Mardi 31 mai
Journée de l’éducation
Avant de partir à Gaza, nous avons fait une demande à l’ESPE (École Supérieure du Professorat et de l’Éducation) d’Aix-Marseille. Le responsable des relations internationales de cet ESPE nous a chargé d’explorer des formes de coopération ou de partenariat possibles entre l’ESPE et la formation des maîtres à Gaza.
Nous sommes amenés à préciser comment les choses se passent en France. Les professeurs sont recrutés par concours avec un master. La formation qui leur est dispensée porte à la fois sur les savoirs, les contenus d’enseignement, la pédagogie et la didactique. L’ESPE est aussi un lieu de recherche. Avant d’être titularisés, les futurs enseignants ont un stage en situation. Les formes de partenariat seront bien sûr à discuter. L’éventualité de voyages (à Marseille ou à Gaza) dépend aussi de la possibilité de voyager.
Nous échangeons sur ce possible partenariat et sur la prochaine mission à Gaza avec deux inspecteurs de français.
Puis nous sommes reçus par la direction de l’université ouverte al Quds.
L’université ouverte Al Quds, donnant une place très importante à l’enseignement à distance, comporte 5 implantations à Gaza. La moitié des cours ont lieu sur place et l’autre moitié à distance (par internet). En tout Al Quds a 68000 étudiants dans 22 branches dont 16000 à Gaza (5 branches). Elle est ouverte à tout le monde après le baccalauréat indépendamment de l’âge. Elle est mixte et ne fait aucune différence entre les étudiants, quel que soit leur âge ou leur religion. Elle figure parmi les meilleures universités du monde arabe et a reçu des distinctions internationales. Elle est jumelée avec une université de Toulouse. L’université emploie 22 professeurs en poste et 80 vacataires.
Nous recevons une description détaillée des diverses formations existantes. Parmi elles, va s’ouvrir un master en éducation. C’est le premier master à Gaza, les formations s’arrêtant pour le moment à la licence. Une coopération sur la formation des enseignants a déjà eu lieu avec le gouvernement indien. Nous présentons le projet de l’ESPE d’Aix-Marseille. L’idée intéresse nos deux interlocuteurs. Avec chez eux en plus l’idée de transmettre la culture française aux étudiants de Gaza. Après ce premier rendez-vous, nous avons une meilleure idée de la marche à suivre. La très grande envie de coopérer avec des institutions à l’étranger semble avoir pour contrepartie une mise en concurrence des universités de Gaza.
Université al Aqsa et Université de Gaza
Nous visitons d’abord les locaux du département de français de l’Université Al Aqsa : une grande table centrale, une rangée d’ordinateurs contre le mur. Et une personnalité très connue du mouvement de solidarité : Ziad Médoukh directeur du département.
Le Professeur Sarsour, qui fut longtemps doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université al Aqsa, et qui prend ces jours-ci la tête de l’Université de Gaza, rappelle la grande présence des solidaires français, et les jumelages du département avec des universités à Lyon, Lille et avec Paris 8
Pr. Sarsour nous emmène dans les locaux neufs de l’université de Gaza. Elle a été fondée en 2009, dans le quartier populaire de Zeitoun. Elle comporte le droit, la communication, la comptabilité et finances, les TICE, l’Éducation (le génie civil est en projet). Elle assure aussi la formation continue. Face au chômage massif des diplômés (une fourchette de 200 à 1000 emplois sont proposés chaque année, quand 10 000 nouveaux diplômés sortent). L’université essaie de promouvoir des spécialités rares et de mettre l’accent sur des formations professionnelles adaptées, les formations théoriques étant insuffisantes. La pédagogie reflète cette volonté de professionnalisation, par exemple en faisant travailler dès la première année les étudiants en droit sur des situations pratiques. Il y a eu un projet de créer un département de français avec l’aide du consulat de France à Jérusalem mais le ministère de l’éducation à Gaza a refusé l’ouverture (encadrement très faible et impossibilité due au blocus de faire venir des Français).
C’est avec cette université que nous avions pris les premiers contacts et la présentation du projet est accueillie très favorablement. Nous présentons la convention d’accord. Se dessine la solution que chaque université puisse dans ce cadre présenter son propre projet, le tout étant chapeauté par le ministère que nous informerons.
Nous sommes invités à un superbe repas chez le professeur Sarsour. Après un échange sur la situation politique à Gaza, une très belle discussion s’engage sur la religion. Le professeur Sarsour défend avec force un islam ouvert et tolérant. Il nous cite à l’appui de longs passages du Coran. Il s’appuie sur un hadith : « je préfère que la Mecque soit détruite pierre par pierre plutôt qu’on tue un homme ». Et il exprime clairement son refus du fondamentalisme et même de l’islam politique. Il refuse une lecture non contextualisée du Coran et la non prise en compte du fait que certaines sourates ont été déclarées obsolètes par les « docteurs de la loi ». Nous posons la question de ceux qui ne croient pas. Il n’exprime aucune réticence particulière vis-à-vis de cette position. Pour lui, l’islam est universel et prône l’égalité.
Visite chez les agriculteurs de Beit Lahia
Mohamed al Bakri, directeur de l’UAWC (Union des Comités des Travailleurs de l’Agriculture) noue emmène à Beit Lahia au nord de la bande de Gaza à 2 Km de la « barrière de sécurité ». La zone a été totalement ravagée en 2014 : maisons pulvérisées, champs inutilisables, exode de l’ensemble de la population (222000 familles, soit 90% de la population de Beit Lahia) vers la ville de Gaza, y compris avec les quelques animaux qui ont pu être sauvés. Les réfugiés ont utilisé tous les abris de fortune possibles. L’ami qui nous accompagne nous raconte avoir vu pendant les bombardements un immense charnier d’animaux. Il y a eu une évaluation officiel du coût de la remise en état des terres agricole à cet endroit. C’était 800000 dollars.
Dès leur retour chez eux, les paysans se sont efforcés de remettre les fermes en état pour pouvoir produire à nouveau au plus vite. L’UAWC a accompagné ce mouvement. Mohamed nous dit : « C’était un des buts de l’occupant que d’arracher définitivement les paysans à leur terre et de les contraindre à vivre de la charité. L’UAWC a développé tous les projets qu’elle a pu pour accompagner la volonté des paysans d’être indépendants coûte que coûte car la remise à la terre est difficile. »
Celle région travaillait grâce à des serres qui ont été détruites en entier. Cultiver en pleine terre demande beaucoup d’irrigation d’où la mise en place de solutions alternatives moins coûteuses comme nous allons le constater.
Nous sommes sur un petit terrain d’un hectare et demi où vivent 25 personnes (toutes liées familialement). Pour la première fois à Gaza est implanté sous serre une production de fraises hors sol. De longues rangées de plants sont alignées sur deux étages. Implantés dans un volume minimal de tourbe (le système pourrait être installé sur des toits), ils consomment un minimum d’eau et cette eau est largement récupérée. C’est une économie de 90% sur l’arrosage qui est ainsi réalisée. Aucun pesticide n’est utilisé et les graines sont récupérées pour la récolte suivante. Si la tourbe doit être achetée à l’étranger et coûte cher, elle peut être utilisée pour trois récolte. Du coup la dépense est supportable. Les fraises obtenues sont délicieuses. Cette toute première récolte arrive trop tard, la frontière est fermée mais elle sera vendue sur le marché intérieur ou transformé en confiture (également excellente). En passant devant un champ de concombres magnifiquement vert derrière lequel il y a un tas de gravats très impressionnant, Mohamed nous dit montrant le champ : « voilà ce que les Palestiniens font » et montrant les gravats : « voilà ce que les sionistes font. »
Tout près de l’abri des moutons se trouve un bassin d’eau dans lequel sont élevés des poissons dont les déjections ajoutent à l’eau d’arrosage du fertilisant d’arrosage. Mohamed résume la philosophie de l’UAWC : abaisser les coûts de production par des techniques inventives, c’est accroître la résilience des agricultures. Les paysans sont durs à la tâche. Si on leur apporte des technologies raisonnables, ils peuvent assurer la sécurité alimentaire de toute la population. Ils gagnent leur vie et offrent des produits bon marché à la portée même des plus pauvres ».
Autre exemple : l’installation de panneaux solaires permet d’éviter le recours au fuel (très cher) face à la pénurie d’électricité.
Nous sommes sous une tonnelle avec un vent délicieux. Cet endroit pourrait devenir un lieu touristique. Nous abordons d’autres aspects. Grâce à la production de cette ferme, l’UAWC sera en mesure de distribuer pendant le ramadan des légumes frais à 1000 familles. Une nouvelle coopérative de femmes vient de se créer pour la transformation des produits agricoles.
Mohamed nous parle de sa vie militante. Dans les années 80, plusieurs fois arrêtés, il part faire ses études en Turquie. Ce pays est alors une dictature militaire avec une extrême droite puissante et violente, très hostile aux Palestiniens. Il sera plusieurs fois attaqué ou emprisonné. Les Israéliens s’opposent à son retour, mais, une fois son diplôme obtenu il décide de rentrer. Après 8 ans d’absence, la police le cueille dans l’avion, il fera 11 mois de prison avant de pouvoir enfin rentrer à Gaza. Une semaine avant l’attaque de 2014, alors qu’il est à l’étranger, il comprend que la guerre va commencer. Il se précipite à Rafah, totalement désert, et parvient à franchir la frontière le premier jour des bombardements. Quand ceux-ci s’arrêtent 52 jours plus tard, il est hospitalisé pour épuisement.
L’agriculteur responsable de ce petit terrain nous dit : « ils ont totalement détruit ma ferme mais pas ma maison. J’aurais préféré l’inverse. Sans maison, je peux monter une tente, sans terre, je ne peux pas nourrir ma famille. »
Nous terminons par la visite d’une pépinière également soutenue par l’UAWC qui permet aux agriculteurs d’être indépendants et de ne pas avoir à acheter de plants.
NDLR :
Lire la chronique précédente
Lire la chronique suivante