Communiqué de Presse du Comité de soutien aux 3+4 de Briançon

Par le Comité de soutien aux 3+4 de Briançon.

Communiqué de presse du 30 octobre 2018

NOUVELLE ALERTE À LA POPULATION FACE À LA POURSUITE DES VIOLENCES POLICIÈRES ET DES ATTEINTES AUX DROITS DES PERSONNES EXILÉES À LA FRONTIÈRE FRANCO-ITALIENNE DU BRIANÇONNAIS.

Résumé

L’association Tous migrants a déposé deux nouveaux signalements auprès du procureur de la République pour des faits impliquant des membres des forces de l’ordre à la frontière :

⁃ guets-apens et courses-poursuites en montagne, accompagnés de gestes menaçants, armes au poing ;
⁃ propos menaçants et insultants ;
⁃ actes de violence physique et psychologique ;
⁃ obligation d’exécuter des gestes humiliants sous la contrainte ;
⁃ vols d’argent et de téléphone ;
⁃ destruction de documents d’identité ;
⁃ faux en écriture ;
⁃ délaissement de personnes vulnérables.

Ces signalements obligent les responsables hiérarchiques des forces de l’ordre sur le département. La poursuite et l’aggravation des violations des droits fondamentaux à la frontière depuis le printemps dernier, et l’attitude de déni dont ces responsables ont fait preuve jusqu’ici, posent un grave problème à notre démocratie alors que ces violations ont été maintes fois dénoncées par :

– une quinzaine d’alertes et communiqués de Tous Migrants depuis novembre 2016,
– l’avis de la CNCDH, consécutif à ses missions dans les Hautes-Alpes et les Alpes Maritimes de mars et avril 2018, publié au journal officiel le 1er juillet 2018,
– le communiqué inter associatif du 16 octobre 2018 suite aux observations effectuées les 12 et 13 octobre 2018 par une cinquantaine de bénévoles, 6 avocats du barreau de Gap et 3 avocats italiens,
– les signalements et plaintes déposés par nos avocats,
– les décisions de justice invalidant certaines décisions prises par la préfecture, le Département et la Direction académique ne respectant pas les droits de personnes exilées et notamment de mineurs isolés.

La grave dérive à laquelle nous assistons ne fait que s’accentuer. Nous refusons que soient bafoués les principes qui sont au fondement de notre société.

Dans l’immédiat, il convient que les représentants de l’État prennent toutes les mesures nécessaires pour faire cesser sans délai toutes les violences, bannir des pratiques policières toutes formes de traque, et pour qu’enfin les droits fondamentaux des personnes exilées qui frappent à notre porte soient respectés, en s’appuyant sur les recommandations de la CNCDH et du Défenseur des droits.

Il convient également de cesser toute intimidation et poursuite envers les personnes solidaires.

Depuis la création de notre mouvement citoyen en septembre 2015, nous avons lancé de nombreuses alertes dénonçant les atteintes aux droits des personnes exilées, depuis leurs tentatives périlleuses d’entrée en France jusqu’à leur possibilité effective de demander l’asile, d’aller à l’école, d’entrer en formation, en passant par la possibilité d’avoir un toit.

Face à l’incurie de l’État et du Département au cours du printemps et de l’été 2017, et malgré le soutien de la Communauté de Communes du Briançonnais, le professionnalisme des personnels hospitaliers, l’engagement des associations locales et la mobilisation de centaines de citoyens, nous avons appelé à l’aide les associations nationales en septembre 2017. Ces associations nationales sont venues sur place, ont confirmé nos constats et apportent désormais leur soutien aux acteurs locaux.

Alertée par plusieurs de ces associations, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a réalisé deux missions d’observation à la frontière franco-italienne, l’une dans les Hautes-Alpes les 19 mars et 20 mars 2018, et la seconde dans les Alpes-Maritimes les 12 et 13 avril 2018. À la suite de ces missions, la CNCDH a publié un avis accablant au regard de la gravité de la situation qu’elle a pu constater. Nous citons : « Lors de ses deux déplacements, la CNCDH a été profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels. Malgré des différences selon les lieux, la CNCDH ne peut éviter de dresser un constat sévère sur une volonté politique de bloquer les frontières au détriment du respect du droit à la vie et à l’intégrité physique des personnes migrantes, contraintes d’entreprendre des parcours de plus en plus dangereux à travers les Alpes, comme en témoignent de multiples récits douloureux et attentatoires à la dignité. »

Le constat accablant établi par la CNCDH repose, on le rappelle, sur une mission d’enquête effectuée au mois de mars 2018.

Or nous observons un point de bascule depuis fin avril 2018, période au cours de laquelle des actions dangereuses et illégales ont été réalisées par un groupuscule suprémaciste. Ces actions indignes et révoltantes, pourtant revendiquées et fortement médiatisées par le groupuscule lui-même, ont bénéficié de fait d’une tolérance de l’Etat et même d’une complicité de certains membres des forces de l’ordre.

Nous assistons depuis cette période à une montée des violences policières, comme si l’impunité dont ont bénéficié ces milices suprémacistes avait réveillé chez certains membres des forces de l’ordre des pratiques héritées d’un autre âge de sinistre mémoire :

guets-apens et courses-poursuites en montagne, accompagnées de gestes menaçants, armes au poing ;
propos menaçants et insultants ;
actes de violence physique et psychologique ;
obligation d’exécuter des gestes humiliants sous la contrainte ;
vols d’argent et de téléphone ;
destruction de documents d’identité ;
faux en écriture.

Ces faits ont été relatés par des personnes exilées qui en ont été victimes directes ou témoins. Des dizaines de témoignages ont été recueillis par nos soins depuis l’hiver dernier jusqu’à la période présente, sachant que notre disponibilité pour ce recueil est limitée et aléatoire. Au total, cette disponibilité cumulée ne représente que quelques journées.

Une observation systématique, réalisée les 12 et 13 octobre dernier avec une cinquantaine de personnes représentant une dizaine d’associations, accompagnés de 6 avocats français et 3 avocats italiens, a permis de constater le contrôle de 28 personnes à la PAF dont 26 ont été refoulées sans que leurs droits soient respectés. Parmi ces 26 personnes, 8 s’étaient déclarées mineures auprès des forces de l’ordre. Cette séquence d’observation continue a permis de recueillir 13 témoignages faisant état de :

Contrôles discriminatoires.
Délation.
Courses-poursuites dans la montagne.
Propos violents lors d’interpellations et/ou pendant la procédure au poste de la PAF. o
Absence de notification des droits lors de la procédure de non-admission sur le territoire français (droit à un interprète ; droit de contacter un proche, un avocat, un conseil ; droit aux soins ; droit de demander à entrer sur le territoire au titre de l’asile).
Absence de prise en compte de la minorité des personnes se déclarant mineures mais n’étant pas en possession de documents d’identité.
Absence de délivrance de refus d’entrée dans certains cas.
Refus d’accès aux soins pour des personnes blessées qui ont demandé à voir un médecin au poste de la PAF.
Etat d’affaiblissement important de nombreuses personnes, à la fois sur le plan physique et psychologique.

11 référés libertés ont été déposés à l’occasion de cette action devant le tribunal administratif de Marseille, dont 8 pour des mineurs isolés.

Ces actions en justice s’ajoutent à des actions précédentes où le tribunal administratif a cassé des décisions de la Préfecture, du Conseil départemental et de la Direction Académique.

Après toutes nos alertes depuis 2 ans, l’avis de la CNCDH du 1er juillet 2018, le communiqué de presse inter associatif relatant l’action d’observation des 12 et 13 octobre dernier, les décisions de justice qui commencent à tomber, nul responsable des services de l’Etat ou du Département ne peut prétendre ignorer la gravité de la situation.

Il en est de même du représentant du ministère public auprès des tribunaux, à la suite des signalements déposés par nos avocats et de plusieurs plaintes de victimes, dont celle de la soeur de Blessing Mathew, disparue le 7 mai aux environs de 6 heures du matin à l’issue d’une course poursuite des forces de l’ordre aux abords de la Durance à La Vachette.

Il ne s’agit pas de condamner en bloc les forces de l’ordre, ni même de jeter le discrédit à leur encontre. Des témoignages montrent que certains membres des forces de l’ordre et certaines équipes se comportent normalement, c’est-à-dire avec politesse et respect. Certains témoignages font état de désaccords, de tentatives de calmer des collègues, ou encore de gestes d’empathie.

Si l’attitude souvent entendue consistant à dire « Je ne suis pas responsable, je me contente d’exécuter les ordres », pose question lorsque les ordres sont illégaux, et plus encore lorsqu’ils sont inhumains, il est clair que les principales responsabilités incombent aux plus hauts niveaux de la hiérarchie.

Cette mise en cause de la responsabilité hiérarchique n’a pas pour objet de démasquer des coupables mais de comprendre comment notre système administratif peut abriter des mécanismes de violence institutionnelle. On pourrait même parler de racisme institutionnel envers des populations que ces administrations considèrent de fait comme indésirables, et qu’il est donc souhaitable et même nécessaire de rejeter, ignorer, délaisser. Dans tous les cas ces populations sont considérées par ces administrations comme non dignes des droits ordinaires, le mépris à leur endroit est possible et le passage à l’acte n’est pas sanctionné. Alors la violence peut s’exercer.

Dans son avis rigoureusement étayé en faits et argumenté en droit, la CNCDH se penche « successivement sur les nombreuses violations des droits fondamentaux lors du passage de la frontière (I), sur l’accès à une protection internationale au titre de l’asile (II), et sur le non-accueil comme politique assumée par les autorités (III). Elle soulignera également le traitement, par les autorités, des aidants, poursuivis pour délit de solidarité, alors que leurs actions n’ont d’autre objet que de pallier les carences de l’Etat (IV). Enfin, elle entend attirer l’attention des autorités sur la situation particulièrement préoccupante des mineurs non accompagnés (V) ainsi que des victimes de traite des êtres humains (VI). »

Nous nous limiterons ici à rappeler quelques unes des recommandations effectuées par la CNCDH :

Recommandation n°1 : « La CNCDH exige le plus strict respect des dispositions prévues par la loi. Elle alerte sur les interprétations volontairement restrictives, voire erronées, qui en sont faites, au détriment des droits des personnes migrantes. Elle demande en particulier la conduite d’un entretien individuel, la notification des droits dans une langue comprise par l’intéressé, l’examen approfondi de sa situation ainsi que le respect du droit au jour franc. »

Recommandation n°3 : « La CNCDH invite l’Etat français à revoir sa politique de contrôle des frontières afin que celle-ci ne participe pas à la mise en danger des personnes migrantes. »

Recommandation n°4 : « La CNCDH recommande que les personnes migrantes soient systématiquement et effectivement informées de leur droit de demander l’asile en France. »

Recommandation n°5 : « La CNCDH recommande une formation plus spécifique des agents de la PAF sur les questions liées à l’asile et la mise en place de procédures objectives de contrôle de la conformité du comportement de ces agents à la réglementation dans ce domaine. »

Recommandation n°6 : « La CNCDH recommande de garantir et faciliter l’accès à la demande d’asile dans les Alpes-Maritimes et dans les Hautes-Alpes. Elle recommande en particulier la création d’une PADA dans les Hautes-Alpes. »

Recommandation n°7 : « La CNCDH demande à l’Etat de garantir la mise à l’abri à la frontière des exilés afin de leur permettre de se reposer quelques jours. Cette mise à l’abri ne devrait pas être subordonnée à l’examen de la situation administrative des concernés. »

Recommandation n°8 : « Afin de permettre une prise en charge globale et adaptée de toutes les personnes migrantes, majeures et mineures, nécessitant des soins, la CNCDH recommande le renforcement des ressources allouées aux permanences d’accès aux soins de santé tant au niveau humain que matériel. Elle recommande aussi la mise en place d’un dispositif de prise en charge des souffrances psychologiques avec recours à des interprètes ou des médiateurs culturels et une formation spécifique des professionnels de santé à ce type de prise en charge. »

Recommandation n°12 : « La CNCDH recommande de mettre fin immédiatement aux intimidations, poursuites et condamnations des aidants et de ne plus entraver les actions des associations venant en aide aux migrants. »

Recommandation n°13 : « La CNCDH recommande à nouveau que les pouvoirs publics concentrent leurs moyens et leurs actions dans le renforcement de la capacité d’accueil et d’accompagnement des personnes migrantes, afin de garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux, au lieu de cibler jusqu’au harcèlement ceux qui leur viennent en aide. »

Recommandation n°14 : « La CNCDH recommande de cesser tout renvoi immédiat de mineurs en Italie, de respecter les garanties légales et de mettre un terme aux pratiques visant à modifier les dates de naissance sur les refus d’entrée. »

Recommandation no 15 : « La CNCDH rappelle que l’évaluation doit se dérouler dans des conditions dignes et que le doute doit profiter au mineur, sans inverser la charge de la preuve. »

Recommandation no 16 : « La CNCDH appelle à une meilleure formation des personnels qui évaluent les récits des mineurs (formation en droit des mineurs, en parcours migratoires et en géopolitique) afin d’assurer à ces derniers une évaluation approfondie de leur situation. »

Recommandation no 17 : « La CNCDH recommande une meilleure prise en charge des jeunes « déminorisés » et qu’ils soient informés de leurs droits, afin notamment de leur permettre de déposer un recours. »

Recommandation no 18 : « La CNCDH recommande une intégration effective des mineurs non accompagnés dans le système de l’éducation nationale. Elle recommande notamment de prévoir des cours de français intensifs pour qu’ils puissent s’intégrer le plus rapidement possible. »

Recommandation no 19 : « La CNCDH recommande de garantir l’accès aux soins de tout jeune se déclarant mineur et de veiller à ce qu’un bilan médico-psychologique soit effectué, avec un renforcement des structures et des moyens. »

L’avis de la CNCDH comporte également tout un volet relatif aux victimes de la traite d’êtres humains, qui ne se réduit pas aux personnes mineures isolées même si celles-ci sont particulièrement vulnérables. Entre autres lacunes pointées par la CNCDH, « l’application systématique de la procédure de non-admission sans entretien approfondi fait courir aux victimes, lors de leur renvoi en Italie, le risque d’être exposées à des représailles ou à des reprises par le réseau de trafiquants qu’elles auraient pu fuir en arrivant en France. »

La dérive à laquelle nous assistons est grave et nous refusons que nos institutions et ceux qui les dirigent bafouent les principes qui sont au fondement de notre société. Il est vital de repenser le fonctionnement de nos institutions pour empêcher ces dérives.

Dans l’immédiat, il convient de faire cesser sans délai toutes les violences, de bannir des pratiques policières toutes formes de traque, et de respecter les droits fondamentaux en s’appuyant sur les recommandations de la CNCDH et du Défenseur des droits.

Il convient également de cesser toute intimidation et poursuite envers les personnes solidaires.

Gap, 30 octobre 2018


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