Par Jean-Guy Greilsamer, membre de l’UJFP.
Je suis né en 1946 dans une famille juive alsacienne et mes deux parents étaient rescapés du génocide nazi.
Toute ma famille était juive, et mes deux grands-pères, que je n’ai pas connus, étaient marchands de bestiaux.
Mes parents ont quitté l’Alsace en 1948 pour aller s’installer en Haute-Marne.
Ils parlaient entre eux, ainsi que ma grand-mère, le dialecte judéo-alsacien et évoquaient souvent des souvenirs de leur vie avant la seconde guerre mondiale.
Ils pratiquaient les grandes fêtes et cérémonies juives et j’ai baigné dans cette ambiance jusqu’à ma Bar Mitzva (à l’âge de 13 ans), que j’ai bien vécue – j’ai même traversé une phase où je me sentais croyant.
Ils étaient d’idéologie sioniste, mais bien qu’ils n’étaient pas indifférents au fait que j’adhère ou non à cette idéologie, ils n’ont pas exercé sur moi de pression à cet égard. Très marqués par la seconde guerre mondiale et les atrocités des persécutions et du génocide nazis, ils ne demandaient pas que j’adhère au sionisme pour honorer cette mémoire. La récupération indécente de la mémoire de la Shoah par les sionistes n’était pas encore de mise dans la communauté juive d’après-guerre.
Comme aucune relation familiale proche ne vivait en Israël, comme mes parents n’étaient pas des anciens résistants (ni des anciens collabos) et comme je n’ai pas été victime de comportements antisémites, le fait d’être de racine juive avait peu d’importance pour moi, et ne me motivait pas à me sentir sioniste ou non. Je cherchais plutôt à m’évader d’une certaine mentalité traditionnelle de mes parents, qui vivaient une vie repliée, et à fuir en somme une certaine grisaille familiale.
Au cours de la période précédant mai 68, j’ai adhéré au PSU et étais intéressé par son orientation (sioniste « de gauche ») concernant Israël, mais sans chercher à l’approfondir.
Et pendant mai 68 je n’éprouvais aucun besoin de manifester mes racines juives.
Puis après mai 68, l’ambiance a changé. Il y a eu un éveil des minorités nationales (et autres), d’intéressants livres sur l’histoire des résistants ou des révolutionnaires juifs sont parus, notamment « Le Yiddishland révolutionnaire », d’Alain Brossat et diverses biographies. J’avais alors adhéré à une association maoïste qui prenait très au sérieux la discipline révolutionnaire, et tout naturellement tous les Juifs révolutionnaires ou résistants antinazis devenaient pour moi des références historiques et morales dans lesquelles je m’enracinais. Je tenais à me reconnaître dans l’Histoire juive (en réalité surtout européenne) au lieu de l’Histoire de France. En même temps, quand je participais aux manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, il ne me venait pas à l’esprit de m’y afficher en tant que Juif.
Et voici qu’entre 1990 et 1993 je suis devenu militant écolo assidu. Alors là j’étais persuadé, et encore aujourd’hui, qu’être écolo est sans rapport avec le fait d’être Juif ou non, de sorte que mon identité juive a sommeillé.
Entre 1994 et 2000 je me suis intéressé à ma généalogie familiale, ai découvert que toute ma famille était juive depuis au moins 3 siècles, et ai assisté à des conférences du cercle de généalogie juive – mais tout cela, je le reconnais, est sans rapport avec un souci de me situer par rapport au sionisme.
C’est suite à l’échec des accords d’Oslo et à l’arrivée de Sharon au pouvoir que je me suis progressivement et naturellement intégré au mouvement de solidarité avec le peuple palestinien. Peu avant d’adhérer à l’UJFP j’ai adhéré à un comité Palestine, et avant d’adhérer à l’UJFP je me suis demandé si j’étais assez juif pour pouvoir sincèrement adhérer à une association juive, vu que ma vie quotidienne n’était guère juive – hormis lors des rencontres familiales.
A l’UJFP j’ai rencontré d’autres Juifs et ai fini par me considérer comme un Juif non pratiquant très mobilisé contre la politique israélienne. D’ailleurs et simultanément, le fait de vivre principalement avec des non juifs qui sont très intéressés par mon histoire familiale m’a probablement rendu plus juif que je ne le serais sinon !
Sur la question du sionisme, jusqu’à il y a plusieurs années je n’ai pas éprouvé le besoin de me considérer comme antisioniste (mais n’étais pas du tout hostile à l’antisionisme) parce que je pensais qu’il y avait 2 acceptions du mot sionisme : soit l’adhésion à la politique israélienne, soit le droit des Juifs de vivre en Israël. Or ce droit étant réalisé, le sionisme était donc réalisé (c’est le point de vue de par exemple Théo Klein) et l’objectif des mobilisations de solidarité avec le peuple palestinien était alors de militer pour les droits de ce peuple à l’égalité avec la population juive. Il ne me semblait pas crucial de trancher entre ces 2 acceptions.
Puis deux considérations m’ont conduit à m’estimer antisioniste.
D’abord les attaques sionistes amalgamant antisionisme et antisémitisme m’ont suscité la conviction que si les antisionistes antiracistes ne sont pas défendus par les antiracistes, ce seront les racistes du genre Dieudonné et Soral qui seront les parangons de l’antisionisme, ce qui aurait de graves conséquences.
Et ensuite j’ai toujours eu une autre conviction, à savoir que le sens de certains mots peut évoluer, ou plus précisément que si des mots peuvent avoir plusieurs sens l’un de ces sens peut devenir prédominant.
Alors, face à l’accentuation tragique de la politique coloniale, d’apartheid et d’épuration ethnique de l’Etat d’Israël il m’est devenu de plus en plus clair que le mot « sioniste » caractérise on ne peut mieux le colonialisme particulier qu’est le colonialisme israélien, de sorte que s’opposer à cette politique c’est être antisioniste.
Colonialisme bien particulier, puisque sans métropole et sans identification homogène d’une origine linguistique, territoriale et culturelle des colonisateurs.
Colonialisme raciste basé sur l’élimination nationale, politique, sociale et culturelle du peuple autochtone.
Colonialisme qui s’appuie sur une force de frappe percutante acceptée par les grandes puissances : le chantage permanent à l’antisémitisme.
Je tiens maintenant à préciser mon rapport à l’antisionisme.
Il est important de reconnaitre que le sionisme est une idéologie qui s’est en quelque sorte mondialisée et qui est portée par beaucoup plus de non Juifs que de Juifs. Ainsi aux Etats-Unis il y a environ deux fois plus de sionistes non Juifs (surtout les chrétiens évangélistes) que de Juifs dans le monde entier.
L’antisionisme fait partie des justes politiques « anti ». D’autres exemples de politiques « anti » sont, en vrac, les politiques : anti-nucléaire, anticapitaliste, anti-productiviste, anti logements indignes, anti-pesticides, anti-privatisations …, et la liste peut être très longue.
Il est important de soutenir les révoltes « anti », et il est important aussi de s’intéresser aux politiques alternatives. Par exemple les mobilisations anti-nucléaires ne peuvent être vraiment victorieuses que si une politique vivable de production de l’énergie est initiée.
Qu’en est-il de l’antisionisme ? La base du sionisme est un rapport raciste, colonial, discriminatoire, au vivre ensemble de populations d’origines communautaires, religieuses et culturelles différentes.
Les alternatives à cette politique sont les alternatives à ce rapport précis. C’est pourquoi je m’y intéresse et c’est pourquoi je m’intéresse par exemple à l’expérience actuelle de la Fédération démocratique de Syrie du Nord, qui promeut une politique alternative en ce domaine – et qui plus est au Moyen-Orient.
Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne suis pas un inconditionnel des formations politiques que je trouve positives, parce que toute formation politique n’est jamais immuable mais toujours en devenir, et par ailleurs les expériences positives ne sont pas transposables mécaniquement n’importe où.
Et je suis pour un soutien inconditionnel aux révoltes antiracistes contemporaines. Mais je ne me reconnais pas dans la formule « Faisons d’abord table rase du passé, et après on verra »
Je suis pour un antisionisme antiraciste ferme et persévérant.
Mais j’ai besoin aussi d’éprouver qu’un autre monde est possible et de m’intéresser aux processus alternatifs qui conduisent au remplacement d’un monde mauvais non pas par un autre monde mauvais, mais par un monde vivable.
Jean-Guy Greilsamer