Israël a épousé l’idée tribale de la citoyenneté qui a conduit aux deux guerres mondiales, et cherche à en faire le modèle à suivre auprès de certaines sections de l’opinion publique occidentale.
La polarisation au sein des sociétés occidentales sur les questions liées à l’émigration et aux droits de l’homme s’est intensifiée au cours des dernières semaines et des derniers mois. Pour de nombreux observateurs, il semble qu’un ordre international en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – qui met l’accent sur les droits universels comme moyen de prévenir la déshumanisation et les conflits – soit en train de disparaître rapidement en Europe comme aux États-Unis.
Gérer la « crise des migrants »
Ainsi, dans les États-Unis de Donald Trump, il est apparu que des milliers d’enfants avaient été arrachés à leurs parents alors qu’ils essayaient d’entrer sur le territoire américain à travers sa frontière méridionale, et que certains ont été détenus dans des cages ; la Cour suprême a confirmé le droit des autorités frontalières d’interdire l’entrée aux musulmans de certains pays ; et Washington a quitté le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, une institution clé pour la surveillance des violations des droits de l’homme.
Pendant ce temps, les partis d’extrême droite à travers l’Europe connaissent des succès électoraux croissants en raison des craintes provoquées par la vague d’arrivée de migrants qui fuient les guerres et la faim en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ralliant les positions anti-immigration tranchantes des gouvernements hongrois et polonais, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini a ainsi refoulé des ports de son pays plusieurs bateaux remplis de migrants.
Il semble qu’un ordre international en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – qui met l’accent sur les droits universels comme moyen de prévenir la déshumanisation et les conflits – soit en train de disparaître
Il a en outre appelé l’Union européenne (UE) à « défendre sa frontière » et à refuser l’accès aux groupes de défense des droits de l’homme, tout en menaçant de couper la contribution de son pays au budget européen si aucune mesure n’était prise contre les migrants. Salvini fait partie des hommes politiques italiens qui demandent l’expulsion de la minorité rom.
D’autres gouvernements européens, l’Allemagne en tête, ont appelé à la tenue rapide d’un sommet fin juin pour examiner les options face à la « crise des migrants », craignant une instabilité politique interne susceptible de compromettre leur domination.
Enfin, les efforts de la Grande-Bretagne pour négocier sa sortie de l’Union européenne viennent assombrir les débats, portant un coup qui pourrait à terme mener à l’effondrement de la totalité de l’édifice européen.
Deux idées de citoyenneté
Ce ne sont pas là des événements fortuits. Ils font partie d’une tendance à l’effondrement progressif d’un ordre international construit au cours des 70 dernières années et représenté par des institutions pan-nationales telles que les Nations unies et l’UE. Et cette tendance s’accélère.
Alors que les preuves suggèrent qu’il n’y a pas de crise migratoire particulière en ce moment, il existe des facteurs à long terme qui provoquent des craintes populistes et qui peuvent être facilement exploités, notamment concernant l’épuisement de ressources essentielles comme le pétrole et les changements environnementaux.
Ensemble, ils ont attisé les conflits liés aux ressources et ont commencé à provoquer une contraction des économies mondiales. Ils ont eu pour effet de provoquer des ondes de choc idéologiques et politiques qui ont mis sous une pression sans précédent un système ancien d’accords et de normes internationaux. La lutte à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est la même que celle qui s’est déroulée il y a un siècle en Europe autour de conceptions différentes de la citoyenneté.
Au début du XXe siècle, l’Europe occidentale était déchirée par des nationalismes ethniques : chaque État était considéré comme représentant un peuple biologique séparé – ou, selon la terminologie de l’époque, une race ou Volk. Chacun pensait avoir besoin d’un territoire pour exprimer son héritage, son identité, sa langue et sa culture. En l’espace de quelques décennies, ces nationalismes antagonistes ont déchiré l’Europe à travers deux « guerres mondiales ».
À l’époque, le nationalisme ethnique était opposé à une vision alternative de la citoyenneté : le nationalisme civique. Il vaut la peine de souligner brièvement la différence entre les deux.
La lutte à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est la même que celle qui s’est déroulée il y a un siècle en Europe autour de conceptions différentes de la citoyenneté
Les nationalistes civiques s’appuient sur des idées libérales de longue date qui privilégient une identité politique partagée fondée sur la citoyenneté au sein de l’unité territoriale stable d’un État démocratique. Dans cette optique, l’État devrait aspirer – du moins en théorie – à la neutralité vis-à-vis des minorités ethniques, de leurs langues et de leurs cultures.
Le nationalisme civique est fondé sur les droits individuels, l’égalité sociale et la tolérance. Son côté négatif est une tendance inhérente à atomiser les sociétés en individus et à donner à la consommation la priorité sur d’autres valeurs sociales. Cela a facilité la capture du système politique par de puissantes multinationales et conduit à l’émergence d’économies capitalistes néolibérales.
Quand les minorités deviennent des boucs émissaires
Les nationalistes ethniques, en revanche, croient en des peuples distincts dotés d’un héritage et d’ancêtres communs. Ces nationalistes résistent non seulement à l’idée que d’autres groupes peuvent s’intégrer ou s’assimiler, mais craignent également que ceux-ci affaiblissent ou dissolvent les liens qui unissent la nation.
Les nationalistes ethniques, par conséquent, mettent l’accent sur la volonté collective imaginaire du groupe ethnique dominant qui guide son destin, insistent sur les menaces que représentent les ennemis extérieurs et ceux qui à l’intérieur s’opposent aux valeurs du groupe principal, encouragent la militarisation de la société pour faire face à de telles menaces et surveillent avec anxiété le territoire existant tout en cherchant agressivement à élargir les frontières afin d’augmenter la résilience de la nation.
Même avant les deux grandes guerres européennes, la plupart des États occidentaux constituaient un hybride d’impulsions nationalistes civiques et ethniques. Mais dans le climat politique de compétition et de vigilance paranoïaque envers les rivaux qui régnait avant la Seconde Guerre mondiale, notamment les craintes des élites occidentales face à la menace grandissante du communisme soviétique, les idées liées au nationalisme ethnique tendaient à dominer.
C’est la raison pour laquelle les minorités ethniques – en particulier celles dont la loyauté envers la nation dominante était considérée comme suspecte, comme les juifs et les Roms – ont été érigées en boucs émissaires et confrontées à une discrimination endémique. Celle-ci a pris différentes formes.
En Grande-Bretagne, le nationalisme ethnique a contribué à la déclaration Balfour de 1917, un document proposant que les juifs britanniques soient transplantés au Moyen-Orient – un projet en partie colonial visant à créer un avant-poste de juifs au Moyen-Orient, tributaires de la Grande-Bretagne pour leur sécurité.
Toutefois, comme l’a noté Edwin Montagu, le seul juif du gouvernement britannique de l’époque, la déclaration Balfour avait de fortes connotations antisémites dans la mesure où elle renforçait l’idée que les juifs n’appartenaient pas au pays et devaient être relocalisés ailleurs.
Dans le climat politique de compétition et de vigilance paranoïaque envers les rivaux qui régnait avant la Seconde Guerre mondiale, […] les idées liées au nationalisme ethnique tendaient à dominer
En France, le nationalisme ethnique a été mis en évidence par la fameuse affaire Dreyfus. Capitaine de l’armée française de confession juive, Alfred Dreyfus fut reconnu coupable de trahison en 1894 pour avoir divulgué des secrets militaires à l’Allemagne. En réalité, comme cela fut révélé par la suite, le responsable de la fuite était un autre officier français, mais les militaires préférèrent falsifier des documents pour s’assurer que Dreyfus continua d’être tenu pour responsable.
En Allemagne, le racisme envers les minorités comme les juifs et les Roms culmina dans les camps de concentration nazis au cours des années 1930 et, plus tard, une politique d’extermination massive qui coûta la vie à plusieurs millions de personnes.
Reconstruire l’Europe de l’après-guerre
Après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale avait besoin d’être reconstruite, à la fois physiquement et idéologiquement. Alors que les dangers des nationalismes ethniques étaient devenus évidents, une plus grande attention fut accordée au nationalisme civique.
Cette tendance fut encouragée par les États-Unis via le plan Marshall, un programme de relance économique visant à reconstruire l’Europe de l’Ouest. Les États-Unis voulaient une Europe unie et pacifique – ses antagonismes ethniques relégués au passé – afin de favoriser une culture de l’individualisme et du consumérisme qui garantirait un marché d’exportation pour les produits américains.
Paradoxalement, l’État « occidental » qui résista le plus visiblement à la tendance au nationalisme civique de l’après-guerre fut justement Israël. Celui-ci s’en tint rigidement au modèle politique du nationalisme ethnique qui venait juste d’être discrédité en Europe
Les États-Unis souhaitent également pouvoir compter sur une Europe dépendante pour servir de rempart contre leur principal rival idéologique : le communisme soviétique. À la fin du XXe siècle, ces développements conduisirent à l’émergence d’un marché commun, puis plus tard de l’Union européenne, d’une monnaie unique et de l’abandon des contrôles aux frontières.
En même temps, dans l’immédiat après-guerre, la décision fut prise de mettre en place un ensemble de sauvegardes visant à empêcher la répétition de la récente tragédie.
Les procès de Nuremberg aidèrent ainsi à définir les règles de la guerre et qualifièrent leurs violations de crimes de guerre, tandis que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les conventions de Genève entamèrent le processus de formalisation du droit international et du concept de droits de l’homme universels. Tout cet ordre d’après-guerre est désormais en train de s’effondrer.
Renverser la tendance
Israël a été créé en 1948, l’année de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU, une organisation elle-même destinée à empêcher tout retour des horreurs de l’Holocauste. Israël fut présenté comme un sanctuaire pour les juifs d’une Europe dépravée qui avait été dépassée par des idéologies racistes et agressives. Le nouvel État fut encensé comme une « lumière pour les nations », le fruit politique du nouvel ordre juridique international visant à promouvoir les droits des minorités.
Or paradoxalement, l’État « occidental » qui résista le plus visiblement à la tendance au nationalisme civique de l’après-guerre fut justement Israël. Celui-ci s’en tint rigidement au modèle politique du nationalisme ethnique qui venait juste d’être discrédité en Europe. Aujourd’hui, Israël incarne une alternative politique au nationalisme civique – une alternative qui contribue progressivement à réhabiliter le nationalisme ethnique.
Dès le début, Israël n’était pas ce qu’il semblait être aux yeux de la plupart des observateurs extérieurs. Il fut parrainé comme un projet colonial par de grandes puissances qui incluaient de différentes manières la Grande-Bretagne, l’Union soviétique, la France et, plus récemment, les États-Unis. Conçu explicitement pour devenir un « État juif », Israël fut construit sur les ruines de la patrie du peuple palestinien indigène à l’issue d’une campagne d’expulsions que les historiens ont qualifiée de « nettoyage ethnique ».
Israël n’était pas la démocratie libérale décrite dans ses campagnes d’autopromotion, connues sous le nom de hasbara. En fait, loin d’être un antidote au nationalisme ethnique, Israël était résolument un produit – ou, plus précisément, un reflet – de cette forme de nationalisme.
L’idéologie tribale d’Israël
Son idéologie fondatrice, le sionisme, était profondément opposée au nationalisme civique et aux idées d’identité politique commune qui lui sont associées. Il s’agissait plutôt d’une idéologie tribale – fondée sur des liens de sang et un héritage religieux – qui parlait la même langue que les anciens nationalismes ethniques d’Europe et qui partageait l’avis des racistes européens selon lesquels « les juifs » ne pouvaient pas être assimilés ou intégrés parce qu’ils formaient un peuple à part.
C’est ce terrain d’entente avec les nationalistes ethniques qui a rendu le mouvement sioniste profondément impopulaire parmi la grande majorité des juifs européens jusqu’à la montée en puissance d’Hitler dans les années 1930. Après les horreurs du nazisme, cependant, un nombre croissant de juifs conclurent que s’il était impossible de vaincre les nationalistes ethniques, il était préférable de les rejoindre.
Après les horreurs du nazisme, un nombre croissant de juifs conclurent que s’il était impossible de vaincre les nationalistes ethniques, il était préférable de les rejoindre
Un Israël hautement militarisé et doté de l’arme nucléaire, parrainé par l’Europe et belliqueux envers ses nouveaux voisins arabes relativement faibles semblait être la meilleure solution à disposition. C’est ce terrain d’entente qui fait aujourd’hui d’Israël un allié et un ami de Trump et de ses électeurs aux États-Unis ainsi que des partis d’extrême droite en Europe.
En fait, Israël est vénéré par un nouveau genre de suprématistes blancs et d’antisémites aux États-Unis connu sous le nom d’alt-right (droite alternative). Leur chef, Richard Spencer, s’est qualifié de « sioniste blanc » et a déclaré que les États-Unis devaient devenir une « patrie sûre » afin d’empêcher « la dépossession démographique des blancs aux États-Unis et dans le monde », de la même manière qu’Israël y est parvenu pour les juifs.
Rendre le racisme respectable
Israël a adopté et entretenu le modèle du nationalisme ethnique et cherche maintenant à le rendre à nouveau respectable auprès de certaines sections de l’opinion publique occidentale. Tout comme il y eut différents types de nationalismes ethniques en Europe, il y a différents types de nationalismes ethniques parmi les mouvements populaires et politiques israéliens aujourd’hui.
À l’extrémité la plus dérangeante de l’échiquier politique se trouvent les colons religieux, lesquels se sont activement engagés à déraciner de nouveau la population palestinienne indigène, cette fois-ci dans les territoires occupés. De tels colons dominent à présent les rangs intermédiaires de l’armée israélienne.
Dans un manuel de dépossession supplémentaire connu sous le nom de Torah du roi, des rabbins influents parmi les colons ont justifié le meurtre préventif de Palestiniens en tant que terroristes, et de leurs bébés en tant que « futurs terroristes ». Cette vision du monde explique pourquoi les colons se sont massés devant un tribunal israélien fin juin pour narguer Hussein Dawabshe, un Palestinien dont le petit-fils de 18 mois, Ali, a été brûlé vif avec d’autres membres de sa famille par des colons en 2015.
Lorsque le grand-père est arrivé au tribunal, les colons l’ont nargué en hurlant : « Où est Ali, Ali est mort » et « Ali est sur le grill ».
Plus commun encore, au point de passer presque inaperçu en Israël, est le racisme structurel qui maintient un cinquième de la population d’Israël, sa minorité palestinienne, à l’écart de la majorité juive.
Depuis des décennies, par exemple, les hôpitaux israéliens séparent les femmes en fonction de leur appartenance ethnique dans les maternités. En juin, dans un schéma familier, il a été révélé qu’une piscine municipale du Néguev séparait discrètement les baigneurs juifs et palestiniens – tous pourtant citoyens du même État – en leur assignant des horaires différents.
Au moins, cette piscine acceptait les citoyens palestiniens. Ce n’est pas le cas des communautés fermées israéliennes, qui opèrent presque toutes une ségrégation, plusieurs centaines d’entre elles utilisant des comités d’admission pour en empêcher l’accès aux citoyens palestino-israéliens et en faire des lieux de vie exclusivement juifs.
Lorsque, dans la ville d’Afoula, dans le nord du pays, une maison a été vendue pour la première fois à une famille palestinienne, les résidents juifs ont organisé des protestations de colère pendant des semaines. Shlomo Malihi, le maire adjoint de la ville, a déclaré : « J’espère que la vente de la maison sera annulée afin que cette ville ne commence pas à être mixte. »
Le « danger » du mariage mixte
En juin, Miki Zohar, un député du Likoud, le parti au pouvoir, a observé qu’il existait non seulement une « race juive », mais que celle-ci représentait « le plus haut capital humain, le plus intelligent, le plus compréhensif ».
Dans le même temps, le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett, a noté que l’avenir du peuple juif dans des pays comme les États-Unis l’empêchait de dormir la nuit. « Si nous n’agissons pas d’urgence, nous allons perdre des millions de juifs à cause de l’assimilation », a-t-il déclaré lors d’une conférence à Jérusalem.
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C’est également un refrain habituel chez la gauche israélienne. Isaac Herzog, ancien dirigeant du Parti travailliste soi-disant socialiste et nouveau président de l’Agence juive, partage les pulsions tribales de Bennett. Il y a peu, il a averti que les juifs en dehors d’Israël étaient victimes du « fléau » que constitue le mariage avec des non-juifs.
Il a déploré que lors d’une visite aux États-Unis l’année dernière, il avait « vu les enfants de [s]es amis se marier ou vivre avec des partenaires non-juifs ». Et de conclure : « Nous devons nous creuser la tête pour résoudre ce grand défi. »
Une forteresse ethnique
Mais le problème ne se limite pas aux préjugés des individus et des communautés. Il bénéficie de l’approbation de l’État, comme en Europe il y a un siècle.
Cela peut être vu non seulement dans le racisme institutionnel endémique qui sévit en Israël – quelque 70 lois qui opèrent une discrimination explicite sur la base de l’appartenance ethnique – mais aussi dans l’obsession d’Israël pour la construction de murs : les murs qui encerclent Gaza et les zones palestiniennes densément peuplées de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie occupées. Ou encore le mur construit pour bloquer l’entrée des demandeurs d’asile africains fuyant les guerres via la péninsule du Sinaï – ultime indication de la mentalité de forteresse ethnique d’Israël. Le pays expulse et renvoie ces réfugiés en Afrique – en violation des conventions internationales qu’il a ratifiées – mettant leur vie en danger.
Et tandis que les libéraux occidentaux se sont accoutumés à la séparation des enfants de leurs parents par l’administration Trump, ils ignorent des décennies de politiques israéliennes tout aussi brutales. Pendant ce temps, des milliers d’enfants palestiniens ont été arrêtés à leur domicile, souvent au cours de raids nocturnes, et emprisonnés lors de procès dont le taux de condamnation avoisine les 100 %.
Violence extrajudiciaire
Tout au long de son histoire, Israël a glorifié ses prouesses militaires et célébré effrontément une tradition de violence extrajudiciaire contre ses opposants. Cela a inclus des pratiques que le droit international cherche à interdire, telles que la torture et les assassinats politiques. Les sophismes utilisés par Israël pour défendre ses actes ont été accueillis avec enthousiasme à Washington – en particulier lorsque les États-Unis ont commencé leurs propres programmes de torture et d’assassinats extrajudiciaires après l’invasion de l’Irak en 2003.
Israël a confectionné des excuses toutes prêtes et des réponses spécieuses qui ont rendu beaucoup plus facile l’acceptation par les populations occidentales de son démantèlement des normes internationales.
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Le bouleversement du droit international – et, avec lui, l’inversion de la tendance vers le nationalisme civique – s’est intensifié avec les attaques répétées d’Israël contre Gaza au cours de la dernière décennie. Israël a subverti les principes clés du droit international – proportionnalité, distinction et nécessité – en élargissant considérablement le cercle des cibles potentielles de l’action militaire pour y inclure des zones de civils, et en usant d’une force massive au-delà de toute justification possible.
Cela a été illustré de manière choquante récemment lorsque l’armée israélienne a mutilé et tué des milliers de manifestants palestiniens non armés parce qu’ils étaient soi-disant trop proches de la clôture qu’Israël a construite pour encager les Gazaouis. Il est bon de rappeler que cette clôture délimite simplement la terre palestinienne occupée par Israël. Or – et c’est là un énième succès pour la hasbara israélienne – les médias occidentaux ont presque unanimement laissé entendre que la clôture constituait une frontière qu’Israël est en droit de défendre.
L’expertise israélienne convoitée
L’expertise d’Israël est de plus en plus recherchée dans un Occident où les nationalismes ethniques prennent à nouveau racine. Les armes d’Israël ont été testées sur le champ de bataille contre les Palestiniens. Ses systèmes de sécurité intérieure ont prouvé qu’ils étaient capables de surveiller et contrôler les populations palestiniennes, exactement comme les élites occidentales pensent à leur propre protection dans des quartiers résidentiels fermés.
Pour les dirigeants comme Orbán, Israël a ouvert la voie. Il a montré que la politique ethnique n’est pas discréditée après tout, qu’elle peut fonctionner
La police paramilitaire israélienne forme et militarise les forces de police occidentales pour réprimer la dissidence interne. Dans le cadre des efforts qu’il déploie pour rester une superpuissance régionale, Israël a mis au point des techniques sophistiquées de guerre cybernétique qui satisfont à présent l’atmosphère politique paranoïaque en Occident.
Mus par une aversion irréductible envers l’idéologie de leurs anciens dirigeants soviétiques, les États d’Europe centrale et orientale sont à la pointe de la réhabilitation du nationalisme ethnique. Le nationalisme civique est considéré par ces gouvernements comme quelque chose qui expose dangereusement la nation aux influences extérieures.
Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, fait partie de la nouvelle vague de dirigeants d’Europe de l’Est qui attisent effrontément la politique ethnique dans leur pays à travers l’antisémitisme. Orbán a pris pour cible le milliardaire et philanthrope hongrois de confession juive George Soros pour sa promotion d’un nationalisme civique, suggérant que celui-ci représentait une menace juive plus large pour la Hongrie.
Si cette logique l’emporte, le monde sera plus sombre, bien plus divisé et plus effrayant
En vertu d’une loi récente, connue sous le nom de « STOP Soros », quiconque aide les migrants à entrer en Hongrie risque une peine d’emprisonnement. George Soros a en revanche fait l’éloge de l’ancien homme d’État hongrois Miklós Horthy, proche allié de Hitler.
Malgré cela, Orbán est encensé par Benyamin Netanyahou, de la même manière que le Premier ministre israélien s’est étroitement identifié à Donald Trump. Netanyahou a appelé Orbán pour le féliciter peu de temps après sa réélection en avril et l’a accueilli en Israël lors d’une visite d’État en juillet.
À terme, Netanyahou cherche à accueillir la prochaine réunion du groupe de Visegrád, quatre pays d’Europe centrale animés par une politique ethnique d’extrême droite et avec lesquels Israël souhaite développer des liens plus étroits.
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Pour les dirigeants comme Orbán, Israël a ouvert la voie. Il a montré que la politique ethnique n’est pas discréditée après tout, qu’elle peut fonctionner. Israël a prouvé aux nouveaux nationalistes ethniques d’Europe et d’Amérique que certains peuples sont destinés à la grandeur si on leur permet de triompher de ceux qui leur barrent la route.
Si cette logique l’emporte, le monde sera plus sombre, bien plus divisé et plus effrayant. Il est temps de reconnaître ce qu’Israël représente et le fait qu’il n’offre pas de solutions – seulement des problèmes bien plus grands.
– Jonathan Cook est un journaliste anglais basé à Nazareth depuis 2001. Il a écrit trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il tient un blog : www.jonathan-cook.net
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (à gauche) et le Premier ministre hongrois Viktor Orbán (à droite) dans la salle principale du centre culturel Pesti Vigadó avant une conférence de presse conjointe avec les premiers ministres des pays de Visegrád, le 19 juillet 2017 à Budapest, Hongrie (AFP).
Traduit de l’anglais (original).