Toi mon adelphe, mon autre moi. Celui ou celle que j’aurais pu devenir si j’avais grandi là, immergée dans les valeurs sionistes d’une famille orthodoxe.
Marquée par les persécutions subies par mes ancêtres, terrifiée par la solution finale, comme une menace qui pèse. Si je n’avais pas été consciente des traumatismes collectifs qui nous ont façonnés, si j’avais laissé la peur dont j’ai hérité m’envahir totalement, j’aurais tout fait pour me sentir en sécurité. Je me serais rapprochée de mes semblables. J’aurais défendu un territoire protecteur pour nous, en faisant fi de celles et ceux qui y sont établis. Pour justifier l’accaparement de leurs terres, je réinterpréterais l’histoire et la religion à l’aune de mes seuls intérêts. Je brandirais des arguments fallacieux pour légitimer l’apartheid. Je me tournerais vers celles et ceux qui me conforteraient dans mes positions. Je me couperais des autres et de mon empathie, pour ne pas éprouver de culpabilité. J’épouserais le narratif mensonger distinguant les « juifs » des « arabes », en niant mes origines juives arabes. Pour les effacer, j’emploierais les termes « séfarade » ou « mizrahim ». J’hébraïserais mon nom. J’oublierais qui je suis. Je ne regarderais plus le monde qu’à travers mes filtres identitaires biaisés.
Cette dissonance générerait une telle angoisse que pour y remédier, je prendrais le contrôle. J’érigerais des murs, j’enfermerais celles et ceux qui pourraient m’être hostiles. Je surveillerais leurs allées et venues. Je les déshumaniserais pour ne pas être affectée, quitte à y perdre mon humanité. Je m’estimerais victime dès qu’ils résisteraient à mon oppression. Et quand ils deviendraient plus hargneux, je les pousserais à fuir, comme mes aïeux exilés de force. Je minimiserais la violence du déracinement, omettant l’impact que cela a eu sur moi. Je fermerais mon cœur pour ne pas ressentir la souffrance. J’éradiquerais tout ennemi potentiel pour ne pas risquer d’être écrasée une nouvelle fois. Je me ferais croire que je me défends tandis que je les exterminerais un à un. Je m’enfoncerais dans le déni jusqu’à tout détruire pour ne pas affronter la peur qui m’a aveuglée. Pour ne pas déconstruire ce à quoi je me suis identifiée. Pour ne pas m’effondrer quand je réaliserais que j’ai reproduit l’impensable…
Colon d’Israël,
J’ai honte de la personne que j’aurais pu devenir, honte de celle que tu es devenu, honte d’être assimilée à toi. Tu as tout fait pour te rassurer mais ce sentiment est illusoire. Où que tu sois, il y aura toujours quelqu’un pour souhaiter ta mort. Rien ne pourra jamais te tranquilliser. Tu n’as pas d’autre choix que de vivre avec cette peur. Alors autant baisser les armes et ouvrir la porte de la prison que tu as édifiée. Ne vaut-il pas mieux prendre le risque d’être tué en œuvrant pour la justice et la paix que de sacrifier un peuple dans l’espoir vain de rester en vie ? Car, tôt ou tard, tu devras abandonner tes privilèges.
« La terre d’Israël n’appartient pas au peuple juif (…) elle appartient à l’Éternel » (La Torah : Berechit 14:22, Chemot 19:5, Devarim 10:14, Psaume 89:11)
Julie Bellenger Adda



