par Brahim Senouci
Le 25 janvier s’est tenue une conférence dont l’objet était de restituer les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine et d’en tirer toutes conséquences utiles pour combattre l’impunité d’Israël du chef des violations du droit international caractérisées à la charge de cet État.
Cette initiative est le fruit d’une action collective impliquant les groupes AFPS Paris-Centre, Sciences Po, Paris-Sud, l’UJFP, BDS-France et le CVPR-PO, soutenus par l’AFPS nationale. La conférence a eu lieu à Paris, dans l’amphithéâtre Jacques Chapsal de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Rappel…
Le tribunal Russell a tenu quatre sessions et une session de synthèse. Les quatre sessions se sont déroulées selon le même ordre : un jury, présidé par Stéphane Hessel et constitué de personnalités connues pour leur engagement pour la liberté et la justice rendait son verdict après l’écoute et le questionnement d’experts et de témoins.
La première session a eu pour cadre Barcelone, en mars 2010. Elle avait pour but de qualifier l’attitude de l’Union Européenne et d’États membres vis-à-vis de la politique israélienne d’occupation du territoire palestinien. Le jury a conclu à la complicité active de l’UE et d’États membres dans la politique de colonisation israélienne. Il a rendu le même verdict à l’encontre d’entreprises multinationales à la session de Londres de Novembre 2010. La session du Cap, en novembre 2011, était consacrée à la question du crime d’apartheid. Le jury a reconnu la validité de l’accusation au regard de la Convention de l’ONU sur la répression et l’élimination du crime d’apartheid. La session de New York, en novembre 2012, a conclu à la responsabilité des États-Unis et a pointé les manquements de l’ONU. Elle a également abordé la question du sociocide, sans conclure formellement sur la validité de ce concept.
La session de synthèse s’est tenue à Bruxelles en mars 2013. Le Tribunal a ainsi officiellement clos ses travaux, en demandant aux sociétés civiles du monde de s’emparer de ses conclusions et de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils appliquent ses recommandations. Il a aussi encouragé les sociétés civiles du monde à s’investir dans les mouvements pacifiques, notamment le BDS, initié par la société civile palestinienne.
Les orateurs inscrits au programme de la conférence étaient, par ordre de passage :
• Christiane Hessel, membre du Comité Organisateur International du Tribunal Russell sur la Palestine, autrice de « Gaza, j’écris ton nom », paru aux éditions Indigènes
• Véronique de Keyser, vice-présidente du groupe socialiste au Parlement Européen, co-autrice avec Stéphane Hessel de « Palestine, la trahison européenne », paru aux éditions Fayard et témoin à la session de Barcelone
• Ilan Pappé, historien israélien, témoin à la session de New York
• Miguel Angel Estrella, pianiste, ambassadeur de la République Argentine auprès de l’UNESCO et membre du jury à la session de New York
• Pierre Galand, coordinateur général du Comité Organisateur International du Tribunal Russell sur la Palestine
• Jean-Guy Greilsamer, membre de la campagne BDS F
• Taoufiq Tahani, Président de l’Association France Palestine Solidarité
• Frank Barat, coordinateur du Comité Organisateur International du Tribunal Russell sur la Palestine.
Le débat était modéré par Brahim Senouci, membre du Comité Organisateur International du Tribunal Russell sur la Palestine.
Après une présentation des associations organisatrices de l’événement, Christiane Hessel a pris la parole pour une brève introduction dans laquelle elle a retracé à grandes lignes les raisons de son implication et de celle de son époux, Stéphane Hessel, dans le Tribunal Russell. C’est suite à plusieurs voyages en Palestine qu’ils ont ressenti tous deux la nécessité impérieuse de s’investir dans le combat pacifique pour faire triompher le droit dans cette région du monde.
Véronique de Keyser a énoncé, de manière clinique, la longue liste des compromissions de l’Union Européenne, la surdité des gouvernements aux avertissements venant du Parlement, le choix après la victoire du Hamas aux élections de 2006 (parti dont la participation avait été exigée par l’UE !) d’ostraciser ce mouvement, précipitant ainsi la fracture du mouvement national et celle du territoire palestinien. Elle pointé la culpabilité de l’UE dans la longue descente de l’Autorité Palestinienne vers un statut de mendiant international. Elle a cependant terminé sur une note optimiste en rappelant que l’UE s’est enfin décidée à exclure les produits des colonies du champ de l’Accord qui la lie à Israël.
Ilan Pappé, en direct de Haïfa, a dénoncé l’apartheid pratiqué par l’État d’Israël et déroulé une plaidoirie en faveur d’un État commun. Dans un souci de clarification, le modérateur a rappelé que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la forme de la solution définitive, considérant qu’il n’était pas de son ressort de prendre parti sur cette question.
Miguel Angel Estrella a introduit une note très personnelle dans ce débat. Il a raconté son expérience argentine sous la dictature des colonels et son souvenir d’une cohabitation pacifique entre Juifs et non Juifs dans son pays. Il a retracé la mise sur pied de l’Orchestre salam-shalom, regroupant des musiciens des trois confessions monothéistes.
Pierre Galand a décrit la genèse du Tribunal et en a retracé l’historique, la recherche des fonds, les tentatives de briser le mur médiatique, les interpellations des pouvoirs… Il est revenu sur les contributions exceptionnelles de certains membres du jury, notamment Roger Waters, dans la médiatisation de l’événement par l’utilisation de ses réseaux de millions de fans. Il a appelé de nouveau les sociétés civiles à prendre leurs responsabilités en mettant leurs gouvernements en demeure de cesser toute compromission avec le colonialisme israélien. Le Tribunal Russell sur la Palestine ayant pour objet de dénoncer l’impunité de l’État d’Israël avec la complicité de tous les acteurs internationaux déjà mentionnés, dans ses conclusions, appelait Israël et ses « complices » à revenir au respect du droit international mais, pour le cas où ils ne le feraient pas, appelait les citoyens à intervenir eux-mêmes, prendre des initiatives, notamment par l’intensification de la campagne BDS (Boycott-désinvestissement-sanctions), de s’engager systématiquement à informer le public, prendre toutes mesures nécessaires de pression tant sur leur élus que sur les entreprises complices. C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu les interventions ultérieures.
Jean-Guy Greilsamer [<*>[Lire son intervention complète sur notre site]] a d’abord exposé sur la campagne BDS lancée le 9 juillet 2005 par plus de 170 associations de la société civile palestinienne invitant les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et mettre en œuvre des initiatives de retrait d’investissement contre l’État d’Israël, mesures de sanction non-violentes devant être maintenues jusqu’à ce que cet Etat respecte son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination. Il a présenté les développements et les effets de cette campagne dans le monde entier et, en particulier en France.
Pour sa part, Taoufiq Tahani a passé en revue les différents modes d’action qui s’offrent aux citoyens et auxquels le Tribunal appelle explicitement. Il a rappelé notamment la procédure menée contre les sociétés Alstom et Véolia qui ont participé à la construction et la maintenance d’un tramway destiné à faciliter les transports des colons vers Jérusalem. Il a insisté aussi notamment sur la question des prisonniers, rappelé l’appel à la campagne internationale lancé depuis la cellule où était emprisonné Mandela pour la libération des prisonniers politiques palestiniens et l’initiative de l’AFPS consistant à les faire parrainer par des citoyens en France.
Frank Barat a enfin décrit le « follow up » des conclusions du Tribunal. Il y est aussi question des prisonniers et d’une initiative qui pourrait entrer en résonance avec celle exposée par Taoufiq Tahani. Il s’agit d’une proposition d’Angela Davis de constituer un comité international constitué d’anciens prisonniers politiques, qui appellerait à la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers palestiniens.
En conclusion
On peut estimer que les deux-cents personnes qui constituaient le public ont tiré parti de cette rencontre. Elles ont d’abord (enfin, pourrait-on dire !) été édifiées sur le Tribunal Russell sur la Palestine et ont eu un aperçu fidèle de l’immense travail auquel il a donné lieu, travail rendu possible par la mobilisation de dizaines d’experts et de témoins, par le parrainage de plus de cent-vingt personnalités prestigieuses à travers le monde, l’abnégation d’éminents juristes attachés à aider le jury dans la rédaction de ses attendus et de ses jugements.
Ce travail a pu être conduit jusqu’à son aboutissement grâce à l’aide de donateurs, institutionnels comme la mairie de Barcelone, des syndicats, des associations, ou des particuliers… Last but not least, il faut saluer le courage des dizaines de bénévoles qui se sont acquittés de tâches souvent obscures mais qui ont toute leur part dans ce succès. Le public a aujourd’hui à sa disposition, non seulement les conclusions du Tribunal mais aussi les dizaines de rapports d’expertise et de témoignages qui les fondent. Il est désormais outillé pour le militantisme au quotidien qui consiste à convaincre l’ami, le voisin, le passant. Il est aussi protégé contre toute velléité de se voir frappé d’un discrédit moral, voire judiciaire. Il pourra utiliser sa fougue et sa force de conviction puisque sa propension naturelle à se sentir proche du peuple palestinien opprimé ne se fondera plus seulement sur l’émotion mais aussi sur un argumentaire juridique inattaquable.