Chroniques de Gaza (19 et fin)

Jeudi 9 juin

La veille, les au revoir ont été remplis d’émotion. Tous nos amis nous demandent quand nous reviendrons. Et nous n’avons pas la réponse.

On a appris l’attentat de Tel-Aviv et les représailles immédiates (l’interdiction de sortie de 83000 Palestiniens). On entend une grande colère à Gaza sur le communiqué du Hamas qui approuve l’attentat. « C’est une invitation à ce que nous subissions de nouveaux bombardements ». On apprend par Facebook qu’un des 4 morts de Tel-Aviv était un anthropologue militant pour une paix juste. Et on lit la déclaration du maire de Tel-Aviv qui affirme que l’attentat est la conséquence de l’occupation et de la colonisation.

Il nous faut tout juste 3 heures pour aller de l’appartement que l’on quitte à Gaza à un petit hôtel dans la vieille ville de Jérusalem.

Le passage d’Erez avec sa haute technologie est pour nous assez rapide. Il est impossible pour la quasi-totalité des Gazaouis. Le taxi qui nous emmène à Jérusalem est conduit par un Bédouin du Néguev.

Compte-rendu et discussion au consulat français de Jérusalem

Nous sommes reçus par Madame la consule Minh-di Tang. Nous évoquons l’attentat de la veille et ses conséquences. Elle parle de la déclaration du maire de Tel-Aviv. Elle nous rappelle que le gouvernement français n’a aucun contact avec le Hamas, déclaré organisation terroriste, et que c’est le fruit d’une décision européenne à laquelle l’Allemagne tient beaucoup. Comme tous nos interlocuteurs à Gaza, l’idée de nouvelles élections palestiniennes lui paraît pertinente. Quand nous évoquons la défiance entendue à Gaza vis-à-vis de l’activité de lUNRWA, elle défend la fonction et le rôle de cette institution.

Son intérêt et, au-delà, celui du consulat pour la situation à Gaza est indéniable. Nous sommes conscients que nous sommes capables de rendre compte de la complexité de la société civile gazaouie et de la distance parfois très importante entre la perception construite par l’approche des professionnels de la diplomatie et ce que nous avons observé. Nous comprenons que le consulat partage réellement avec nous l’idée que la présence de Français à Gaza est importante. Dans la situation actuelle, la question d’un flux régulier de solidaires français présents à Gaza est posée. Souhaitons qu’elle soit résolue. Toutes les pistes doivent être explorées.

Rencontre avec Michel Warschawski, fondateur d’une association israélo-palestinienne, l’AIC (Centre d’Information Alternatif, 1984)

À notre question sur l’état de la société israélienne, Michel répond : « elle va mal, très très mal. C’est comme dans les tragédies grecques, il s’agit de rendre fou le personnage avant de le tuer ». Il parle de la rivalité à droite entre Nétanyahou, Bennett et Lieberman. Dans cette bataille triangulaire, aucun ne domine vraiment.

On parle de la guerre de 2014 à Gaza. Sur les bombardements des écoles, l’armée se défausse de ses responsabilités en disant que ça résultait d’une erreur. Michel confirme ce qu’on nous avait dit la veille sur Shoujaïa. Il évoque la directive Hannibal (directive secrète de l’armée israélienne) qui consiste à éviter coûte que coûte une prise d’otage. Il n’en constate pas moins avec amertume qu’en Israël, la modération vient des institutions que l’on attendrait le moins sur ce terrain : l’armée, le Shih Beth, le Mossad. En rigolant, il fait semblant de se demander si un coup d’État militaire ne serait pas souhaitable.

Depuis les années 2000, la droite est dominante, ce qui n’était pas le cas précédemment. L’asymétrie n’est pas tellement en termes quantitatifs. La droite a un projet, une éthique et un programme, la « gauche » non.

Compte tenu du côté passionnant des débats et discussions pendant le « mouvement des tentes », lui-même a cru que cela déboucherait sur une remise en cause de la société. Force est de constater que cela n’a pas été le cas et beaucoup de leaders de ce mouvement se sont intégrés sans problème aux partis politiques existants.

Il oppose Tel-Aviv l’européenne et Jérusalem, la ville orientale et religieuse. Vue de Tel-Aviv, la Palestine est un pays étranger que l’on ne connaît pas. C’est impossible à Jérusalem.

Les jeunes de Tel-Aviv peuvent remettre en cause la classe politique (« ils nous ont pourri notre pays ») sans référence à la question palestinienne. Jérusalem, c’est le même monde que celui des colons. À Tel-Aviv, on va trouver la gay-pride et à Jérusalem la « marche des drapeaux ».

Nous lui demandons si des ONG israéliennes pourraient aider des Français à rentrer à Gaza. Il émet les plus grands doutes. Ces ONG sont d’ailleurs parfois en mauvaise situation. L’AIC elle-même a des difficultés et son site vient d’être piraté.


NDLR
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