Comment dites-vous « Ku Klux Klan » en hébreu ?

Photo : Des colons israéliens jetant des pierres sur des Palestiniens près de la colonie de Yitzhar, en Cisjordanie, en 2013. (Les participants n’ont aucun lien avec le contenu de l’article.) Crédit : AP

Ceux qui sont soumis à l’occupation israélienne ont été abandonnés à la brutalité de l’occupant, en raison de la faiblesse de l’armée nationale, du respect des lois et de l’appareil de sécurité.

Les milices juives attaquent généralement la nuit. Dans la grande tradition des pogroms racistes, quand la nuit tombe, des bandes de colons masqués descendent sur les routes et vers les villages de Cisjordanie à la recherche de garçons et de filles de la race méprisée. Leurs membres bloquent les routes pour effectuer des « sélections » et pour repérer les voitures ayant des plaques d’immatriculation palestiniennes de façon à pouvoir en agresser les passagers. Ils prennent d’assaut des maisons, brisent des vitres et démarrent des feux.

Cela se produit chaque nuit depuis plus d’un mois, parce que les amis de Ahuvia Sandak – nommé jeune du sommet des collines, qui a été malheureusement tué alors qu’il était poursuivi par la Police d’Israël – ont décidé que les Palestiniens devaient payer pour sa mort. L’association Yesh Din de défense des droits de l’Homme (pour laquelle je suis conseiller juridique) a jusqu’à présent recueilli des renseignements sur 47 attaques nocturnes différentes au cours des dernières semaines, qui ont causé des dommages matériels considérables et blessé au moins 14 personnes. Des centaines d’émeutiers, quelques arrestations. Récemment, une fille âgée de 11 ans été blessée à la tête dans son village, Madama, et des pierres ont été jetées au visage d’un garçon âgé de 5 ans sur l’Autoroute 60.

La sécurité officielle ne fournit pas de protection réelle, les chaînes de télévision israéliennes en font à peine mention et la plupart des Israéliens sont tout simplement indifférents

Le groupe WhatsApp de Yesh Din, dont je suis membre, se met à bourdonner chaque soir aux environs de 19 ou 20 h, avec des rapports préliminaires de la part de chercheurs de terrain de l’association, suivis 30 à 60 minutes plus tard par un flux de clips vidéo et de photos. Une autre famille dont les vitres ont été fracassées pendant le dîner, un autre conducteur palestinien qui a failli être tué sur la route, une autre voiture incendiée par des émeutiers, davantage d’embouteillages empêchant les travailleurs de rentrer chez eux après une journée de travail.

En même temps que la violence des colons commence à déferler, la diffusion des journaux télévisés du soir débute. Mais les médias israéliens n’envoient pas leurs équipes dans les villages palestiniens, ou même sur l’Autoroute 60, l’artère principale de Cisjordanie. Quand les présentateurs rendent compte (et la plupart ne le font pas) des émeutes des bataillons de suprémacistes juifs, ils le font très brièvement, à moins que les émeutiers attaquent les policiers ou retournent des véhicules de police. C’est aussi le cas quand il va y avoir des arrestations massives. Tant que les victimes sont des non-Juifs, tant que les maisons qui sont prises d’assaut n’ont pas de mezuzah sur la porte d’entrée, le flash d’information aura du mal à se transformer en un reportage à part entière.

Mais l’information est accessible pour toute personne qui s’y intéresse : sur les réseaux sociaux des associations des droits de l’Homme ou sur les sites d’information « de gauche », y compris celui de ce journal, on peut voir des vidéos effrayantes de passagers palestiniens qui sont touchés par les pierres qui brisent leur pare-brise alors qu’ils conduisent. On peut voir des photos de maisons après que des bandes de Juifs les aient prises d’assaut, avec des éclats de verre dispersés dans la cuisine et dans les chambres à coucher, et les traces sanglantes des pas des blessés tachant le sol. On peut aussi trouver les photos d’enfants blessés, d’une fille dont le nez enflé saigne, d’un petit garçon à peine en âge d’aller au jardin d’enfants, en pleurs dans une ambulance du Croissant Rouge, son visage de bambin abimé et saignant là où il a été frappé par une pierre et saigne.

Et même si je fais tout mon possible pour bannir ces pensées de ma tête, les images de ces enfants et de leurs parents font venir d’autres images. Le regard terrifié de ceux qui n’ont nulle part où s’enfuir et probablement personne pour les protéger, me rappelle les photos d’autres endroits et d’autres époques. Des photos de Juifs. D’autres Juifs. Des photos de vitres brisées de logis et de magasins juifs. La pensée même que les descendants des persécutés de l’époque sont passés de l’autre côté de la pierre et de la fenêtre brisée – cette pensée glace le sang.

Il incomberait à chacun de réfléchir si l’armée dite la plus forte du Moyen-Orient n’est pas capable ou n’essaie pas vraiment d’arrêter ce Ku Klux Klan hébreux. En fin de compte, il est clair que ceux qui sont soumis à l’occupation israélienne ont été abandonnés à la cruauté de l’occupant, en raison de la faiblesse de l’armée et des autorités en charge du respect des lois. Les faits sur le terrain montrent que les autorité de sécurité ne fournissent pas de protection réelle, que les chaînes de télévisions israéliennes en rendent à peine compte, et que la plupart des Israéliens – qui ne participent pas à ces agressions et qui probablement même y sont opposés – sont tout simplement indifférents.

La droite va gagner les prochaines élections. Les sondages d’opinion donnent l’impression que, d’un point de vue politique, ce sont des élections à la Commission du logement du Conseil de Judée et Samarie 1. Les médias se concentrent sur les différences internes concernant l’attitude envers le Premier Ministre Benjamin Netanyahu, mais au-delà de cette controverse au sujet d’une personne précise (qui est sans aucun doute importante et a une influence réelle) – il faut dire la vérité : en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, la droite colonialiste a créé un réseau de partis qui sont des clones idéologiques.

Ceci est coup de génie. Comme un monopole qui crée des filiales se faisant passer pour des concurrents, qui prennent l’argent des consommateurs lassés de la marque-phare. Hélas, l’argent finit dans la même poche. La poche qui clique avec la perpétuation de l’occupation, en niant les droits des occupés, en faisant avancer l’annexion et l’apartheid. Il n’est pas étonnant qu’aucun des dirigeants des partis « alternatifs » n’ait déchiré ses vêtements et n’ait enfilé le vêtement « de sac et de cendres » à la vue de ses compatriotes juifs prenant brutalement d’assaut des personnes occupées sans défense. Gideon Sa’ar, Naftali Bennett, Avigdor Lieberman (il est inutile de mentionner Bezalel Smotrich, qui a un jour appelé sa populace à bloquer les routes aux Palestiniens) – n’osez pas dire plus tard « nos mains n’ont pas versé ce sang. »

Le silence signifie l’abandon. Votre silence est entendu par les policiers, les soldats, les fonctionnaires, les journalistes et par toute la population israélienne.

Michael Sfard est un avocat israélien qui représente diverses associations de défense des droits de l’Homme israéliennes et palestiniennes ainsi que des organisations pour la paix, des mouvements et des activistes. Il est expert en droit international humanitaire et en droit international des droits de l’Homme.

Traduit de l’original par Yves Jardin


Note-s
  1. Les Conseils régionaux sont une des trois formes d’administration territoriale en Israël (avec les villes et les conseils locaux). Il existe 53 Conseils régionaux, dont en fait 2 Conseils régionaux pour la Judée et Samarie, nom donné, notamment par le Bureau Central des Statistiques d’Israël, à la Cisjordanie. Ces 2 Conseils sont élus par les colons juifs installés dans les colonies illégales en Cisjordanie, essentiellement en Zone C. Cela est donc une forme d’annexion, bien avant le plan Trump.[]