Samedi 28 mai après midi
Les structures traditionnelles de la société tiennent bon. Par exemple les très grandes familles (au sens large) sont représentées par un mokhtar élu en leur sein : un homme disposant souvent de biens (mais pas toujours) et respecté pour sa droiture. C’est à la fois un juge de paix et le défenseur des droits de la famille.
Ainsi Abou Jamal a été élu mokhtar d’une communauté de 6000 personnes parmi 6 candidats.
À notre grande surprise, il y a dans la bande de Gaza 5 mokhtaras. Nous avons rencontré à Abassam une femme mokhtar qui s’appelle Sumaya al Hanafi. Investie en 2010, c’est la première femme mokhtar de toute la Palestine.
Elle pratiquait déjà la résolution des conflits. Elle a pu d’autre part suivre une formation au leadership faite par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Elle en a conclu : « pourquoi n’y aurait-il pas de femme mokhtar dans la Bande de Gaza ? »
Il n’a pas été facile de faire accepter cette idée par les hommes mais elle a eu le soutien de sa famille et maintenant de nombreux mokhtars travaillent avec elle. Il lui manque encore la reconnaissance pleine du statut de mokhtar qui se traduit par la possession d’un sceau personnel. Elle est sûre de l’avoir un jour.
Elle intervient dans la prison des femmes et, parce qu’elle peut rentrer librement dans les maisons, elle peut résoudre des problèmes auxquels un mokhtar comme Abou Jamal n’a pas accès. Et réciproquement. Elle détaille devant nous des exemples.
— Convaincre un veuf remarié que sa nouvelle épouse a droit à avoir un enfant.
— Une affaire de mariage forcé. La mokhtara va découvrir que cela cache une affaire d’inceste.
Une discussion s’engage à propos de l’état de la loi. Le fait qu’en cas de divorce, le garçon soit gardé par sa mère jusqu’à ses 7 ans et la fille jusqu’à ses 12 ans est-elle une preuve de reconnaissance de la place des femmes et de leur rôle de mère ou au contraire les prive-t-elle du droit d’élever leurs enfants adolescents ?
La guerre de 2014 reste gravée dans sa mémoire comme l’horreur absolue. Abou Jamal intervient alors : « j’ai 60 ans et je préfère aller en prison plutôt que de revivre ce que nous avons vécu quand nous nous sommes réfugiés dans l’école ». La mokhtara détaille les conséquences dramatiques pour les familles et les individus qui se font sentir encore deux ans plus tard.
La mokhtara est bénévole, elle demande à ce qu’on aide l’association (Alsadaka) qui lui ouvre ses locaux à Abassam. Elle rappelle que tous les bénévoles paient pour leur propre travail.
Depuis les 10 ans qu’elle assure cette charge, elle a vu les femmes devenir plus fortes, affirmer leurs opinions, mieux se défendre et défendre leurs enfants : « le futur sera meilleur ».
Soutenez la première mokhtara en Palestine !
Tout le monde connaît dans la bande de Gaza la Doctora Mariam. Elle a participé à la lutte armée aux côtés de Leila Khaled. Elle est aujourd’hui membre de la direction du FPLP.
« Le monde vit une période très dangereuse comme avant la deuxième guerre mondiale. Des tendances fascisantes, une montée du racisme, le tout dans un cadre de technologies infiniment plus puissantes et d’un rôle dominant des médias. »
« Les gens ordinaires doivent avoir peur. Tout le monde instrumentalise les Palestiniens. L’occident a installé Israël au Proche-Orient pour détruire les pays arabes. Ce pays grandit chaque jour pour réaliser son rêve d’aller du Nil à l’Euphrate ».
« Les gens ordinaires se sont révoltés avec le printemps arabe. Qu’est-ce qui s’en est suivi ? L’arrivée des islamistes comme les Américains le voulaient. Américains, Israéliens et Européens veulent que les Palestiniens paient la crise actuelle par le sang. Gaza est une prison sans avenir, sans espoir et sans travail. C’est le seul endroit où, quand on veut partir, on ne sait pas quand ce sera possible et quand on reviendra.
Les pénuries sont incessantes. Un jour, il y a du pain, un jour il n’y en a pas. Un malade peut mourir faute de médicaments ou de médecins. C’est comme si la Palestine était en dehors de toute règle, en dehors de l’humanité.
« Il est urgent d’en finir avec la désunion palestinienne. Sans union, nous sommes impuissants. » Il faut aider la gauche. Nous avons besoin de soutien, y compris financier. Il y a besoin de projets pour soutenir les femmes, les jeunes, les étudiants, la médecine et les groupes universitaires qui, contre le discours d’Israël, racontent ce qu’est notre histoire. Il faut combattre le blocus de Gaza et soutenir le BDS. Toutes les organisations palestiniennes sont au côté du BDS.
Il y a des manifestations hebdomadaires de femmes contre la désunion palestinienne.
On essaie de réunifier la gauche palestinienne mais ça prend du temps. S’il y a union, bon nombre de dirigeants perdront leur titre et, en bons bourgeois, ils renâclent. En pays occupé, cette première place ne signifie rien : « Abou Mazen ne peut pas aller aux toilettes sans l’autorisation d’Israël ».
Doctora Mariam considère Liberman comme un aventurier que Nétanyahou utilise comme une marionnette. La possibilité d’une nouvelle attaque israélienne n’est pas spécifiquement liée à cet homme. On constate quand même que les drones qui avaient disparu depuis 6 mois sont revenus.
« Nous sommes contre la solution à deux États. La Palestine, c’est la Palestine. Nous sommes contre Oslo. Nous l’avons combattu. Nous avons essayé d’infliger une défaite aux dirigeants de l’OLP mais nous avons échoué ». Nous avons alors dit : « OK, essayons ».
On a décidé de rentrer à Gaza. Mais 20 ans après Oslo, nous avons perdu tellement de territoire! Oslo c’était un piège avec un appât pour nous faire rentrer dans la cage. Et maintenant, on a perdu tellement de temps et tellement d’autres choses et on a récolté la division. Le pouvoir est un piège. Il faut procéder à de nouvelles élections.
On doit construire une Palestine pour tout le monde. Quand la Palestine sera libre, il sera temps de choisir avec quel système économique et social elle veut vivre.
Tous les partis ont changé, y compris le FPLP. L’importance de ce parti, c’est la qualité de ses militants. Nos dirigeants ont été assassinés ou sont en prison. L’Amérique, Israël, l’Europe, l’Autorité Palestinienne et le Hamas nous combattent.
Le FPLP n’a rien contre les Juifs. On peut vivre ensemble dans un même pays démocratique sous le drapeau palestinien. Mais Israël refuse la solution « un État pour deux peuples. »
On peut accepter la solution du retour aux frontières d’avant 1967 mais comme étape. Il faudra continuer. Doctora Mariam combat l’instrumentalisation de la religion dans cette guerre : « autrefois on ne demandait pas aux gens leur religion : nous sommes tous palestiniens ».
On parle toujours de la peur des Israéliens. « Ils ont peur parce qu’ils ont volé ». On regrette toujours qu’il n’y ait pas eu de caméra au moment de la Nakba. Aujourd’hui il y en a mais les gens ferment les yeux. Voyez le bruit qu’a fait l’attentat en France. Ces attentats sont quotidiens en Palestine. Qui dans le monde vit dans les mêmes conditions que nous ?
Quand on dit que les Juifs ont droit de se défendre, ça ne correspond à rien. Quand ils sont arrivés fuyant Hitler, on a ouvert nos maisons et ils nous ont mis dehors.
Nous passons la soirée chez un jeune couple hispano-palestinien. Parlant de la place des femmes, l’homme met l’accent sur la permanence du système patriarcal qui est un grand frein à la libération individuelle et qui pose un vrai problème pour le projet national.
On met en avant leur rôle dans la société civile. Il y a 60% de femmes dans la base sociale du Hamas mais vous n’en trouverez quasiment pas dans les échelons de la hiérarchie. Le FPLP met en avant Leila Khaled ou Doctora Mariam mais il n’y a pas plus de 5 ou 6 noms. Idem au Fatah.
Même dans les organisations de gauche, on veillera à ce que les femmes rentrent avant 14 h plutôt que de lutter contre les stéréotypes.
Tous les comités créés par Yasser Arafat au moment de la conférence de Madrid de 1991 ont été transformés en ministères au moment de la création de l’Autorité Palestinienne sauf … le comité des femmes.
Sur la division politique, on a besoin d’une vraie action, voire d’une révolution pour obtenir des élections. La situation actuelle convient à l’occupant. Elle est tellement économique : c’est nous qui payons tout.
Dimanche 29 mai (7)
Nous n’avions, lors dans notre entrée à Erez, que le permis de séjour habituel à Gaza soit 7 jours. D’autre part il avait fallu fortement insister pour que cette mission, comme la précédente, puisse rentrer à Gaza. Nous sommes donc allés à la Sécurité, accompagnés de notre référent, le président de l’UAWC. La Sécurité qui s’était montrée cassante lors des démarches de nos amis pour que nous puissions rentrer, nous a accueilli avec le sourire, a posé un nombre vraiment minimum de questions, nous a donné la prolongation de notre séjour et a envisagé positivement la venue de nouvelles missions semblables à la nôtre.
Nous sommes reçus au PCHR (Centre Palestinien des Droits Humains) par Hamdi Shaqqura, vice-directeur.
« Israël semble souhaiter le maintien de la situation actuelle pour des générations, c’est-à-dire un blocus hermétique et l’échange « tranquillité contre tranquillité ». Ils ont besoin de cette tranquillité à Gaza, pour le reste, ils se fichent de savoir qui dirige Gaza. Ils pourraient même souhaiter que ce soit Daesh à partir du moment où ils se conforment à cette règle. Ce serait même mieux pour eux puisqu’ils souhaitent entretenir la peur du terrorisme.
C’était cela la guerre de 2014 : »si vous cassez la tranquillité, alors la réponse est la destruction totale, c’est le prix à payer ».
Les bénévoles constituent une grande partie de la capacité à résister. On en est arrivé en Cisjordanie à ce qu’il n’y ait plus d’espace pour une négociation. Qu’est-ce qui est sorti d’Oslo ?
Pourtant, au moment de la publication de la déclaration des principes d’Oslo, la population était descendue dans la rue pour crier sa joie et lançait des fleurs aux soldats israéliens. L’espoir était que ces accords mettent fin au conflit et ouvrent un nouveau chapitre.
20 ans plus tard, tout est détruit : les droits, l’autodétermination, le droit au retour, il n’en reste rien. Le « processus de paix » est mort. Après le rapport de l’ONU intitulé Gaza 2020, un nouveau rapport a été publié par une autre agence de l’ONU concluant de même à une situation désastreuse et affirmant que les principaux indicateurs actuels son tombés en dessous du niveau de 1967. Le nombre de colons a été multiplié par 5.
C’est cela le résultat d’Oslo.
J’étais pourtant tout à fait d’accord avec un article d’Oslo : l’intégration de la Cisjordanie et Gaza en une seule entité avec libre passage entre les deux. Car la liberté de mouvement, c’est la pierre angulaire de l’identité palestinienne et cela, Israël le sait. Avec l’intégration des 3 composantes (Cisjordanie, Gaza, Palestiniens d’Israël), une identité politique moderne émergeait en liaison avec la montée en puissance de l’OLP. Les Israéliens ont senti ce nouvel esprit et compris que son moteur essentiel était la liberté de mouvement. Immédiatement après Oslo, ils ont mis des barrières entre Gaza et la Cisjordanie pour aboutir à la situation actuelle.
En réalité Israël veut que l’État palestinien à venir soit réduit à Gaza. C’est cela leur stratégie mais pour les 20 ans à venir, ils ne le diront pas. Ils continuent à grignoter systématiquement la Cisjordanie. »
Hamdi réaffirme le soutien du PCHR au BDS, le refus de sa criminalisation et la défense d’Omar Barghouti.
Pour ce dimanche 29 mai, nous sommes les invités de Ziad Medoukh pour son émission hebdomadaire en français « Gaza la vie ». L’émission sera visible très rapidement sur Youtube.
Ziad a terminé l’émission par un remerciement appuyé à l’UJFP pour son rôle dans le mouvement de solidarité. Il a insisté sur le fait que les Palestiniens n’ont de problème de cohabitation avec personne : « regardez-moi, je suis assis entre deux Juifs, c’est parfait ! »
NDLR
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