Mardi 24 mai au soir.
D’abord une anecdote. Le consul français à Gaza était un franco-palestinien. Gravement malade, il n’a pas obtenu pendant des mois l’autorisation de sortir de Gaza. Pire, sa maison a été (probablement sciemment) détruite pendant les bombardements de 2014. Le silence du gouvernement français est assourdissant.
Et puis sur l’avenir, notre ami répète à l’envi : « beaucoup de gens pensent qu’il ne faut pas mourir, que nos enfants ne doivent pas mourir, qu’on doit vivre ensemble (avec les Israéliens). Il y a un passé où nous avons vécu ensemble ».
Nous passons la matinée à Beit Lahia. Pour l’anniversaire de la Nakba, il y a un événement qui dure trois jours organisé par 4 associations : Atorath (centre municipal), Sabah (qui vient en aide aux personnes les plus démunies), Oumma Soul (centre pour enfants et adolescents pour promouvoir la tolérance) et le groupe bédouin (qui fait vivre la culture bédouine). Chaque groupe expose de l’artisanat et des tableaux (peinture, dessins, photos retouchées). L’un d’entre eux fabrique des petits objets à partir de déchets de plastique recyclé.
Une discussion s’engage sur la division de la Palestine. Notre interlocuteur est pour un gouvernement d’Union Nationale : « la division c’est la mort ». Sur un autre stand, nous parlons avec une jeune femme en niqab, récemment sortie de l’université islamique (études religieuses). À notre question sur son opinion concernant l’avenir, elle répond : « Dieu a dit : la Palestine sera libre ». Malgré l’impossibilité d’engager un dialogue, elle est heureuse de nous rencontrer et de poser avec nous.
Un autre dialogue s’engage sur les Israéliens : « ils ne veulent pas la paix. Même si on leur donnait Gaza et la Cisjordanie, ils en voudraient toujours plus ».
Un tableau nous interpelle. On y voit le petit Aylan (l’enfant réfugié syrien mort sur une plage). Sa tête est bloquée sur une grosse pierre sur laquelle est écrit « la bonne conscience arabe ».
Une femme bédouine et sa fille de 6 ans présentent fièrement quelques aspects de la culture bédouine. Si l’habit traditionnel couvre une très grande partie du visage, la femme frappe par son assurance rieuse et la fierté de ses origines. La petite fille se met à chanter. Voici la traduction des paroles :
« J’ai six ans et je connais l’histoire de mon peuple. Je sais qu’ils ont déporté mon peuple. Je connais ceux qui ont donné leur âme et sont devenus martyrs. Ils ne croient pas en la liberté. Ils ont coupé les oliviers, ils ont brûlé les vignes et les figuiers. Et aussi les palmiers et les grenadiers. Ils ont détruit les maisons et les boutiques. Ils ont installé plein de check-points. Je vous jure que mon peuple, c’est comme des prisonniers dans une très grande prison. On a besoin d’union et pas d’occupation. Nous voulons vivre dans la paix, les paroles ça suffit. Des milliers de voeux pour mon peuple et aussi pour ma famille qui est en Cisjordanie. Allons, allons à la mosquée Al Aqsa. Jérusalem est pour la Palestine. »
Nous sommes invités chez Abu Jamal, mokhtar du village de Khuza’a particulièrement martyrisé pendant les bombardements de 2014. Chez Abu Jamal, un immeuble a été détruit par les F16 et trois maisons par les bulldozers. La seule maison qui est restée debout a été occupée par les soldats israéliens pendant 52 jours. Pour l’immeuble, les habitants ont été avertis par téléphone qu’ils avaient 5 minutes pour partir. C’est la « procédure » quand les avions visent des cibles choisies. Abu Jamal suggère que c’est l’existence d’une cave qui a « inquiété » l’occupant. Il n’a pas eu de victimes dans sa proche famille mais huit morts dans sa famille au sens large. L’armée a aussi détruit des arbres et le puits. La famille a trouvé refuge 49 jours dans l’école avec le reste de la population.
« Autrefois, on vivait avec les Israéliens. Ils venaient et même dormaient chez nous. On allait les voir parfois jusqu’à Tel-Aviv. Le grand changement a eu lieu vers 1986. »
« On a aujourd’hui le pire gouvernement en Israël. Il est le seul à donner l’ordre de détruire les maisons et de tuer les enfants. »
Abu Jamal défend la solution à deux États. « Le gouvernement israélien déporte les habitants de Jérusalem pour voler leurs maisons. Ils font venir les Juifs de partout ». Abu Jamal évoque le racisme interne à la société israélienne. Ça lui fait penser que jamais cette société n’acceptera les Arabes. Il constate que l’ONU défend la solution à deux États mais n’essaie pas de l’imposer à Israël. Pourquoi ? « Parce qu’on est considéré comme des terroristes ».
Une discussion assez vive s’engage sur la question des réfugiés. Abu Jamal défend l’idée qu’il n’est pas envisageable de les abandonner à leur sort et qu’en conséquence il n’y a pas de solution sans envisager leur retour. Il insiste sur leur situation (en particulier au Liban).
Abu Jamal insiste pour que les Internationaux viennent et témoignent. Il les accueillera, il faut qu’ils découvrent ce que sont les Gazaouis. Il cite l’exemple d’une militante espagnole ayant été à Gaza capable d’interrompre le discours du Premier ministre de son pays en défaveur de la reconnaissance d’un État palestinien.
Dans les champs de la zone tampon, la récolte de blé est presque achevée. Cette année, la Croix Rouge a eu une vraie action : elle a donné les moyens de la réhabilitation des champs ravagés, a fourni les semences et a enfin négocié la sécurité de la récolte dans la zone particulièrement exposée (jusqu’à 300 m de la barrière). La négociation n’a porté que sur un temps de sécurité très limité (qui s’achève dans deux jours) mais la possibilité d’utiliser les tracteurs va probablement permettre l’achèvement de la récolte.
Il y a encore d’autres dégâts visibles : les traces des chars dans les oliveraies, des maisons détruites. Des familles vivent toujours dans des algecos. Une température de 52° y a été relevé il y a 3 jours et nous ne sommes qu’en mai. La reconstruction des maisons, un peu partout visible est arrêtée faute de ciment. Pourtant tous les champs sont cultivées et, bien qu’elles aient été intégralement détruites, de nouvelles serres ont été installées.
On rentre par la route Saladin qui traverse la bande de Gaza d’un bout à l’autre. Elle est en travaux depuis quatre ans. Sa transformation en autoroute est financée par le Qatar.
NDLR :
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