Sonia Fayman critique ici la tribune de Denis Charbit : « Quand antisionisme et antisémitisme se recoupent » parue sur le site du journal Libération le 24 mars 2019
Qu’il y ait plusieurs références historiques en matière d’antisionisme n’enlève rien à la pertinence de l’antisionisme anticolonialiste actuel ; il est fondé sur la nature même du sionisme qui est une forme de colonialisme, même si des milliers de gens en ont été enthousiasmés dans une démarche nationaliste et dans la recherche d’une réponse à l’oppression. Si cette caractéristique colonialiste n’est pas apparue à tout le monde en son temps, et toujours pas aujourd’hui, une analyse socio-historique permet d’établir la nature colonialiste du sionisme : conquête d’une terre habitée par un peuple originaire, soumission de ce peuple, destruction de son habitat, privation de ses droits au profit de colons arrivant par vagues, voire autoritairement « importés » de certains pays et instauration d’un système de division ethnique.
D. Charbit et beaucoup d’autres, mettent en avant qu’Israël a « offert un refuge, une patrie, aux juifs marginalisés, discriminés ou persécutés dans leur pays natal…» C’est vrai, mais pourquoi à cet endroit-là, de quel droit ?
Deux éléments interviennent :
(i) ce n’est qu’en invoquant le mythe biblique que les Juifs se sont arrogé un droit sur cette terre qui n’était pas « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » ;
(ii) le mouvement sioniste de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème a eu l’appui des puissances occidentales impérialistes qui ont vu l’intérêt de consolider leur position au Moyen Orient par un « foyer juif » (Balfour) puis un État juif – avec l’avantage secondaire de ne pas avoir à accueillir chez elles les Juifs discriminés ou persécutés dans leurs pays ou survivants de l’horreur du génocide nazi (cf le refus d’accostage d’Exodus et autres bateaux).
L’erreur centrale de D.Charbit et des « sionistes anticolonialistes » (oxymore) réside dans la seule critique de la colonisation de la Cisjordanie, de Gaza, et du Golan mais pas du reste de la Palestine. Où est la logique ? Elle ne repose que sur le fait de s’arroger un droit sur la Palestine. Mais quelle différence entre la zone occupée par Israël à l’ouest de la ligne verte et celle qui est à l’est ? La logique est celle de la concession qui aurait été faite après la conquête, sur 22 % de la Palestine historique pour y créer un État – solution que les développements historiques de la politique israélienne ont définitivement rendue caduque.
D.Charbit distingue les idéologies des États : très bien, mais on ne condamne pas l’Allemagne, on condamne le nazisme, parce que ce n’est pas le nazisme qui lui a donné naissance, parce que l’Allemagne a existé et existe toujours en dehors du nazisme. Par contraste, le sionisme a donné naissance à Israël : cet État est une création du sionisme et il est revendiqué comme tel ; il est fondé sur le projet de conquête juive de la terre habitée par les Palestiniens [note]Les Palestiniens sont probablement les descendants authentiques des Hébreux, davantage que les Juifs actuels selon la thèse de Schlomo Sand.]]. Pour autant, il ne s’agit pas de haine de l’État d’Israël (laissons les haines aux Israéliens qui la manifestent en toute brutalité vis-à-vis des Palestiniens), mais d’une critique politique du projet qui a donné forme à cet État et qui dicte sa politique.
Les derniers paragraphes de l’article évoquent l’agression antisémite contre Finkielkraut pour l’amalgamer au discours de l’antisionisme : facile, et c’est ce que font tous les tenants de la politique israélienne pour tenter de déstabiliser l’antisionisme militant. Or, il ne faut justement pas confondre ceux qui utilisent le terme de sionisme comme cache-sexe de leur antisémitisme et ceux qui militent pour l’égalité de tous les citoyens de la Palestine historique dans un État désionisé, c’est à dire un État qui ne fasse plus de l’alya un droit et où tous les citoyens qui y résident aient exactement les mêmes droits.
Sonia Fayman, 18 avril 2019