Communiqué, que dis-je ! Information suite à ma rétention judiciaire du jeudi 18 Janvier.

Communiqué, que dis-je ! Information suite à ma rétention judiciaire du jeudi 18 Janvier.
Comme dirait notre cher et tendre Préfet « Ici on ne communique pas, on informe» !!
(J’adore ce slogan ! Donc sans son autorisation je me permets de le lui voler !)
Et oui pour la 9ieme fois j’ai retrouvé mes chers camarades de la PAF de Nice.
J’ai été mis sous les verrous pendant 26 heures…

Bref, comme tous les jeudis je livre, magasins, épicerie AMAP* à Nice.

Comme tous les jeudis, depuis le 24 Juillet suite à ma mise en examen, je passe par cette route sinueuse passant de cols en cols et rejoignant Nice, car sous contrôle judiciaire depuis mon arrestation en gare de Cannes, il m’est interdit de passer par l’Italie de peur que je croise un petit noir et l’aide à rejoindre la France pour profiter de nos acquis sociaux et prendre la place de nos SDF Français.

Mais en début de semaine dernière, suite aux intempéries, la route sinueuse s’effondre et m’oblige à passer par l’Italie afin de rejoindre Nice pour livrer mes œufs extra frais et ma tapenade connue à l’internationale. Je demande donc à mes conseils d’en avertir la juge qui instruit ma mise en examen. Problème de fax, la juge ne reçoit pas cette information…oups !

Une semaine avant les faits, le jeudi 11 janvier, 15h02, je m’apprête à prendre le volant de ma super voiture que mes proches surnomme « La poubelle », je pense par jalousie… surgissent de nul part deux fourgonnettes bleues marines gyrophare en alerte qui m’interpellent et demandent mes papiers ainsi que ceux de mes 3 compagnons.

Les gendarmes mobiles prennent leur aises, nous tutoient, obligent mes compagnons à sortir les mains des poches… J’oubliais de vous préciser ! Mes compagnons sont de couleur noire, en situation régulière : mais ce n‘est pas marqué sur leur front qu’ils sont en situation régulière…qu’ils sont noirs, si.

Les gendarmes se permettent d’entrer sur ma propriété privée sans mon consentement et ça, ça me fait pas très plaisir. Donc j’informe la hiérarchie du zèle de ces beaux hommes forts testostéronnés, bref, la routine, mais bien heureusement, fin de la discorde. Je saute dans mon bolide et descends direction Nice passant par Italie.

Jeudi d’après, le 18 janvier donc, route toujours bloquée, je réitère ma mission « Oeufs-Tapenade ». R.A.S, pas de beaux Gendarmes Mobiles en vue. Au volant de « la poubelle » je tente de rejoindre Nice en passant par la route interdite. En chemin, une voiture de police italienne gyrophare allumé me double, passe devant moi, et roule à mon allure. Je me dis : « bizarre… » mais quand on passe souvent en cellule on apprend à être méfiant, voire parano. Je reprends courage et détermination et continue ma route suivant le gyrophare rythmant mon allure, je trouve ça joli la lumière bleue caressant les murs, et comme toutes belles choses ont une fin, la lumière bleue change de route et me quitte. Déçu je continue quelques kilomètres, arrivé sur la bretelle de l’autoroute je m’insère, j’arrive au péage de Vintimille et ma méfiance d’homme persécuté (tendance parano) m’oblige à scanner du regard l’ensemble du péage. Sur ma gauche un policier en civil, aussi discret qu’un jeune soudanais dans le train Vintimille-Menton, croise mon regard, il pense se cacher en tournant la tête, la barrière du péage s’ouvre, le policier retourne le regard vers moi. Je ne vois que lui, impossible qu’il soit seul. Je redémarre puis 200 mètres plus loin, garé sur la gauche, un véhicule banalisé et un des policiers en civil me filme. Je passe à sa hauteur et lui fais mon plus beau sourire et je le reconnais : c’est un policier de la Brigade Mobile de Recherche de la PAF de Nice. Là je me dis : la mission « Œufs-Tapenade » va être compromise…

Je roule quelque kilomètres et j’arrive vers le fameux péage de la Turbie et là se présente à la barrière une dizaine de policiers. On me demande de sortir du véhicule et je me retrouve mains dans le dos, menotté, le front collé sur le fourgon de CRS et là je me dis : mission Œufs-Tapenade annulée… Par la suite j’apprends que c’était une opération policière de collaboration franco italienne anti passeur mais annulée par l’interpellation imminente de Cédric Herrou en mission spéciale Œufs-Tapenade.

Je cache mon inquiétude, comment se fait il qu’un si gros dispositif policier franco-italien d’une telle amplitude soit levé sous un tel prétexte… Sachant les policiers de la PAF en grève pour manque de moyens, et un préfet très exigeant des résultats de la PAF… Bref, qu’est-il plus important pour les services préfectoraux ? La lutte contre l’immigration ou la lutte contre la mission Œufs-Tapenade ?

Quelques questions basiques me sont posées par les policiers puis hop ! En cellule ! Le policier m’accompagne, sonne à la porte du centre de rétention, un jeune policier en uniforme ouvre, l’odeur est comparable à un squat de junkies, encens allumé tentant de camoufler l’odeur d’urine ammoniaquée. Dans le hall, le faux plafond tombe. Déchaussé, ceinture enlevée, élastique de mon chignon enlevé, c’est bon je suis dans l’ambiance, je ressemble à un junkie les cheveux lâchés, le pantalon tombant, et l’air dépité. Dans ma cellule de 5 mètres carrés, de la sauce tomate sur les mur, ah non ! c’est pas de la sauce, c’est de la merde… Après quelques heures debout à côté du banc de béton démuni de matelas et de couverture, je contemple les chiottes turques couvertes d’une croûte craquelée marron-jaune. Des moustiques que je n’ai jamais vu ailleurs que dans ces cellules, sûrement une espèce endémique…

Le but de la prison c’est d’humilier pour mieux manipuler. On peut être considéré comme une merde quand on se sent comme une merde, une torture de l’esprit banalisée et tolérée mais orchestrée.

Après une nuit passée parmi les moustiques endémiques, les cris et les pleurs des détenus frappant incessamment sur les portes de fer, l’histoire se déroule clairement dans mon esprit : informée par les gendarmes mobiles de la semaine passée, la PAF savait que j’allais passer par l’Italie, je me suis fait piéger comme à Cannes le 24 juillet dernier, lors de mon interpellation avec des demandeurs d’asile entraînant ma mise en examen. La colère monte, huit heures du matin, nouvelle audition, vexé, je refuse de répondre.

Je demande à voir la Juge ! Ça tombe bien, elle aussi voulait me voir. Après quelques heures je suis transféré de Nice à Grasse par 3 policiers de la PAF. La Mégane banalisée équipée d’un gyrophare et d’une sirène hurlante slalome entre les voitures, doublant à droite à gauche ; il y avait extrême urgence, Herrou et sa mission Œufs-Tapenade étaient convoqués par la Juge ! 22 minutes après notre départ de Nice nous voilà au Tribunal de Grasse, avec une grosse envie de gerber. Je suis mis dans une cellule, un jeune de la geôle d’à côté se tape la tête sur la porte, le surveillant lui propose de fermer sa « grande gueule » et lui donne un mouchoir en papier… La même odeur d’urine et de peur, et cette sensation de se sentir comme une merde…

J’attends. D’après la conduite du policier j’estime que je ne devrais pas attendre trop longtemps… Mal estimé, j’attends 5h30 ce qui me donne le temps d’avoir peur d’être incarcéré à la prison de Grasse pour non respect du contrôle judiciaire… ma crainte c’est l’obligation du bracelet comme alternative. Je n’ai jamais mis de collier à mes chiens, ni porté d’alliance, je suis un Homme libre, je ne suis pas un animal à domestiquer, je décide dans l’éventualité de refuser le bracelet et de me retrouver en centre de rétention. Du coup, j’ai encore plus peur et je commence à regretter ma mission Œufs-Tapenade…

Plus tard on m’invite à rejoindre le bureau de la Juge accompagné de Zia Oloumi mon avocat, qui m’informe froidement que si incarcération, dans un mois max je serai dehors et que c’est pas pire, qu’un client avait appris à parler Français rapidement et qu’un autre faisait des études de droit… Bref, j’ai encore plus peur… Nous sommes invités a entrer dans le bureau sobre et silencieux.

La Juge me reproche d’avoir refusé de répondre aux policiers lors de mes auditions. Je lui explique que j’ai subi 9 gardes à vues depuis un an et demi alors qu’auparavant je n’avais jamais eu de problème avec la justice. Que ma volonté n’était pas de contourner la loi mais de faire progresser le droit pour les exilés. Que j’agis pour dénoncer un problème d’ordre public, que l’État a le devoir d’agir pour le bien de toutes et tous sans discrimination et distinction. Que je ne comprenais pas la démesure de ma criminalisation par la justice… Bref… j’ai peur… La Juge consciente et sensible à cette situation et … ma peur … me laisse libre, ouf, ça y est j’ai soif je n’ai plus peur de la prison, je veux fumer des clopes et boire plein de bières. Comme si de rien n’était je rentre à mon domicile rassuré de ne pas finir en prison pour avoir osé entreprendre la mission Œufs-Tapenade…
C.H

Par Cédric Herrou.