La plupart des informations rapportées ci-dessous proviennent d’un entretien (via Skype) que Jean-Guy Greilsamer et moi, tous deux militants à l’UJFP, avons eu avec Samah Jabr le 29 juillet dernier. Samah Jabr, psychiatre et psychothérapeute à Jérusalem, est Chef de l’unité de santé mentale au sein du ministère palestinien de la santé, elle gère 14 centres et un hôpital médico-psychiatriques et, en ce qui concerne la pandémie, elle a un rôle de conseil en tant que responsable de la stratégie nationale de santé mentale liée au Covid-19. Je lui adresse mes plus sincères remerciements.
Beaucoup d’informations, souvent alarmantes, circulent au sujet de la pandémie en Palestine. Nous allons essayer d’y voir plus clair et essayer d’en dégager ce qui est le plus important.
La brusque augmentation de la pandémie en Palestine est en rapport avec un phénomène qui a frappé tous les pays victimes du Covid. En effet, après un confinement plutôt réussi en Cisjordanie il y a eu, comme partout, des fêtes, mariages et autres réunions. Il faut toutefois être relatifs. Le voisin, Israël (8,9 millions d’habitants), déplore 509 décès dus au Covid ; si le nombre de décès en Palestine (5 millions d’habitants) était proportionnel, il devrait y en avoir au moins 250. Or la Palestine ne compte « que » 81 décès 1. Il ne s’agit pas ici de dire que tel pays fait mieux qu’un autre ; trop de paramètres entrent en jeu pour faire une quelconque comparaison 2 mais il s’agit d’avoir une vision relative de la situation.
Les points principaux abordés par Samah Jabr lors de cet entretien sont les suivants :
En ce qui concerne le matériel (respirateurs, masques, blouses…) beaucoup de grosses associations dont des O.N.G. qui ne partagent pas toujours nos convictions politiques, ont déjà effectué des dons pour l’achat de matériel : OMS, UNICEF, Medical Aid for Palestinians … La situation ne semble donc pas aussi critique non plus de ce point de vue.
Le problème que pose la pandémie est surtout de nature politique. La société palestinienne est extrêmement fragmentée, conséquence du colonialisme et de l’apartheid israéliens. Celle-ci a pour conséquence la fragilité de la société civile qui profite à l’occupant et la pandémie ne fait qu’aggraver cette situation, y ajoutant même des souffrances supplémentaires.
On peut essayer de dessiner cette fragmentation « socio-géographique ».
Les Palestiniens de Jérusalem (Est) et ceux de Cisjordanie
Les villes sont ceinturées, séparées par des « check-points » qui créent un isolement des habitants et d’énormes difficultés de circulation. De plus, pandémie ou pas, Israël continue d’y appliquer ses règles d’occupation comme par exemple l’interdiction de toutes constructions. On a ainsi pu voir, à Hébron, les autorités israéliennes raser un centre palestinien de dépistage du coronavirus construit sur le terrain d’un particulier (palestinien).
Les Palestiniens de Gaza
La Bande de Gaza est un cas particulier : le blocus a isolé l’ensemble de ses habitants. Les services de santé, sachant que leurs capacités médicales étaient très insuffisantes en cas d’épidémie y ont mis en place des mesures de confinement assez strictes (partiellement levées aujourd’hui) et testent systématiquement les nouveaux arrivants (le Pape François a offert des kits de dépistage). Les cas positifs sont isolés dans des centres situés à proximité de Rafah (le seul point d’entrée aujourd’hui). On y a eu à déplorer qu’ »un » décès.
Les ouvriers palestiniens (en Israël ou dans les colonies)
Journaliers, corvéables à merci avant l’apparition du Covid-19, ils ne bénéficient aujourd’hui d’aucune protection. Extrêmement vulnérables, ils font évidemment courir un risque à leurs familles et à l’ensemble des Palestiniens de Cisjordanie.
En France, le quotidien Libération a dénoncé dès le mois d’avril, les conditions de travail et de vie, imposée aux travailleurs palestiniens ainsi que des risques qu’ils encourent, une « double peine », à faire fonctionner la machine agricole ou industrielle israélienne .
Les Palestiniens citoyens israéliens
Bien que formellement citoyens israéliens, les Palestiniens (y compris ceux des grandes villes) et les Bédouins du Néguev subissent un apartheid, même en ces temps de crise qui touchent toute la société israélienne.
Adalah, le Centre juridique pour les droits de la minorité palestinienne en Israël, a dénoncé à plusieurs reprises, devant les tribunaux israéliens, les différentes discriminations dont souffrent les Palestiniens pour accéder aux soins, aux aides financières, à l’éducation de leurs enfants et à des informations en arabe. Rien qu’en juillet, Adalah a déposé 3 requêtes relatives aux discriminations que subissent les Palestiniens d’Israël dans la lutte contre le covid-19 auprès de la Cour suprême d’Israël ; elles ont toutes été rejetées.
Le 16 juillet Adalah en a fait une liste précise (11 points) qui a été remise au Haut-commissaire aux droits humains de l’ONU 3. L’association a participé à la 44e session de ce Conseil pour y dénoncer les pratiques israéliennes.
D’autres organisations 4 ont adressé lettres et pétitions auprès des différents Ministres, y compris le premier d’entre eux pour rappeler à Israël que tous ses citoyens doivent être traités de façon identique, cette obligation s’étendant d’ailleurs aux populations palestiniennes qu’Israël occupe. En vain.
Les prisonniers.
La situation des prisonniers palestiniens et de leurs familles est dramatique. Il faut savoir que ceux-ci vivent déjà dans une promiscuité étroite, souvent même dans des conditions sanitaires désastreuses.
Non seulement Israël n’applique aucune recommandation internationale ou médicale pour protéger les prisonniers du Covid-19 mais de plus la pandémie est utilisée comme prétexte pour les isoler encore plus (beaucoup de familles ont été suspendues de visite pendant 4 mois « pour raisons sanitaires »).
Au cours de notre entretien, Samah Jabr nous a expliqué que dans le cadre de la lutte anti-Covid, Israël avait libéré environ 500 prisonniers « fragiles » mais uniquement de droit commun. Les quelques Palestiniens libérés n’étaient pas des « politiques ».
Au début de l’année 2020, il y avait un peu plus de 5 000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Parmi eux, 43 femmes et surtout 194 mineurs, dont 30 âgés de moins de 16 ans !
Pandémie ou pas, Israël ne prévoit aucune mesure humanitaire pour aucun d’entre eux. Pire, le 23 juillet dernier, la Cour suprême déclarait que les règles de distance sociale nécessaires à la lutte contre le Covid-19 ne s’appliquaient pas aux prisonniers palestiniens !
Cette déclaration, totalement inhumaine était en quelque sorte la réponse d’Israël aux multiples pétitions et appels de nombreuses personnalités et associations ainsi que du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, qui avait exigé qu’Israël organise la protection des prisonniers palestiniens contre le coronavirus.
oooOooo
Il est important de faire savoir ce qui se passe en Palestine. Plus le public sera informé, plus les médias s’intéresseront à ces injustices, plus la pression sera grande sur Israël pour que son gouvernement y rétablisse un minimum d’humanité.
La Palestine gère au mieux la pandémie malgré la fragmentation mise en place et entretenue par l’occupant ; elle possède des moyens humains et des équipements, certes en nombre limité mais suffisants pour maîtriser la contamination. Cependant, elle n’a pas les moyens de faire face aux situations arbitraires, brutales et cruelles que les forces de colonisation lui imposent. Il est de notre devoir de la faire savoir au plus grand nombre.
- Chiffres transmis par Wikipédia le 31 juillet 2020.[↩]
- Par exemple, si tout était mathématiquement proportionnel, la France (30 252 décès pour 67 millions d’habitants) aurait 2 257 morts si elle faisait la taille de la Palestine (5 millions d’habitants)…[↩]
- Une version plus courte -aussi en anglais- est accessible sur leur site à : https://www.adalah.org/en/content/view/10060?mc_cid=d38cb5570e&mc_eid=%5BUNIQID%5D&mc_cid=d38cb5570e&mc_eid=0d12e7033b[↩]
- Gisha (Centre pour la liberté de movement des Palestiniens), HaMoked (Centre de défense des individus), Médecins pour les droits humains et, pour les Bédouins du Néguev, le Forum civique pour la coexistence dans le Néguev.[↩]