Une pétition intitulée Jcall initiée par plusieurs personnalités européennes qui se revendiquent juives a obtenu de nombreuses signatures. Face à la politique du gouvernement Nétanyahou et au soutien inconditionnel dont il bénéficie de la part d’associations comme le CRIF, l’appel se veut être une alternative pour une paix « raisonnable ».
Quelle est la réalité de cette guerre ?
Celles et ceux qui défendent les droits du peuple palestinien expliquent inlassablement que la politique israélienne vis-à-vis des PalestinienNEs est criminelle. Il y a le crime fondateur, l’expulsion de la majorité des PalestinienNEs de leur propre pays en 1948 (puisque, paraît-il c’était une terre sans peuple), la confiscation des terres, les villages rasés, l’interdiction faite aux réfugiés de rentrer chez eux. Il y a les crimes qui ont suivi : les guerres, les assassinats dits ciblés, l’occupation, les discriminations inscrites dans la loi, les colonies, la construction du mur, les check-points, les emprisonnements massifs …Les signataires veulent défendre l’Etat d’Israël qualifié de démocratique. Mais les 50% de PalestinienNEs qui vivent entre Méditerranée et Jourdain ne connaissent aucune démocratie. Ils ont le « choix » entre le blocus impitoyable de Gaza, l’occupation et la colonisation en Cisjordanie, les destructions de maison et les expulsions à Jérusalem Est ou la sous-citoyenneté dans l’Israël d’avant 1967.
En prônant une paix « raisonnable », les signataires renvoient en apparence sur un pied d’égalité les « extrémistes des deux camps » comme si l’occupant et l’occupé vivaient des situations symétriques. Ils reprennent à leur compte le complexe de Massada. Ils évoquent la menace pour les IsraélienNEs de devenir minoritaires face aux PalestinienNEs. Pour eux, le point central, c’est la sécurité d’Israël. Comme si celles et ceux qui vivent l’insécurité quotidienne et qui ont été jetéEs (*) à la mer n’étaient pas les PalestinienNEs. La pétition parle à peine de la Palestine, comme si cette guerre était une affaire intérieure juive. Peut-on faire une paix « raisonnable » en ignorant « l’autre » à ce point ?
Un point de départ intéressant mais bien limité.
Ce qui différencie les signataires de la pétition de J Call des supporters de Nétanyahou, c’est que les premiers ont enfin réalisé que la politique israélienne est suicidaire pour celles et ceux qu’Israël prétend défendre. Effectivement, il est tout à fait improbable que le peuple palestinien soit écrasé à terme (comme l’ont été les peuples indigènes d’Amérique du Nord et d’Australie) et donc incapable de réclamer ses droits. Personne ne peut sérieusement penser qu’une politique basée sur la domination, la violence et l’humiliation puisse être éternelle.
Ce qui les différencie aussi, c’est qu’ils réalisent que la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) initiée par la société civile palestinienne et reprise dans le monde par des associations, des syndicats ou des Etats commence à écorner sérieusement l’image d’Israël et à provoquer son isolement.
Pas de remake d’Oslo
En 1988, l’OLP a fait une concession incroyablement généreuse : accepter de limiter le futur Etat palestinien à 22% de la Palestine historique. Les accords d’Oslo qui ont suivi ont été dès le départ un marché de dupes : on a parlé de la sécurité d’Israël mais jamais de la réalité : l’occupation, les colonies, les discriminations, l’inégalité. Entre la signature des accords et l’assassinat de Rabin, 60000 nouveaux colons ont été installés. L’Autorité Palestinienne n’a jamais été considérée comme l’embryon d’un futur état. Elle avait pour mandat essentiel de « faire la police ». Les signataires de l’appel Jcall doivent comprendre que recommencer un tel processus n’a strictement aucun sens. Être raisonnable, ce sera aborder les questions essentielles, ce sera régler la question fondamentale des 500000 Israéliens installés en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Puisque le texte propose une solution sur la base de deux Etats, comment peut-il être silencieux sur la question des frontières ? Pourquoi ne dit-il pas par exemple que les IsraélienNEs installéEs dans les territoires conquis en 1967 devront partir ou accepter la citoyenneté palestinienne ?
Et les signataires de Jcall peuvent-ils expliquer pourquoi Oslo a échoué alors que les PalestinienNEs ont été les seuls à faire des concessions ? Sont-ils capables de comprendre tout ce qui n’est pas abordé dans leur texte : la question du sionisme qui ne donne aucune place aux Palestiniens, la question de la manipulation des histoires et des identités juives, l’incapacité pour la société israélienne d’accepter l’égalité ?
Gauche/droite
L’appel Jcall voudrait incarner dans le monde juif européen un courant de gauche, humaniste. C’est très important, il faut se référer aux droits fondamentaux. Pourtant dans l’histoire d’Israël, celles et ceux qui disent incarner la gauche ont participé à tous les mauvais coups contre la Palestine : Ben Gourion est au pouvoir en 1948 quand le pays est nettoyé ethniquement et que les biens des réfugiés sont confisqués. La gauche travailliste est au pouvoir lors de la guerre de 1967 et c’est elle qui décide de coloniser. C’est un ministre travailliste (Ben Eliezer) qui décide la construction du Mur qui balafre la Cisjordanie. Les travaillistes Peretz et Barak ont joué un rôle important dans la guerre contre le Liban ou le massacre de Gaza. Plusieurs signataires de l’appel Jcall ont d’ailleurs approuvé ces deux guerres.
Bien sûr, il est fondamental qu’à l’intérieur d’Israël il y ait une « rupture du front intérieur » et les Juifs du reste du monde ont un rôle important à jouer. Encore faut-il qu’il s’agisse d’une rupture. Il existe en Israël une courageuse minorité qui se bat pour l’égalité des droits et contre l’occupation. Mais la gauche et la droite sionistes sont d’accord sur l’essentiel et partagent les mêmes valeurs. D’ailleurs les gouvernements d’Union Nationale se multiplient. Barak gouverne avec Lieberman et Pérès avec Nétanyahou. Peut-on penser qu’une solution « raisonnable » n’aborde pas cette question ? Ne remette pas en cause la base idéologique de cette guerre ? Les paix en Algérie, au Viêt-Nam, en Afrique du Sud ont été rendues possible par un important virage idéologique. Les signataires de Jcall pensent-ils qu’une paix « raisonnable » est possible sans une remise en cause des fondements même de l’idéologie qui a conduit Israël de guerres en guerres ? Ces signataires se disent attachés à un Etat juif et démocratique. Ne croient-ils pas, comme l’a écrit Shlomo Sand, qu’il s’agit d’une contradiction totale et qu’un Etat juif est totalement contraire au droit international qui ne différencie pas les citoyens selon leurs origines ?
Boycott et image
L’initiative Jcall intervient alors que le gouvernement israélien se moque ouvertement de ses désaccords avec Obama et continue d’être soutenu avec parfois de vagues critiques par l’Union Européenne. Mais l’image d’Israël est ternie. Les opinions publiques bougent. Le BDS remporte des succès. Les signataires de l’appel Jcall critiquent Nétanyahou, pas par désaccord avec la violence et l’occupation, mais parce que cette politique met en danger Israël et qu’ils veulent sauver ce pays.
Il faut aller plus loin. À l’image de l’universitaire israélien Névé Gordon qui a dit être pour le boycott « parce que c’est la seule façon de sauver mon pays ».
À partir de leurs préoccupations et de leurs peurs, les signataires doivent se poser les questions fondamentales. En tant que Juifs, ils seront obligés de revenir sur le processus qui a transformé des descendants de parias en bourreaux d’un peuple. Ce n’est pas d’une fêlure dont la paix a besoin ou d’une relégétimation d’Israël mais d’une vraie rupture.
La paix passe par le droit international, par les droits fondamentaux, par l’égalité des droits. Il n’y aura pas de paix sans remettre en cause le colonialisme, l’occupation, l’apartheid. Il n’y aura pas de paix en ignorant les Palestiniens.
Encore un effort camarades !
Pierre Stambul
(*) Dans son film « la Mécanique de l’Orange », Eyal Sivan montre comment la population de Jaffa a été jetée à la mer en 1948.