Culpabilisation et intimidation de la communauté palestinienne

Derrière les fronts. S.Jabr

À la différence de la façon dont les Palestiniens sont traités, les agresseurs israéliens n’ont été ni tirés à vue, ni qualifiés de terroristes ; leurs noms n’ont pas été rendus publics et leurs maisons n’ont pas été démolies ; au lieu de cela, nous avons été informés qu’ils étaient psychologiquement « tourmentés ».

L’incitation est une accusation « taillée sur mesures », montée spécialement pour effrayer les Palestiniens qui expriment une opposition face à un durcissement de la politique israélienne qui déjà suffoquait la communauté. Les forces de sécurité israéliennes, par exemple, ont mis en place une « section arabe » dans leur département cybernétique, section qui est chargée de scanner les médias sociaux. L’un parmi tous ceux qui ont été arrêtés en raison de leurs publications sur leur compte Facebook est un jeune qui a écrit « Apportez des oignons avec vous » ; les oignons étant considérés comme un antidote contre les gaz lacrymogènes lancés sur les manifestants par les soldats et la police.

Le directeur du ministère israélien de l’Éducation, le général Michal Cohen, a demandé une enquête sur un proviseur et enseignant d’une école primaire de Jérusalem-Est, qui était accusé d’incitation contre les soldats. D’après le ministère, l’école se livrait à une « propagande politique illégale » en permettant que soit jouée une pièce de théâtre dans laquelle un soldat est présenté comme « violent et meurtrier, (alors qu’) il tire sur un enfant palestinien ». Le ministre de l’Éducation, Naftali Bennet, a prévenu que « les enseignants qui autoriseront cette pièce seront traités sans réserve ».

Même si beaucoup des mises à mort, des arrestations et démolitions de maisons qui ont lieu en Palestine visent des enfants en âge scolaire, il est clair que leurs conseillers et enseignants ont l’interdiction de se donner l’occasion de s’exprimer et d’agir à travers de telles expériences difficiles. Quand les enfants reproduisent symboliquement leur réalité dans un jeu post-traumatique, ou quand les adultes tentent d’apaiser leur anxiété en partageant des informations sur les médias sociaux, ils font le constat que ces réactions ne sont pas autorisées par les Israéliens et sont sanctionnées en tant qu’ « incitation », comme si les épouvantables réalités créées par Israël ne suffisaient pas en elles-mêmes pour « inciter » la population à résister à l’occupation.

Quelles sont ces réalités ? De nouvelles lois et politiques visant à humilier et à discriminer les Palestiniens ont été publiées par le cabinet israélien, telle « la loi pour l’interpellation et la fouille » ; la fermeture progressive de Jérusalem aux Palestiniens venant de Cisjordanie ; l’ajout de nouveaux check-points avec des blocs de béton qui barrent le passage et des détecteurs de métal ; la restriction de l’accès des Palestiniens au Noble Sanctuaire d’Al-Aqsa ; l’intensification des opérations de police dans les quartiers palestiniens ; l’assouplissement des restrictions à l’utilisation des munitions de guerre contre les manifestants ; la mise hors la loi des organisations civiles ; l’interdiction de voyager pour les militants ; le nombre croissant des arrestations administratives arbitraires ; la démolition rapide des maisons des familles des combattants palestiniens ; l’autorisation pour de nouvelles colonies de peuplement juives illégales en vertu de la législation internationale ; et les projets pour révoquer les droits à résidence d’environ 230 000 Jérusalémites qui vivent à l’extérieur des limites nouvellement définies de Jérusalem. Le maire de Jérusalem, Nir Barkat, se promène dans Jérusalem une arme à la main, et les juifs portent de plus en plus ostensiblement des armes ; les acquisitions d’armes par les citoyens israéliens ont augmenté de 5000 % au cours du mois passé.

Pendant que les Israéliens débattent de la peine de mort pour les Palestiniens dans leurs commissions ministérieles et à la Knesset, l’armée, les forces de police et les colons procèdent à la traque des Palestiniens dans les rues et à leurs exécutions extra-judiciaires. Puis, avec l’aide des médias, ils fabriquent des récits pour expliquer l’assassinat de nos jeunes. Les soldats israéliens pratiquent une politique du tirer pour tuer contre les manifestants sans armes à la frontière de Gaza, tuant et blessant des Palestiniens qui ne présentent aucun danger, ainsi que de présumés agresseurs, et des passants. Dans les quelques cas où une preuve par vidéo a été disponible, il a été possible de réfuter les allégations portées par la police et les soldats israéliens. C’est ainsi que l’organisation israélienne pour les droits de l’homme, B’Tselem, tire la conclusion que la fusillade contre Bassel Al-Sider et Fadi Alloun « soulève une vive inquiétude avec les forces de sécurité qui tirent pour tuer, même quand manifestement les Palestiniens ne constituent plus une menace et qu’ils pourraient être appréhendés d’une autre façon ». Amnesty International a fait le constat que le meurtre de Hadeel Hashlamoun constituait une exécution extra-judiciaire. Nous avons entendu le témoignage de témoins oculaires et vu des vidéos de situations où les soldats israéliens ont placé un couteau près des corps de jeunes palestiniens après qu’ils ont été abattus et tués.

La facilité avec laquelle les Palestiniens sont tués a débouché sur l’assassinat de non-Palestiniens qui « ressemblaient à des Arabes ». Un Israélien juif possédant un fort accent et l’apparence d’un « Arabe », Simcha Hodadtov, a été tué par l’armée à la gare routière centrale de Jérusalem ; les médias ont publié aussitôt qu’il s’agissait d’un Palestinien qui avait tenté de s’emparer de l’arme d’un soldat. Par la suite pourtant, les médias ont dû revenir sur leur première version quand un membre de l’organisation ZAKA, qui accompagne les corps des morts, s’est rendu compte que le défunt était en réalité un juif et il a dû échanger la housse mortuaire noire servant à identifier les corps des Palestiniens contre la housse blanche réservée aux Israéliens juifs.

Ceci est arrivé une semaine après le lynchage de Haftom Zarhum, un immigrant érythréen de 29 ans, par les Israéliens qui avaient supposé qu’il avait participé ou été complice dans une attaque à Beersheba. Juste avant ce meurtre, Ben Tzion Mutsafi, un rabbin important de Jérusalem et directeur d’une Yeshiva, avait déclaré, « pour les terroristes qui sont arrêtés, il est ordonné de leur taper la tête contre le sol jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une goutte de vie en elle ». Telle avait été sa réponse quand l’un de ses élèves avait demandé s’il lui était permis de frapper, de donner des coups de pied ou de tirer sur un terroriste qui avait été attrapé et immobilisé, ou s’il y avait une interdiction biblique et/ou rabbinique pour de tels actes. Ce qui est arrivé à l’Érythréen n’a été que la traduction d’un tel enseignement dans sa pratique ; nous avons vu un soldat frapper à coups de pied Zarhum à la tête alors qu’il était étendu ensanglanté sur le sol de la gare routière. Un autre homme a soulevé un banc et l’a laissé retomber sur la tête de la victime. Apparemment, la seule erreur commise a été que cet affreux traitement était destiné à un vrai Palestinien, afin d’ « effrayer et dissuader la communauté ».

Dans le cas de l’Israélien juif orthodoxe qui a poignardé un autre juif, Uriel Razkan, à Kiryat Ata en périphérie de Haïfa, et dans celui des « adolescents israéliens » poignardant quatre Palestiniens à Dimona, la police a seulement retenu un moment les auteurs. Ils n’ont été ni tirés à vue, ni qualifiés de terroristes ; leurs noms n’ont pas été rendus publics et leurs maisons n’ont pas été démolies ; au lieu de cela, nous avons été informés qu’il s’agissait de personnes psychologiquement « tourmentées ».
Toutes ces formes d’intimidation sont destinées à créer un effet dissuasif sur les assaillants potentiels. Les graves conséquences pour les familles et les communautés de ceux qui sont accusés d’être des combattants visent à induire leur culpabilité et à aboutir à la condamnation de ceux qui résistent à l’occupation. Cependant, Israël est en train de plus en plus de franchir les limites de l’éthique, violant toujours plus les droits humains et devenant toujours plus sanglant et détesté. Pour rassurer l’opinion israélienne, le cabinet va promettre de punir plus encore les Palestiniens. En recourant à un néofascisme et à une répression intensifiée, Israël peut, peut-être, vaincre et tuer quelques Palestiniens, mais il va s’enfoncer définitivement et plus encore dans un échec moral, et il fera de la Palestine occupée le lieu le moins sûr de la terre pour les juifs.

Samah Jabr est Jérusalémite, psychiatre et psychothérapeute, dévouée au bien-être de sa communauté, au-delà des questions de la maladie mentale.

Samah Jabr
Middle East Monitor – 2 novembre 2015

Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous