Le 4 juin dernier, quelques jours après la fin de la grève de la faim de 40 jours conduite par 1500 prisonniers, au théâtre arabe-juif de la Saraya 1 de Jaffa était organisée une soirée sur les prisonniers politiques palestiniens, par des militants de Balad/tajamo le parti du front démocratique national membre de la liste arabe unie. Présentée par Orly Noï la soirée montrait des extraits d’un court-métrage intitulé « les cahiers des prisonniers » une quinzaine d’extraits environ où des lecteurs lisaient des lettres de prisonniers, alternant avec des interventions sur ce qui constitue a rappelé Orly Noï dans son introduction, avec 800 000 palestiniens passés par les prisons israéliennes depuis la création de l’État, et 6500 aujourd’hui, hommes femmes et enfants, non seulement un problème politique, mais aussi un véritable problème social.
Elle a aussi signalé les pressions exercées contre l’événement, et le fait que la pièce de théâtre « prisonniers de l’occupation » de Einat Weitzman qui était sélectionnée au festival de théâtre de Akko venait d’être déprogrammée sur pression du ministère de la culture. Effectivement en arrivant sur les lieux, on pouvait voir plusieurs voitures de police en amont et aval du petit théâtre et des policiers postés en surveillance.
Orly Noï commence donc par rendre hommage au courageux théâtre qui recevait juste avant Ishaï Menuhin de Yesh Gvul pour la sortie de son livre sur les 50 ans de l’occupation. Salle comble, et gens debout. Mais la plupart se connaissent, militants de la première heure et de toutes les manifestations.
Dès la lecture de la première lettre on est pris à la gorge, par ce que le prisonnier décrit à son épouse, son arrivée dans un cube de béton de 2m sur 1 sans fenêtre ni toilettes ni eau. Il est emmené une fois par jour aux wc et faire sa toilette, le reste du temps il dispose de bouteilles en plastique pour uriner. Il raconte son envie de pleurer, les larmes qui montent et qu’il refoule. Parce que dit-il, les larmes sont un acte social qui nécessite quelqu’un pour les recevoir. Mais qu’en faire dans cette solitude.
Noam Rotem 2 intervient ensuite pour évoquer l’histoire, les luttes de prisonniers célèbres, Bobby Sand, Mandela Ghandi il donne les années de prisons pour chacun d’eux : impossible de dissocier les prisonniers des guerres de libération de terroristes emprisonnés ils sont devenus les héros de la libération. Il conclut par la nécessité d’un appel à la libération de tous les prisonniers politiques.
Et puis la lecture des lettres se poursuit, la description des visites où la famille directe uniquement peut être reçue deux fois par mois, réduites à une fois d’où la grève récente, à travers une vitre on se parle au téléphone, un enfant qui pleure et refuse d’entrer. Les familles qui font parfois un très long voyage, se lèvent à 3h du matin quand elles ont l’argent nécessaire pour prendre le bus qui les déposera des heures plus tard devant la prison. Elles attendent des heures parfois toute la journée sans être certaines de pouvoir entrer. Aucun aménagement extérieur, ni abri contre la chaleur dévorante ou la pluie battante, ni banc ni toilettes, pas d’eau, rien. Une fois il faisait si froid qu’elles ont allumé un feu pour se réchauffer.
L’un évoque la sinistre Posta, la voiture qui sert à déplacer les prisonniers, lors des transferts changement de prison, tribunal ou hôpital. À l’intérieur la posta est cloisonnée en cellules métalliques individuelles, où le prisonnier est assis des heures, pieds et poings liés, sans pouvoir bouger par une chaleur extrême, pas d’accès possible aux toilettes. 3 ou 4 h avant que la Posta ne démarre, pareil à l’arrivée. La Posta est vécue comme une torture de plus. Parfois les prisonniers refusent le déplacement à l’hôpital par crainte d’affronter l’épreuve.
Un autre encore, depuis 20 ans en prison évoque le temps parallèle dans lequel sa vie s’écoule : je suis emprisonné depuis avant la chute du mur de Berlin, avant les téléphones portables, avant les guerres du golfe, avant les deux Intifada.
Et puis Sana Salamé l’épouse de Walid Dakka emprisonné depuis 35 ans prend la parole.
Elle parle de ceux des prisonniers qui ne viennent pas des territoires occupés ou de Gaza, et qui sont considérés comme des israéliens, donc n’ont bénéficié d’aucune des négociations et aucun des acquis des prisonniers ne leur est octroyé. Pas d’échange de prisonniers pour eux, mais aucun des droits accordés aux prisonniers juifs non plus. Il y a des années de cela son mari et elle avaient demandé le droit à l’union pour pouvoir avoir un enfant, on leur avait alors proposé une fécondation in vitro. Ils avaient refusé pensant qu’ils gagneraient la bataille avec le temps. Des années plus tard ils ont accepté mais trop tard, cela a été refusé. (Ygal Amir l’assassin de Itzkhak Rabin a bénéficié, lui, de l’union et fondé une famille en prison) .
Elle lit une lettre de Walid écrite à ses 31 ans de prison, il avait alors 56 ans, « à un enfant qui n’est pas né » qu’est ce qui est plus fou interroge-t-il? Écrire à un enfant qui n’est pas né ? Mon enfant qui n’est pas né, tu as un dossier à la sécurité..
Basel Ghattas député de Balad -Tajamo, qui a démissionné après son arrestation pour avoir remis des téléphones portables à des prisonniers lors d’une visite à la prison de Kztiot dans le Negev, a négocié selon la règle en usage ici du plea bargain, en échange de sa reconnaissance des faits sa condamnation à 2 ans de prison ferme au lieu des dix qu’ils risquait. Une peine qu’il effectuera dès le 2 juillet prochain.
Très ému il explique que même la gauche antisioniste ne peut vraiment appréhender ou concevoir l’infinie cruauté de ce rapport de l’être humain seul confronté à une administration pénitentiaire toute puissante et qui l’écrase. Il évoque des situations de prisonniers rencontrées pendant son mandat électif. Un prisonnier de 27 ans, à qui le seul droit de visite accordé était pour sa sœur. Il a aussi une sœur adoptive, la visite a été refusée pendant des mois, avant d’être accordée suite aux interventions des députés. Ces derniers rappelle -t-il ne peuvent avoir à faire qu’aux prisonniers citoyens d’Israël.
Il raconte cette femme âgée qui obtient enfin le droit de visite pour son fils, effectue un trajet incroyablement long, et à l’arrivée elle n’est pas sur les listes et doit repartir. Un prisonnier diabétique et qui a subi plusieurs opérations du cœur. Les médecins ont recommandé qu’il porte une certaine marque de chaussures de sport. Mais la «cantina» le magasin (le seul) où les prisonniers peuvent acheter avec la cagnotte que leur verse l’autorité palestinienne (400 shekels par mois = 100 euros) n’a pas ces chaussures, huit ans de lutte pour obtenir qu’il puisse les avoir. C’est une véritable violence de l’appareil d’occupation exercée contre l’individu qui lui est livré martèle Basel.
Il raconte un dialogue récent avec Walid Dakka au téléphone : «c’est un jour exceptionnel sais-tu pourquoi?» lui dit-il. C’était le lendemain de l’élection de Trump aux États-Unis, il suggère donc : Trump? Walid rigole doucement, j’étais sûr que tu allais dire çà, non, c’est un jour exceptionnel parce que pour la première fois, en trente ans j’ai pu voir la lune dans le ciel.
De sa rencontre récente avec Marwan Barghouti il rapporte : la requête centrale, majeure, la principale, la plus importante dans la dernière grève, c’est le téléphone. Le comité de grève a proposé un téléphone public installé dans la prison, un seul numéro possible par prisonnier, et ils peuvent enregistrer la conversation. Une requête a déjà été effectuée il y a trois ans auprès des autorités avec Jamal Zahalka. Les sécuritaires comme les droits communs juifs ont tous accès au téléphone.
Basel remercie Einat pour avoir ramené les familles de prisonniers sous la lumière, toute leur vie tourne autour du prisonnier, 1x par 15 jours, 45 mn c’est le rythme de la visite accordée à la famille du premier degré. On sort à minuit en bus dans le nord, et on atteint la prison de Ramon au cœur du Negev à 6h du matin. Il y a des mères qui ne peuvent même pas se payer le billet et rendre visite à leur fils.
Toutes les visites effectuées par les députés palestiniens d’Israël, rappelle-t-il, ne concernent que les prisonniers de 48. Ils auraient pu tous être libérés par les accords d’Oslo en 96, mais pas eux, cela a été refusé parce qu’ils étaient citoyens d’Israël.
On vous a parlé de la Posta, mais la posta c’est le paradis à côté de ce qui s’appelle en hébreu le maavar, passage, équivalant du dépôt français, où les détenus lors de déplacements doivent parfois passer la nuit voire plusieurs nuits par exemple : un détenu part mercredi de Ramon pour une visite le jeudi à l’hôpital Soroka à Beersheba, donc une nuit au maavar, et après la visite il repasse au dépôt mais c’est l’entrée du week end et, il devra y attendre le dimanche matin pour reprendre la posta. L’état d’insalubrité effroyable des dépôts est tel que les prisonniers le craignent comme la pire des torture. Et parfois ils en arrivent aussi à refuser les déplacements pour des soins pour l’éviter.
Pourquoi j’ai fait entrer des téléphones en prison? Dit-il soudain plus grave, parce que c’est moi, c’est mon caractère. Le poète arabe dit que chacun connaît les chemins du courage et de la générosité du cœur, mais les chemins du caractère… Je ne regrette pas de l’avoir fait.
En sortant de cette rencontre, avec quelques Palestiniens de jaffa et quelques juifs amis, nous traversons l’ancien cœur de la ville. La Saraya se trouve dans la vieille ville de Jaffa littéralement momifiée, coquille de pierres sans vie, quelques boutiques pour touristes, très tôt après la naqba les anciennes maisons arabes ont été cédées à des artistes israéliens… des musées nos amis hésitent et se perdent, une femme interroge en montrant les maisons de pierre aux volets clos, mais il y a des gens qui habitent là? Étrangers dans leur ville, je demande quelle part de la population de la ville constituent les Palestiniens : 20%.
La plupart des choses obtenues notamment sur le droit de visite étaient le rétablissement de la situation antérieure qui avait été réduite par souci punitif. Les prisonniers et leur traitement ne sont que le reflet de l’attitude globale d’Israël vis à vis des Palestiniens. Le terme prisonnier de sécurité adopté ici dans le langage, adhère totalement à la thèse sécuritaire de l’état, lors que c’est le terme de prisonniers politiques qui devrait s’ imposer.
Dans l’emballement actuel qui considère tout palestinien comme un danger intérieur menaçant la sécurité de l’état, il est nécessaire de qualifier correctement les personnes.
On perçoit aussi le sens dans le contexte global du tout sécuritaire de la désignation systématique d’Israël comme une démocratie. Traduire : si une démocratie peut faire tout cela, alors nous aussi la mère des démocraties pouvons le faire, et d’ailleurs nous le faisons.
Quelques mots dérisoires donc, pour dire le dégoût qu’inspire l’information-désinformation dont bénéficient les masses. Pour dire l’infinie solitude dans laquelle chaque prisonnier-e de 13 à 99 ans doit affronter la machine pénitentiaire à broyer le Palestinien, qu’elle n’a réussi ni à expulser ni à tuer. Pour rappeler que les prisonniers sont les résistants de l’occupation, quelles que soient les charges, de la lutte armée, au simple fait d’aller à l’école, au travail, ou d’être juste un passant, tous sont coupables d’exister et d’être là, sur leur terre – Comment pourraient-ils l’appeler autrement ?- Ceux qui sont en prison constituent de fait la première ligne du front de la résistance à l’occupation et ses violences multiformes. Ils méritent une solidarité internationale active, qui amplifie leur voix étouffées par les barreaux des prisons israéliennes, mais aussi par la plupart de nos médias.
Michèle Sibony – juin 2017