annexion israélienne de Jérusalem et du plateau du Golan, Trump a ouvert la voie à l’annexion de n’importe quelle autre partie de la Cisjordanie occupée qu’Israël pourrait choisir d’avaler.
En échange de toutes ces dérogations drastiques à leurs droits, les Palestiniens recevraient de l’argent, demandé aux monarchies du Golfe. L’offre a été formalisée lors de la conférence de juin 2019 à Bahreïn à laquelle l’Autorité a refusé d’assister. La proposition de Kushner d’acheter l’opposition palestinienne à un plan qui évitait un arrangement politique négocié, n’est rien de plus qu’une version réchauffée des plans similaires pour « la paix économique » en lieu et place de droits, qui ont été colportés par les dirigeant israéliens, de Shimon Peres à Netanyahou. Pour Netanyahou et les soutiens ultranationalistes aux colons extrémistes, l’adoucissant économique à la pilule amère que les Palestiniens étaient censés avaler est devenu un élément essentiel de leur approche explicitement annexionniste.
De fait, ce qui est le plus frappant dans cette politique moyen-orientale de la Maison-Blanche, c’est qu’elle a été externalisée à Netanyahou et ses alliés en Israël et aux États-Unis. Ses initiatives semblent être arrivées pré-emballées de l’entrepôt aux idées de la droite israélienne : déplacer l’ambassade états-unienne à Jérusalem, reconnaître l’annexion du Golan, éluder la question des réfugiés palestiniens avec légèreté, tenter de liquider l’UNRWA et se retirer de l’accord nucléaire de l’ère Obama avec l’Iran. Il ne restait que quelques points sur la liste des souhaits de Netanyahou : l’annexion de la plus grande partie de la Cisjordanie, le rejet états-unien formel d’un État palestinien souverain, la création d’un gouvernement palestinien impuissant – le forfait complet pour forcer les Palestiniens à accepter qu’ils sont un peuple vaincu.
Rien de tout cela n’était entièrement nouveau, étant donné les pratiques états-uniennes antérieures. Mais les gens de Trump ont même abandonné le vieux simulacre élimé d’impartialité. Avec ce plan, les États-Unis ont cessé d’être « l’avocat d’Israël » pour se faire porte-parole du gouvernement le plus extrême de l’histoire d’Israël, proposer de négocier directement avec les Palestiniens au nom d’Israël, avec l’aide bienvenue de leurs alliés arabes les plus proches.
Peut-être que la Maison-Blanche avait autre chose en vue : générer des propositions si offensivement pro-israéliennes qu’elles seraient inacceptables même aux Palestiniens les plus accommodants. Grâce à cette tactique, les Israéliens pourraient décrire les Palestiniens comme ayant une attitude de rejet systématique, et ainsi continuer à refuser les négociations, tout en maintenant le statu quo d’une annexion rampante, de l’expansion de la colonisation et de la discrimination juridique. Quoi qu’il en soit, le résultat serait le même : les Palestiniens étaient informés que la perspective d’un avenir indépendant dans leur propre pays était exclue, et que l’entreprise coloniale israélienne avait les coudées franches pour façonner la Palestine comme elle le désirait.
C’est la conclusion que la plus grande partie du monde rejette, et elle fera certainement face à une résistance tant locale que mondiale. Elle est également en contradiction avec tous les principes de liberté, de justice et d’égalité que les États-Unis prétendent défendre. Une résolution du conflit imposée strictement selon les conditions brutales d’Israël entraînera inévitablement davantage de conflits et d’insécurité pour toutes les parties concernées. Pour les Palestiniens, elle présente cependant aussi certains avantages.
Les stratégies actuelles des deux factions politiques palestiniennes, le Fatah et le Hamas, n’ont mené à rien, comme le prouve l’accélération de la prise de contrôle israélienne sur l’ensemble de la Palestine. Ni la dépendance à la médiation états-unienne dans des négociations stériles, comme seul choix d’une diplomatie faible durant l’ère Abbas (Mahmoud Abbas a été président de la Palestine depuis 2005), ni une stratégie symbolique de résistance armée, n’ont fait se rapprocher la Palestine de ses buts nationaux au cours de ces dernières décennies. Il n’y a pas non plus beaucoup à attendre de régimes arabes tels que ceux d’Égypte et de Jordanie, qui aujourd’hui n’éprouvent aucune honte à signer des accords massifs sur le gaz avec Israël ou l’Arabie saoudite et les EAU, qui ont acheté des armes israéliennes et des systèmes de sécurité en passant par les États-Unis, ce qui ne camoufle que superficiellement leur origine.
En prendre conscience nécessite une réévaluation minutieuse par les Palestiniens de leurs méthodes, que leurs objectifs nationaux soient la fin de l’occupation et l’inversion de la colonisation de la terre palestinienne ; l’établissement d’un État palestinien dans les 22 % restants de la Palestine des Mandats, l’entité géopolitique établie en 1920 avant la création de l’État d’Israël en 1948, avec la Jérusalem-Est arabe comme capitale ; le retour sur leurs terres ancestrales de cette moitié du peuple palestinien qui vit en exil ; ou la création d’un État binational souverain démocratique sur toute la Palestine avec des droits égaux pour tous ; ou une combinaison ou permutation de ces options.
Comme partie la plus faible au conflit, le côté palestinien ne peut pas se permettre de demeurer divisé. Mais avant que l’unité soit réalisée, une redéfinition des objectifs doit avoir lieu sur la base du nouveau consensus national.
Le fait que, dans les dernières décennies, des initiatives de la société civile telles que Boycott, Désinvestissement, Sanctions(BDS) et le militantisme des étudiants aient fait plus pour promouvoir la cause palestinienne qu’aucune des tentatives de ces deux factions principales est une critique impitoyable du Fatah comme du Hamas.
Une réconciliation aurait au moins le mérite de réparer certains des dommages causés par leur rupture, mais la réconciliation entre deux mouvements politiques idéologiquement faillis, aussi importante qu’elle puisse être, ne fournira pas la stratégie dynamique nouvelle qui est nécessaire pour sortir la cause palestinienne de son état actuel de stagnation et de recul.
Un changement-clé nécessaire est la reconnaissance que la stratégie diplomatique adoptée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis les années 1980 était fatalement erronée : les États-Unis ne sont pas et ne peuvent pas être un médiateur, un courtier ou une partie neutre. Ils s’opposent depuis longtemps aux aspirations nationales palestiniennes et se sont formellement engagés à soutenir les positions du gouvernement israélien sur la Palestine. Le mouvement national palestinien doit reconnaître la vraie nature de la position états-unienne et entreprendre un travail de base intense, aux niveaux politique et de l’information, pour défendre sa cause à l’intérieur des États-Unis, comme le mouvement sioniste le fait depuis plus d’un siècle. Ce travail ne prendra pas nécessairement des générations, étant donné les changements significatifs observés dans des secteurs clés de l’opinion publique. Il y a beaucoup sur quoi s’appuyer.
Mais les deux groupes de dirigeants palestiniens ne semblent pas avoir une meilleure compréhension du fonctionnement de la société et de la politique américaines que leurs prédécesseurs. Ils n’ont aucune idée de la manière d’entrer en contact avec l’opinion publique américaine et n’ont fait aucune tentative sérieuse pour le faire. Cette ignorance de la nature complexe du système politique américain a empêché l’élaboration d’un programme soutenu pour atteindre les éléments potentiellement sympathiques de la société civile.
En revanche, malgré la position dominante dont bénéficient Israël et ses partisans aux États-Unis, ils continuent à dépenser des ressources considérables pour faire avancer leur cause sur la scène publique. Bien que l’effort pour soutenir les droits des Palestiniens soit mal financé et ne soit constitué que d’initiatives lancées par des éléments de la société civile, il a obtenu des succès remarquables dans des domaines tels que les arts (notamment le cinéma et le théâtre) ; le domaine juridique, où les défenseurs de la liberté d’expression et du premier amendement sont devenus des alliés essentiels contre les attaques soutenues contre les partisans des droits des Palestiniens ; des secteurs du monde universitaire, notamment les études sur le Moyen-Orient et les États-Unis ; certains syndicats et Églises ; et des éléments clés de la base du parti démocrate.
Un travail similaire doit être mené en Europe, en Russie, en Inde, en Chine, au Brésil et dans les pays non alignés. Ces dernières années, Israël a pris de la place dans la culture des élites et de l’opinion publique de ces pays, tandis que beaucoup d’entre eux, en particulier la Chine et l’Inde, deviennent plus actifs au Moyen-Orient. Bien que de nombreux États arabes soient contrôlés par des régimes non démocratiques soumis aux États-Unis et désireux d’obtenir l’approbation d’Israël, l’opinion publique arabe reste très sensible aux appels de la Palestine. Ainsi, en 2016, 75 % des personnes interrogées dans 12 pays arabes considéraient que la Palestine était une source de préoccupation pour tous les Arabes, et 86 % désapprouvaient la reconnaissance d’Israël par les Arabes en raison de ses politiques dirigées contre la Palestine. Les Palestiniens doivent ressusciter l’ancienne stratégie de l’OLP qui consistait à faire appel, par-dessus la tête des régimes insensibles, à une opinion publique arabe sympathique à leur cause.
Le plus important est que, si l’entrée dans des négociations basées sur un consensus palestinien devient possible, toute diplomatie future doit rejeter la formule provisoire d’Oslo et procéder sur une base entièrement différente. Une campagne mondiale intensive de relations publiques et de diplomatie doit viser à exiger un parrainage international et à rejeter le contrôle exclusif des États-Unis sur le processus (une exigence qui a déjà été faiblement formulée par l’Autorité). En outre, aux fins des négociations, les Palestiniens devraient traiter les États-Unis comme une extension d’Israël. En tant que superpuissance, ils seraient nécessairement représentés à toute négociation, mais ils devraient être considérés comme une partie adverse, même assis avec Israël de l’autre côté de la table, ce qui représenterait leur position réelle, au moins depuis 1967.
De nouvelles négociations devraient rouvrir toutes les questions cruciales créées par la guerre de 1948 qui ont été closes en faveur d’Israël en 1967 par la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies : les frontières de partition de la résolution AGNU 181 de 1947 et sa proposition de corpus separatum pour Jérusalem ; le retour et l’indemnisation des réfugiés ; et les droits politiques, nationaux et civils des Palestiniens à l’intérieur d’Israël. Ces discussions devraient mettre l’accent sur l’égalité de traitement complète des deux peuples et se fonder sur la Convention de La Haye et la quatrième Convention de Genève, la Charte des Nations unies, qui met l’accent sur le droit à l’autodétermination nationale, et toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies, et pas seulement celles que les États-Unis ont choisies pour favoriser Israël.
L’administration actuelle à Washington et le gouvernement israélien n’accepteraient bien sûr jamais de telles conditions, et celles-ci constitueraient donc, pour le moment, des conditions préalables à toute négociation inacceptables pour eux. C’est précisément le but. Elles seraient destinées à changer les règles du jeu face aux formules conçues à l’avantage d’Israël.
Continuer à négocier sur la base actuelle, profondément défectueuse, ne peut qu’entériner un statu quo qui mène à l’absorption finale de la Palestine dans la Grande Terre d’Israël. Si par un effort diplomatique et de relations publiques sérieux et soutenu, les Palestiniens réclamaient ces nouvelles conditions visant à atteindre une paix juste et équitable, de nombreux pays seraient disposés à les envisager. Ils pourraient même être disposés à remettre en question le monopole américain sur le rétablissement de la paix, monopole qui a été crucial pour empêcher la paix en Palestine depuis un demi-siècle.
Un élément oublié mais essentiel de l’agenda politique palestinien est le travail à l’intérieur d’Israël, en particulier pour convaincre les Israéliens qu’il existe une alternative à l’oppression actuelle des Palestiniens. Il s’agit d’un processus à long terme qui ne peut être écarté comme une forme de « normalisation » des relations avec Israël : ni les Algériens ni les Vietnamiens ne se sont privés à court terme de la possibilité de convaincre l’opinion publique du pays d’origine de leur oppresseur de la justice de leur cause – des efforts qui ont contribué de manière mesurable à leur victoire. Les Palestiniens ne devraient pas non plus s’en priver.
Le peuple palestinien, pour qui la résistance au colonialisme a représenté une bataille difficile, ne doit pas s’attendre à des résultats rapides. Il a fait preuve d’une patience, d’une persévérance et d’une fermeté inhabituelles pour défendre ses droits, ce qui est la principale raison pour laquelle sa cause est toujours vivante. Il est maintenant essentiel que tous les éléments de la société palestinienne adoptent une stratégie réfléchie à long terme, ce qui signifie repenser beaucoup de choses qui ont été faites dans le passé, comprendre comment d’autres mouvements de libération ont réussi à modifier un rapport de forces défavorable et entretenir toutes les alliances possibles dans leur lutte.
Étant donné que le monde arabe est dans un état de désarroi plus grand que jamais depuis la fin de la première guerre mondiale et que le mouvement national palestinien semble sans boussole, il pourrait sembler que le moment soit venu pour Israël et les États-Unis de s’associer à leurs partenaires arabes autocratiques pour enterrer la question palestinienne, se débarrasser des Palestiniens et déclarer la victoire. Il est peu probable que ce soit aussi simple.
Il y a la question non négligeable du public arabe, qui peut être dupé parfois, mais pas durablement, et qui émerge avec des drapeaux palestiniens qui flottent chaque fois que des courants démocratiques s’élèvent contre l’autocratie, comme au Caire en 2011 et à Alger au printemps 2019.
L’hégémonie régionale d’Israël dépend, dans une très large mesure, du maintien au pouvoir de régimes arabes non démocratiques qui réprimeront un tel sentiment. Aussi lointaine qu’elle puisse paraître aujourd’hui, la véritable démocratie dans le monde arabe constituerait une grave menace pour la domination régionale et la liberté d’action d’Israël.
Tout aussi importante est la résistance populaire dont on peut attendre des Palestiniens qu’ils continuent à la faire vivre, quel que soit l’accord minable auquel leurs dirigeants discrédités peuvent par erreur donner leur accord. Bien qu’Israël ait l’hégémonie régionale avec l’arme nucléaire, sa domination n’est pas incontestée au Moyen-Orient, pas plus que la légitimité des régimes arabes non démocratiques qui deviennent de plus en plus ses clients. Enfin, les États-Unis, malgré toute leur puissance, ont joué un rôle secondaire – et parfois aucun rôle du tout – dans les crises en Syrie, au Yémen, en Libye et ailleurs dans la région. Ils ne conserveront pas nécessairement le quasi-monopole sur la question palestinienne, et même sur l’ensemble du Moyen-Orient, dont ils jouissent depuis si longtemps.
La configuration du pouvoir au niveau mondial a changé : en raison de leurs besoins énergétiques croissants, la Chine et l’Inde auront plus à dire sur le Moyen-Orient au 21e siècle qu’elles ne l’ont fait au siècle précédent. Étant plus proches du Moyen-Orient, l’Europe et la Russie ont été plus touchées que les États-Unis par l’instabilité qui y règne, et on peut s’attendre à ce qu’elles y jouent un rôle plus important. Il est fort probable que les États-Unis ne conserveront pas la liberté d’action dont jouissait autrefois la Grande-Bretagne. Peut-être que ces changements permettront aux Palestiniens, ainsi qu’aux Israéliens et à d’autres personnes dans le monde qui souhaitent la paix et une stabilité basée sur la justice en Palestine, de tracer une trajectoire différente de celle de l’oppression d’un peuple par un autre. Seule une telle voie basée sur l’égalité et la justice est capable de conclure la guerre de 100 ans contre la Palestine par une paix durable – une paix qui apporte avec elle la libération que le peuple palestinien mérite.
Traduction : MUV pour l’Agence Media Palestine
Source : The GuardianVoir en ligne : l’article également sur le site de l’Agence Médias Palestine