L’Ujfp a toujours contesté la prétention du Crif de parler au nom
de tous les Juifs et de brandir l’accusation d’antisémitisme dès
la moindre critique du Sionisme ou de la politique israélienne. Le
Crif, lui, a toujours considéré l’Ujfp comme une assemblée de
traîtres infréquentables, parce qu’elle soutient les droits du
peuple palestinien. Pourtant, à Grenoble, des membres du CRIF et
de l’UJFP se sont rencontrés. Les divergences restent profondes
sur quasiment tous les sujets mais un premier échange a eu lieu.
Cette rencontre qui a eu lieu au restaurant du musée de Grenoble a été initiée par Jacques Tawil.
Il avait participé en tant que Palestinien de Grenoble au voyage en Israel-Palestine organisé en juin dernier par le Maire de Grenoble, avec des représentants de la communauté juive de Grenoble membres du CRIF.
Il a souhaité qu’une rencontre ait lieu entre des membres du CRIF ayant participé au voyage et des membres de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix), mouvement dont il se sent proche, afin que les uns et les autres se connaissent mieux.
Avec lui, ont participé à cette rencontre :
les membres du CRIF :
Jean-Luc Médina, président du CRIF Grenoble Isère
Georges Lachcar, président d’honneur
Jacques Thiar
Gilles Orselly
et les membres de l’UJFP :
Renée Blancheton- Siller
Jacques Schweizer
Danielle Kahn
Roger Kahn, venu nous rejoindre plus tardivement
Après avoir restitué les compétences du CRIF, celles de l’UJFP, le contexte du voyage du mois de juin, Jacques Tawil propose un échange sur nos engagements par rapport au conflit Israel-Palestine, sur les critiques faites au gouvernement israélien, et sur l’antisémitisme en France.
Le CRIF rappelle sa création à Grenoble en 1943 : il regroupait alors tous les mouvements de sauvetage des enfants juifs. Son rôle aujourd’hui réside dans la lutte contre l’antisémitisme et le soutien à l’état d’Israël.
L’ UJFP se fait le relais en France de plusieurs associations israéliennes comme Gush Shalom, Machsom Watch, Ta’ayush, Zochrot, Bat Shalom….. pour la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens et pour le respect des droits de l’Homme.
Ses adhérents s’expriment en tant que juifs, venant de familles qui peuvent être religieuses, traditionalistes, ou assimilées. Ils peuvent être eux-mêmes croyants ou incroyants, attachés ou non aux traditions, mais concernés par leur histoire. Ils peuvent aussi ne pas être juifs.
Ils s’expriment en héritiers des juifs persécutés, discriminés, combattants de la liberté et de la justice et ne peuvent supporter l’oppression, les effets pervers d‘une occupation, la brutalité des bombardements.
Les Israéliens étant aujourd’hui dans un rapport de force favorable face aux Palestiniens, ils devraient aider ces derniers à constituer leur Etat, plutôt que de leur reprocher le chaos et l’absence d’interlocuteur fiable.
J.L.Médina, G.Lachcar n’admettent ni l’occupation et ses effets pervers, ni le principe des bombardements tout comme ils condamnent les attentats terroristes.
Ils pensent cependant qu’il n’y a pas toujours le choix ; quand le plus faible fait des erreurs, il doit les assumer et le plus fort doit répondre à des actions par des actions appropriées. Donner systématiquement raison au plus faible est un déni de justice en même temps qu’un manque de considération pour le plus faible.
La critique systématique, répétitive des décisions du gouvernement israélien peut être un alibi pour exprimer son antisémitisme. Beaucoup de voix, et pas seulement dans le monde arabe, ont trouvé dans leur expression anti-israélienne un opportun alibi à leur antisémitisme. L’UJFP doit veiller au contrôle de ses alliances.
Pour J.Schweizer, critiquer le gouvernement israélien est nécessaire, comme il a fallu combattre le franquisme, l’apartheid en Afrique du Sud et tous les régimes ne respectant pas les droits de l’Homme. Le gouvernement israélien maintient l’occupation et ne respecte pas le droit international. Il continue de développer les colonies. C’est cette politique que nous critiquons.
J.L.Médina fait part de ses doutes concernant la CAPJPO-Europalestine et nous demande si l’UJFP en fait partie. La réponse est non.
L’UJFP est consciente des dérives possibles entre « critique de la politique menée par Israël » et « critique des Juifs ». Elle surveille à son niveau le mieux possible les dérives antisémites dans les écrits diffusés en France : Dieudonné, Israël Shamir et leurs émules.
En France, heureusement, le racisme et l’antisémitisme sont passibles de la loi. Si les lois françaises étaient appliquées en Israël, nombreux seraient les « superpatriotes » qui, du fait de leurs discours ou de leurs écrits, devraient passer devant les tribunaux.
L’UJFP se réjouit de la relaxe de la Cour de Cassation d’Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave, accusés de propos antisémites. L’UJFP adhère entièrement à ce qu’ils avaient écrit dans « le monde », estimant que le contexte désigne clairement le peuple israélien et non pas le peuple juif. Jean Luc Medina et Georges Lachcar pensent que le texte des trois auteurs comporte un passage de nature clairement antisémite et regrettent cette jurisprudence laxiste de la cour de cassation.
D’une façon générale, l’UJFP dénonce ces accusations systématiques d’antisémitisme à chaque critique proférée contre la politique menée par le gouvernement d’Israël.
En ce qui concerne un possible accord de paix entre Israéliens et Palestiniens, les membres du CRIF et de l’UJFP, présents à la réunion, constatent des positions relativement proches sur certains points :
D’abord leur accord sur le principe de deux états dans les frontière de 67 avec quelques compensations pour des colonies très peuplées (surface équivalente et qualité agricole équivalente) pour éviter de trop importants transferts de populations.
Sur le point de Jérusalem, capitale de deux états en partage, JL Medina trouve que le partage tel que défini dans les accords de Genève est totalement irréaliste avec les données d’aujourd’hui (comment poursuivre avec certitude et fiabilité une infraction commise dans une rue israélienne pour un individu qui se réfugie dans une rue palestinienne et vice versa ?) Il compare souvent Jérusalem de demain au Moyen Orient à Bruxelles aujourd’hui en Europe.
Accord aussi sur le droit de retour des réfugiés, reconnu selon l’initiative de Genève avec compensations et négociations au cas par cas. G. Lachcar insiste sur le fait qu’une solution globale est inacceptable et que seul le cas par cas est envisageable si on veut que les deux états voisins puissent vivre.
Chacun admet que Mahmoud Abbas est un interlocuteur fiable, mais l’UJFP demande pourquoi avoir arrêté les dirigeants Hamas du gouvernement palestinien.
Concernant la reconnaissance « implicite » d’Israël, JL Medina estime que le temps est venu, compte tenu du double langage et des non-dits qui ont tué le processus d’Oslo, d’exiger une reconnaissance « explicite » d’Israël, de la même façon que les Israéliens doivent reconnaître de façon « explicite » l’existence et le droit du peuple palestinien à posséder un état viable.
Pourquoi le gouvernement israélien a-t-il enterré le document des prisonniers que le Hamas venait d’accepter et qui marquait une reconnaissance implicite d’Israël et pourquoi ne fait-il aucun cas des autres initiatives de Paix (initiative Saoudienne, état des discussions à Taba, feuille de route du quartet, proposition Ayalon- Nusseibey, initiative de Genève…) ? Sans doute parce qu’il n’y a pas d’interlocuteur pour la Paix dans le gouvernement israélien; Ehoud Olmert a trop besoin de montrer sa force et son ascendant sur l’armée.
Les membres du CRIF soutiennent les décisions unilatérales prises par Israël : elles ont un sens, une valeur, une utilité lorsqu’elles vont dans le sens du droit international et satisfont les revendications palestiniennes comme le retrait rapide, complet et global de Gaza ou, pour le dossier libanais, le retrait du Liban en 2000, même si un accord bilatéral reste toujours préférable car il induit ou encourage un accord de paix définitif..
Pour l’UJFP seul un accord bilatéral avec des négociations peut aboutir à une solution viable à long terme car ressentie comme plus juste qu’une solution imposée.
La guerre au Liban, même si le sujet n’était pas prévu au départ, est venue par bouffées dans la discussion. Il y a eu, en particulier, des discussions sur la disproportion de la réaction israélienne à l’attaque du Hezbollah et un désaccord entre J.Schweizer et G.Lachcar sur la chronologie des évènements survenus à l’origine de l’embrasement, sur la frontière israélo- libanaise :
-pour J. Schweizer, après l’opération où des soldats israéliens ont été tués et où 2 soldats israéliens ont été enlevés, des bombardements massifs israélien sur le Liban, puis envoi de roquettes sur les villes du nord Israël par le Hezbollah ;
-pour G. Lachcar, entre l’enlèvement des deux soldats israéliens et les bombardements israéliens du Liban, le Hezbollah avait bombardé à la roquette les agglomérations de la frontière nord d’Israël.
Ce compte rendu a été relu et complété par les deux parties à l’exception d’un membre du CRIF qui le rejette en bloc et demande de ne pas le rendre public. Il nous avait dit pendant la rencontre soutenir inconditionnellement le gouvernement israélien.