Chroniques de Gaza (9)

Lundi 30 mai

Nous sommes reçus dans une salle du Parlement par deux députés du Hamas, Younès Alastal et Mohamed Shehap.

Nous nous présentons. « Vous êtes les bienvenus ».

« Pourquoi y a-t-il le blocus ? Gaza est puni parce que les Palestiniens ont voté pour le Hamas. Après trois guerres, la situation empire. Il y a déjà 100000 personnes sans emploi et les diplômés ne trouvent pas de travail.

Après la dernière guerre, le gouvernement d’union (créé en février 2014) a refusé de travailler dans Gaza et de donner ce qui avait été promis. Il a refusé de payer les salaires de 45000 travailleurs qui travaillent actuellement (il s’agit des fonctionnaires recrutés par le gouvernement de Gaza). Les 60000 autres, recrutés par le Fatah, sont payés et restent chez eux. l’Autorité Palestinienne aide l’occupant à faire le blocus. Quand le Hamas a gagné les élections, la plupart des fonctionnaires en poste ont quitté leur travail, tuant la cité. Les quelques uns qui ont continué de travaillé ont été privés de salaire.

Nos interlocuteurs nous parlent de la pénurie d’électricité. « La centrale électrique fonctionne au diesel. L’Autorité Palestinienne impose une taxe de 300% sur ce diesel. Résultat, faute d’argent, nous ne pouvons assurer que 6 à 8 heures d’électricité par jour. Nous n’arrêtons pas de demander que ces taxes baissent. Ils refusent pour pouvoir payer leurs fonctionnaires. »

Nous abordons la question de l’Égypte. « Depuis janvier, la frontière de Rafah a ouvert une fois trois jours et une fois deux jours. et la frontière n’a été ouverte qu’à ceux qui paient (très cher) à l’Égypte. Les rumeurs disant que le Hamas prend de l’argent sont fausses. Les attaques que nous subissons ne sont pas que militaires. Nous avons des espions, de la drogue, des gens qui propagent la désinformation sur nous. Il y a aussi des gens à qui Ramallah demande des informations. »

« Le Hamas à Gaza, ce sont les gens. Toute punition du Hamas punit tout le monde alors que nous ne sommes que 50000 du Hamas à Gaza. L’Égypte pourrait ouvrir la frontière et arrêter les militants du Hamas. Elle préfère punir tout le monde. »

« Il y a des pays arabes qui soutiennent l’occupation et Israël. Ils sont comme les Palestiniens qui collaborent. On refuse d’être des victimes, on défend nos droits. »
Notre interlocuteur nous demande : « Vous êtes à Gaza. Vous avez peur ? Non, vous êtes libre. Qui sont les terroristes ? Qui utilise les avions et les tanks ? Les Gazaouis n’ont rien. Nous avons le droit de défendre nos femmes et nos enfants. Beaucoup de pays considèrent les criminels comme des victimes et les victimes comme des criminels. Pour détruire l’idée qu’à Gaza nous sommes des terroristes, racontez ce que vous avez vu à Gaza et qui vous avez rencontré. La lutte de Gaza contre l’occupation, c’est notre droit, à la fois le droit international et le message de Dieu. »

Il attend trois choses des Européens :

— Qu’on pousse nos gouvernements à rompre avec Israël.

— Qu’on boycotte tout (il insiste sur le boycott universitaire).

— Que le Parlement Européen pousse les gouvernements à changer de politique.

Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de problème entre Juifs et Musulmans et se félicite qu’il y ait des Juifs dans les mouvements travaillant contre l’occupation.

Il est très sévère sur Oslo : « l’Autorité Palestinienne a abandonné nos droits et notre terre. Nous n’avons rien obtenu. L’occupant ne nous accepte que tués ou réfugiés. On nous traite comme des animaux. Ils ne se sont pas comportés comme des êtres humains. Comme musulmans, Dieu nous a créés pour être égaux avec les autres. Les sionistes se considèrent comme des surhommes et pensent que nous devrions être esclaves. Ils ne croient pas dans l’égalité. »

Il revient sur les relations avec les Juifs. « Il y a longtemps, les Musulmans ont vécu en paix avec les Juifs et les Chrétiens dans beaucoup de pays, y compris la Palestine où la concorde régnait avant 1917 dans un État islamique (l’empire ottoman). Les sionistes nous ont fait beaucoup de mal mais ils en ont fait aussi aux Juifs. Le Coran dit qu’on peut manger avec les Juifs et les Chrétiens. Le problème a commencé quand les sionistes ont voulu établir un État. Jusque-là on n’avait eu aucun problème avec les Juifs qui vivaient là. En 1948, plus de 500 villages palestiniens ont été détruits et à la place, ils ont fait venir des Juifs de partout. Ça a été très mauvais, y compris pour les Juifs. Les Palestiniens expulsés ont toutes les preuves que cette terre est la nôtre. »

Nous posons une question sur les roquettes (qassams). « Depuis la dernière guerre, le Hamas n’en a envoyé aucune. Qui l’a fait ? Des groupes dépendant de l’Autorité Palestinienne qui veulent donner un prétexte pour mettre le Hamas en danger. Nous les avons mis en prison. Ils seront jugés. »

Nous posons une question sur la peine de mort parce qu’il y a des rumeurs dans Gaza. « Elle existe dans la loi mais elle n’est pas appliquée. Il y a beaucoup de lois inappliquées. L’essentiel est de briser le blocus ». Sur ce point, nos interlocuteurs ont vite été démentis. Le lendemain de cet entretien (mardi 31 mai), trois prisonniers de droit commun condamnés à mort ont été exécutés.

Nous demandons si la division palestinienne va durer. « Tant qu’Oslo continuera de fonctionner, il y aura la division. En 1987, lors de la première Intifada, nous étions tous unis. Oslo a créé la division. La moitié des partis palestiniens sont contre et l’autre moitié pour. Si Oslo s’arrête, l’unité reviendra. Cette division, c’est la pire des choses pour les Palestiniens. Nous avons beaucoup donné à Ramallah et signé plein d’accords : Le Caire (2005 et 2006), La Mecque (2007), Sanaa (2008), Égypte (2009 et 2011), Doha (2012) et Beach Camp. Encore il y a trois mois, on négociait au Qatar. On attend que l’Autorité Palestinienne revienne à la table de négociations.

Mais il y a les pressions israéliennes et celles des pays arabes. Eux ne veulent pas en finir avec la division.

Il n’y a que deux solutions : ou on accepte Oslo et la suite sera pire. Le blocus continuera et on acceptera l’occupation.

Ou on refuse. On préfère se battre et mourir en martyr plutôt que de vivre en esclave sous occupation. 90% des Palestiniens ont fait ce choix et l’Autorité Palestinienne a peur des élections. Nous demandons de nouvelle élections transparentes.

Nous voulons aussi de nouvelles élections dans l’OLP. Pour l’instant Hamas et Jihad Islamique n’y sont pas, mais ils voudraient y rentrer. L’Autorité Palestinienne a peur de faire des élections qu’elle perdrait. »

Notre interlocuteur revient sur les rapports entre Juifs et Musulmans.

Il parle de l’holocauste, dit que dans les Balkans, les Musulmans ont protégé les Juifs. « Les Juifs marocains étaient plus heureux au Maroc qu’en Israël ». Il évoque le pèlerinage juif de Djerba en Tunisie (La Ghriba).

Il termine : « le Hamas refuse de séparer la terre et les gens. Il faut une seule nation pour les Palestiniens du dehors et d’ici. Nous rejetons le fondamentalisme ».

La discussion terminée, nos interlocuteurs nous demandent si nous connaissons l’Islam et avons lu le Coran. Recevant la réponse : »j’ai lu et je ne suis pas croyante », ils suggèrent : « tu devrais chercher la vérité, tu n’as peut-être pas assez cherché. C’est difficile, même pour nous ». Nous aurons l’occasion d’expliquer ce qu’est un Juif athée.

Centre de jeunes Umma Soul

On est à Beit Lahia (nord de la bande de Gaza) dans un quartier particulièrement déshérité. Rues en sable et masures.

Ce centre a une orientation originale et fonctionne essentiellement comme un centre de ressources. Sur les 25 volontaires, il y a deux hommes (proportion qu’on retrouve ailleurs) mais seulement trois étudiantes, ce qui le singularise. Tou-te-s habitent le quartier et la moitié des jeunes femmes sont mères. Réfugié-e-s et citoyen-ne-s se côtoient. Sans travail, les volontaires inventent leur propre activité de formation. Le centre met à leur disposition une professeure d’artisanat, ainsi que ses locaux pour cuisiner les repas de rupture du jeûne pour le ramadan qui s’annonce. Ils distribueront aussi des boites de nourriture pour les plus pauvres mais les plats contenus seront confectionnés par eux. Ce centre est donc ouvert à tout le monde, demandant aux volontaires, non pas un diplôme mais une volonté et un savoir-faire.

Nous assistons à un cours de soins de première urgence dispensé avec calme et assurance par un ambulancier du Croissant Rouge.

Qu’attendent les volontaires de ce centre ? De l’expérience (« donner et apprendre »), de l’assurance en tant que femmes, contrebalancer l’extrême pauvreté du quartier éviter aux plus jeunes les difficultés rencontrées lorsque personne n’a pu les aider dans leurs études et bien sûr l’espoir que tout cela débouchera sur un emploi.

Les taxes imposées sur le travail informel et le coût des études universitaires (faute de paiement, même si on a suivi les cours, on ne peut pas se présenter à l’examen) sont cités comme des obstacles à la volonté de s’en sortir.

Dans ces conditions, les ressources que le centre permet de dégager comme le cours auquel nous assistons sont d’un apport précieux.

Repas avec Ziad Medoukh

Responsable du département de français à l’université al Aqsa, Ziad a fait de nombreux voyages, séjours et conférences en France. Son premier voyage, c’était en 1997.

Pendant la guerre de 2014, il a envoyé tous les jours au mouvement de solidarité des compte-rendus quotidiens extrêmement détaillés sur la Bande de Gaza dévastée. Il nous signale que depuis octobre 2015, 400 Palestiniens ont été tués dont 11 à Gaza.
Depuis la guerre de 2014, il n’a pas été autorisé, malgré des demandes, à sortir de Gaza.

Ziad est très sévère contre les deux gouvernements palestiniens : « au-delà des paroles, de fait ils sont d’accord pour ne pas soutenir

— le soulèvement de la population.

— le mouvement BDS

— la résistance non violente. »

Ils redonne les chiffres de la division : 70000 fonctionnaires salariés de l’Autorité Palestinienne à Gaza dont seulement 20000 exercent (santé, éducation) et 40000 fonctionnaires recrutés par le Hamas sur une base clientéliste. Cela peut déboucher sur des situations cocasses : à l’université al Aqsa, il y a deux présidents. L’un « légitime » mais tenu à l’écart des affaires. L’autre non reconnu par Ramallah mais de fait en poste. La protestation contre la division peut aussi être réprimée. En 2010, une manifestation se soldera par 11 morts.

Ziad nous signale un événement trop oublié. Le premier blocus de Gaza n’est pas le fait des Israéliens mais de l’Union Européenne. Elle assurait à l’époque 70% des finances palestiniennes (aujourd’hui c’est 30%). En 2007, quand le Hamas prend le pouvoir à Gaza, elle cesse brusquement de payer. Les fonctionnaires n’auront pas de salaire pendant 7 mois.


NDLR :
Lire la chronique précédente
Lire la chronique suivante

    Tous les dossiers