Cisjordanie occupée – 9 septembre 2018 « Je pense qu’aujourd’hui, je vais juste pleurer » : journal d’une militante d’ISM

Par Kristin Foss.

Kristin Foss est une militante de l’ISM qui a été blessée deux fois (une fois au ventre, l’autre à la cheville) en une semaine par des balles caoutchouc-acier tirées par des soldats israéliens à Kafr Qaddum. La première fois, accompagnée d’une autre militante islandaise, elle avait les mains en l’air, et la seconde fois, elle était debout, appuyée contre le mur d’un magasin. Elle a été interviewée par Russia Today.

02.09.2018 – Je me suis réveillée pleine de tristesse. Tellement triste. Maintenant je pleure, j’ai commencé à pleurer au supermarché, j’ai pleuré un peu quand un fermier a refusé mon argent quand j’ai voulu lui acheter du raisin. Je pense qu’aujourd’hui je vais juste pleurer. J’en ai peut-être besoin.

Hier un ami m’a appelée pour demander si quelques militants d’ISM pouvaient venir à un endroit dont je ne me souviens même plus du nom. Il y a trop d’endroits où ils ont besoin d’aide.

« Je pense qu’aujourd’hui, je vais juste pleurer » : journal d’une militante d’ISM

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J’ai pourtant écrit sur ce village. Ras Karkar, je m’en souviens maintenant. Les Israéliens veulent y construire une nouvelle colonie illégale. Il y en a déjà trois qui encerclent le village : une au nord, une au sud, une à l’est – et maintenant les Caterpillar et les soldats sont arrivés pour bloquer la partie ouest ; pour y construire encore une colonie et piéger les villageois. C’est illégal selon le droit international bien sûr. Mais c’est quoi, le droit international ? Il ne s’applique pas en Palestine. Les Israéliens le savent ; ils n’ont jamais eu à s’y conformer. Les États-Unis les en ont dispensés, et le reste du monde a accepté ça.

L’homme qui m’a alerté à mon âge ; il a un travail, une jolie voiture. Mais il passe son temps libre à alerter les gens, à aller dans des lieux où on a besoin de lui et à se faire tabasser par des jeunes de 20 ans munis de mitraillettes. Il ne rentre pas chez lui pour dîner avec sa femme ou jouer avec ses enfants. Je suppose qu’il pourrait. Oui mais alors, ses enfants auront-ils un pays quand ils seront grands ?

Un homme qui m’envoie des vidéos a l’âge de mon père. J’ai regardé les vidéos, des vidéos de personnes normales, de nouveaux amis que je n’ai même pas encore rencontrés, bien que j’en reconnaisse quelques-uns. Des gens normaux, brutalisés par de jeunes soldats qui viennent d’on ne sait où, mais pas de cette terre.

J’ai vu les vidéos d’hommes essayant de pousser de lourde machines avec leurs bras. Je peux sentir le désespoir. Je veux y être. Mais aujourd’hui, il n’y a que moi ici et je ne peux pas y aller seule. Je suppose que je pourrais, mais je n’ose pas aujourd’hui. J’ai besoin de faire une pause. Peut-être que ma peur est plus forte que ma solidarité. Je ne veux pas mourir.

Rachel Corrie est morte. Elle faisait partie d’ISM elle aussi. Je ne pense pas qu’elle ait pu imaginer qu’ils le feraient réellement. Qu’ils l’écraseraient avec un bulldozer, car elle était bien visible de tous, debout devant lui, mais ils l’ont fait. Ils l’ont tuée avec un bulldozer. Sa solidarité était plus forte que sa peur. Les Israéliens s’en sont tirés. Ils s’en sont tirés et ils l’appellent Sainte-Crêpe. Elle avait 23 ans et ils l’ont écrasée avec un bulldozer parce qu’elle tentait d’empêcher la démolition d’une maison. Elle était américaine et les États-Unis n’ont rien fait. Les Palestiniens se souviennent d’elle pourtant, avec respect et dignité, reconnaissance et une immense tristesse. Les Israéliens se moquent d’elle. La plupart des Américains ne connaissent même pas son nom.

J’ai lu les commentaires que les gens ont laissés suite à mon interview, quelqu’un dit « Jamais deux sans trois », un autre « Si elle est là en toute connaissance des risques, c’est sa faute, elle le méritait », etc. Alors je pense à ce que ces mêmes personnes disent de mes amis palestiniens : ils sont un peuple inventé, il n’y a jamais eu d’endroit appelé Palestine. Si une infirmière se fait tuer pendant qu’elle soigne des blessés, elle est du Hamas. Si une école ou un hôpital est bombardé, le Hamas y stocke des armes. Si un enfant est assassiné, ses parents l’utilisent pour attirer la compassion. C’est inexplicablement inhumain. Je n’ai jamais vu rien de tel, des gens dénonçant tout un peuple. C’est tellement ignoble. Que ressentent les Palestiniens quand ils lisent ça ? Lire qu’ils n’existent même pas ? Être confrontés à cette perversité ? Quand tout ce qu’ils ont fait est d’être né sur leurs propres terres, et tout ce qu’ils font est d’essayer de vivre sous une occupation inhumaine.

Le fait est que les personnes qui font ces commentaires sont celles qui ont le pouvoir. Ils sont du côté des gagnants actuels. Obama, Trump, Theresa May, Macron, Trudeau, Erna Solberg… ces gens sont du côté d’Israël, versent de l’argent à son gouvernement et le soutiennent. Ils ont le pouvoir, ils ont l’argent, ils ont les médias et ils ont les hommes politiques.

Mon propre gouvernement se fiche pas mal que cinq Norvégiens aient été brutalisés, battus, menacés de meurtre et arrêtés après que leur bateau ait été illégalement arraisonné dans les eaux internationales, ou que j’ai pris deux balles en une semaine. Je pense qu’on les embête. Ils nous reprochent d’être ici ; que nous ne devrions pas être ici, que ce sont les Palestiniens qui doivent concilier. Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Ils disent que le dialogue est le seul moyen et que les Palestiniens doivent concilier. Il n’y a pas de dialogue ici. Il n’y a que la violence, l’oppression, le meurtre, le vol de terres et des hommes politiques qui font croire qu’il y a un dialogue, tandis que la presse aide à maintenir ce jeu de faux-semblants. Les Palestiniens doivent concilier… Je pense que cela signifie que les Palestiniens doivent pardonner et oublier, se mettre à genoux et donner les clés des maisons qu’ils ont laissées. J’ai demandé à la représentante de la Norvège ce qu’ils entendaient par conciliation – elle ne savait pas.

Mais il y a un autre côté. De ce côté-ci, il y a les Palestiniens, les habitants de cette terre et certains d’entre nous, des militants internationaux et israéliens qui sont solidaires avec eux. Tout ce que nous avons, c’est la vérité, la dignité et l’humanité. Nous avons cela, mais pas de pouvoir, à moins que tout le monde ne s’implique.

Maintenant, après avoir reçu deux balles, ils ne parlent de moi que parce que je suis une Européenne et, dieu merci, j’ai filmé la scène. Il y en a tellement, tellement qui parleraient mieux que moi, les Palestiniens, dont le sort est incomparable avec ce qui m’est arrivé. J’ai un peu honte, mais je vais essayer de m’en servir. S’ils captent tous l’attention que j’ai eue, est-ce que les gens vont s’intéresser à ce qui leur arrive ? J’aimerais.

Je continue de croire en l’humanité. Je ne crois pas qu’il en reste dans la politique israélienne, mais il y a assez en Palestine pour compenser le manque, quand la Palestine sera libre. Mais où est l’humanité mondiale, où sont tous ceux qui disent qu’il ne faut jamais oublier ? Ne jamais oublier, mais ne pas ignorer ce qui se passe maintenant, car cela aura aussi une fin horrible si les gens ne réagissent pas. Ce n’est pas un cours d’histoire, c’est aujourd’hui et il faut arrêter cela avant que cela ne devienne une autre période honteuse de l’histoire humaine. La Palestine peut encore être libre. Ça ne peut pas continuer, ce n’est pas possible !

Source : Palsolidarity

Traduction : MR pour ISM