Chroniques de Gaza (4)

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On suit la route du bord de mer. La plage est très belle. Il y a des gargotes, des pêcheurs. On traverse le camp de Deir al Balah. On longe l’ancienne colonie de Gouch Katif et sa palmeraie et on oblique vers l’est.

Rencontre avec le maire de Khuza’a, gros bourg agricole de 15000 habitants dans la zone tampon qui jouxte la « barrière de sécurité ». Le maire commence par quelques généralités sur l’amitié avec la France. Il explique : « nous n’avons rien contre les Juifs, nous avons vécu avec eux, nous respectons leur histoire. Nous reconnaissons Moïse ou Jésus comme prophètes. Notre religion appelle au respect de toutes les autres.

Mais nous haïssons le sionisme. Nous savons combien les Européens ont souffert pendant la deuxième guerre mondiale. Nous avons appris de l’Europe et notamment de la France à lutter pour la liberté ».

Il évite toute confusion : « on veut la paix et la liberté, on veut la paix avec les Juifs, on a le droit de se défendre ».

Il exprime sa satisfaction que des internationaux viennent à Gaza : « vous devez témoigner de nos souffrances et être nos avocats ».

On en arrive à la description de ce que Khuza’a a subi pendant l’opération « bordure protectrice » en 2014. « Khuza’a touche Israël, on est voisin, on ne leur fait aucun mal mais ils nous haïssent. Dans cette guerre, personne n’a gagné, tout le monde a perdu ».

« Ils ont bouclé Khuza’a de tous les côtés. Ils ont imaginé qu’il y avait des tunnels partant de Khuza’a. Ils n’en ont trouvé aucun. L’armée israélienne ne pouvait pas rentrer à Gaza ou à Beit Hanoun à cause de la résistance armée. Comme chez nous, il n’y avait ni résistance armée, ni combattants, ils ont voulu prouver qu’ils pouvaient occuper. Notre village leur a servi d’entrainement. En fait, les seuls « tunnels » qu’ils ont trouvés étaient des caves où on stockait le blé et les légumes. »

« Je suis un maire, je n’appartiens à aucun parti politique. Nous n’avons tué personne à la frontière, nous ne faisons que nous défendre. Ils nous haïssent parce que nous sommes palestiniens. »

« L’occupant a détruit totalement 395 maisons, en a rendu 600 inhabitables, en a endommagé moins gravement 300. Ils sont rentrés dans toutes les maisons, le village a été fermé pendant 22 jours. Ils ont amené de nouveaux soldats pour leur montrer comment on fait la guerre contre les civils. Ils ont tué 92 « gens ordinaires », dont deux enfants, des vieillards, un handicapé sur sa chaise roulante. Parmi les morts, un franco-palestinien de 70 ans qui a montré vainement son passeport français . La clinique a été pulvérisée. Elle nous manque cruellement, on essaie d’installer quelques soins dans le bâtiment de la mairie ».

Il nous pose la question : « pourquoi ? C’est notre vie ici, nous n’avons aucun refuge, aucun endroit où aller. »

« Personne ne veut être tué. On veut la paix, on veut mourir dans notre lit. Depuis 70 ans, Israël fait des expériences sur nous. Nous proposons d’expérimenter 7 ans de paix et de faire le bilan ».

Le maire lance un appel à l’aide pour la reconstruction de la clinique.

À la question « êtes-vous optimiste? », il répond avec humour « comment être pessimiste quand des gens comme vous viennent jusqu’ici ? »

Notre ami (qui est un farouche défenseur de la solution à un État) lui pose la question. « Je me fous de savoir qui nous contrôle. Donnez-moi la liberté, je me moque du reste. Si tu m’aimes, j’irai dans ta maison. On espère un État, un État d’amour. On ne choisit pas l’endroit où on naît. Je veux être libre de travailler. »

Là, le maire lance un autre appel. Il veut des invitations pour pouvoir venir témoigner en Europe. Il est intéressé par l’idée que nous avons soulevée d’un jumelage avec une commune française.

« L’éthique n’a pas de religion, nous sommes tous des humains ».

Il a rencontré par hasard une Israélienne de l’association des femmes pour la paix dont le fils a été tué à Gaza. Il lui a dit « vous avez perdu votre fils, je pourrais perdre les miens ». Il se demande si les femmes pourront faire la paix quand les hommes font la guerre.

Sur le « vivre ensemble », il déclare « je pourrais être voisin avec un Israélien, il doit être pour la paix ». Il rappelle que Mahomet a vécu avec les Juifs. Il rappelle qu’avant l’occupation, les Palestiniens ont vécu avec les Juifs. Et il se demande si les sionistes sont vraiment juifs.

Nous faisons un court passage à l’hôpital européen (au sud de la bande de Gaza) où la cousine de notre ami est hospitalisée à la suite d’un AVC et d’un long coma. L’hôpital est propre et bien tenu. La malade est dans une chambre individuelle. Mais pour un cas aussi grave, la famille n’a pas confiance dans certains médecins hospitaliers et songe à un transfert, éventuellement en Israël. Dans ce cas, c’est l’Autorité palestinienne qui aura à donner l’autorisation et qui paiera si elle la donne

Nous sommes reçus par Salim Abou Hatan, de la direction du comité populaire du camp de Khan Younes, un des principaux camps de réfugiés de la bande de Gaza et par Ehsan Abu Abida, responsable de l’association des femmes. Salim a passé trois ans dans les prisons israéliennes alors qu’il n’était pas combattant. Ce camp a une coopération ancienne avec l’association Évry-Palestine et dans la salle où nous sommes reçus, il y a un beau papier datant de 2006 établissant cette coopération, signé entre autre par Hind Khoury (représentante de la Palestine en France à l’époque) et par Manuel Valls, maire d’ Évry à l’époque. Approuve-t-il toujours ce qu’il a signé ? Évry-Palestine a financé la ludothèque du camp.

Après des salutations et un hommage au peuple français, Salim exprime son espoir que, qu’ils soient organisés ou pas, des internationaux viennent à Gaza de manière à pouvoir ressentir combien la situation est injuste. À l’occasion de la commémoration de la Nakba, le comité a organisé de nombreux événements pour essayer de créer des liens de mémoire entre l’ancienne génération et la nouvelle afin que la nouvelle soit consciente. Les enfants avaient un message simple : « s’il vous plaît, soyez juste avec nous ».

Après que nous nous soyons présentés, la discussion devient plus politique.

— « Que pouvons-nous faire ? Nous n’avons pas fait de faute. Tous nos sacrifices, ce n’est pas suffisant ? Ce n’est pas juste. Nous avons besoin de dire « ça suffit ». Les Israéliens doivent-ils nous éradiquer ? »

— « Nous n’avons pas besoin d’aide, nous ne sommes pas des mendiants, nous avons nos droits dont celui d’avoir un État ».

— Une discussion très contradictoire s’engage sur la question un État, deux États. D’une manière assez différente avec ce débat en France, cette question recouvre l’interrogation : « est-il possible de vivre avec son ancien colonisateur ou pas ? » Ceux qui répondent non en disant « ils nous ont fait trop de mal, criminels et victimes ne peuvent pas être égaux » sont pour deux États. Ils sont alors confrontés à la question du droit au retour des réfugiés, question incontournable dans un camp : retourner dans le village d’origine semble contradictoire à l’idée d’une Palestine limitée à la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. Ceux qui sont pour un État insistent sur le fait que les Palestiniens ont toujours vécu avec des Chrétiens ou des Juifs.

Dans la discussion est évoquée l’idée d’indemniser les réfugiés qui ne rentreront pas. L’indemnisation proposée paraît dérisoire à nos interlocuteurs car elle ne permet pas de reconstruire une vie. Ils lui opposent les indemnités que l’Allemagne a versé et continue de verser aux Juifs victimes du nazisme.

Puis Ehsan nous propose avec un power point un résumé d’un an d’activité. La densité et la diversité des activités sont impressionnantes, allant d’ateliers de formation au leadership à des journées poésie, des sorties d’enfants à l’exposition de centaines de photos anciennes sur la Nakba. En liaison avec le comité populaire, une lutte importante a dû être menée contre les décisions de l’UNRWA visant à diminuer de façon drastique les services rendus : l’UNRWA veut faire passer les effectifs maximums en classe de 36 à 55 élèves et remplacer progressivement l’aide en nature versée aux réfugiés par une carte électronique. Nos interlocuteurs pensent que cette carte sera sélective et rendra opaque leurs droits en tant que réfugiés. La lutte a permis la suspension pour cette année des deux mesures.

Une récente initiative du groupe jeunesse concerne la promotion de la lecture. Avec le slogan « les lecteurs ne volent pas, les voleurs ne lisent pas », le groupe veut collecter un million de livres dans la bande de Gaza et les mettre à disposition pour une lecture gratuite ou un échange avec un autre livre.

Ils ont une page facebook.


NDLR:
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