Martine Millet a été pasteur de l’Eglise réformée de France (aujourd’hui Eglise Protestante Unie de France). En 2010, elle a fait partie d’un programme du Conseil Œcuménique des Eglises, EAPPI, et a passé trois mois en Palestine.
Entre autres, membre de l’UJFP.
Françoise Manhes est membre de « Chrétiens de la Méditerranée ». Depuis juin 2010, elles se rendent régulièrement en Palestine rencontrer des associations israéliennes et palestiniennes ainsi que des personnes.
Nous étions à Al Arakib l’an dernier pendant trois jours dans le cadre de « Negev Coexistence ». Pour cette année, nous leur avons fait une proposition : arriver avec des jeux de société pour enfants de 3 à 10 / 12 ans et leur apprendre à jouer pour leur permettre quelques instants d’échanges, de rires, de jeux avec nous et entre eux. L’an dernier, nous avions constaté que les enfants qui n’ont pas beaucoup de jouets, s’approprient immédiatement la balle, les billes, les divers jeux et ne savent pas partager. Il nous semblait important de vivre avec eux un temps hors du temps dans le plaisir du jeu.
Nous sommes arrivées jeudi 19 septembre et avons été accueillies par Atyia de Chasham Zaneh. Il gère une petite « guesthouse « dans un bâtiment en dur, un bloc de pierres, avec deux chambres de chacune trois lits, une douche et des toilettes. L’ensemble très sommaire mais on y vit parfaitement bien. Il fait très chaud. Personne ne parle anglais, nous communiquons grâce à nos photos sur notre mini I Pad.
Nous avons passé la première soirée avec deux sœurs qui épousent deux frères. Déguisées comme des poupées dans les foires autrefois, de grandes robes à volants superposés dans des couleurs vertes, jaunes, rouges, elles dansent avec leurs cousines, amies, proches, jeunes et moins jeunes. … Hélas interdiction de prendre des photos. Elles dansent entre elles dégageant toute leur sensualité avant la première consommation. Les hommes sont interdits sauf les enfants. Tout se vit et se fête entre femmes. Nous étions parmi les femmes assises le long d’un mur, buvant du coca et du thė.
Le lendemain, nous étions à Al Arakib. C’est avec un immense plaisir que nous avons retrouvé Aziz et sa famille, dont la jeune Arakib d’un an, ainsi nommée parce qu’elle est née le 13 septembre 2012, lors d’une énième destruction du village, Salim et sa famille, le Cheick toujours si élégant.
Al Arakib est devenu le symbole de la lutte des Bédouins.
Que de changements en une année… Tout d’abord plusieurs démolitions, puis des arrestations et trois des responsables ont été mis en prison, dont le Cheik du village. Al Arakib est un désert, de la terre battue sans aucune plantation, mais entouré d’arbres plantés par les Israėliens.
Le temps s’arrête autour de thė, cafė, eau fraîche. Nous avons passé un bon moment avec les hommes autour des difficultés et du Plan Prawer. La situation est grave. Les Israéliens veulent mettre les Bedouins et leurs familles dans 7 villes dites reconnues, mais bien qu’ils ne soient plus nomades depuis environ 200 ans, ils veulent vivre sur leurs terres en autarcie, avec leurs bêtes, l’agriculture et leur culture. Certains ont accepté de vivre en ville. À Hura, nous avons vu de belles maisons en pierre, mais tout autour sur les places ils ont construit des abris pour les chameaux, les chevaux, les moutons…sans oublier des baraques en tôle.
En fin de matinée, les hommes se sont retrouvés pour la prière du vendredi rejoints par d’autres hommes des villages voisins. Après la prière est arrivé le rabbin Arik Ascherman – President de l’ONG « Rabbi for Human Rights « , accompagné de quelques Israéliens de Tel-Aviv pour une prière œcuménique.
J’ai été invitée à participer à ce temps de prière, ce fut émouvant et fort.
Les hommes ont déjeuné de leur côté, nous avons rejoint les femmes et les enfants pour un déjeuner très simple, fait de pain, de concombres, d’aubergines frites et de tomates. Puis nous avons joué avec les enfants. Les jeux ont eu un succès fou…les dominos, le dooble, le jeu clown, même les jeunes filles et les mamans s’y sont misés en riant, voulant gagner à tout prix ! Les grands garçons avaient un certain regard envieux mais sans s’abaisser à vouloir jouer.
Le soir, nous étions de nouveau invitées au mariage, cette fois, les deux sœurs, futures épouses, étaient dans leur belle-famille, toujours entourées de leurs cousines, amies, proches. Elle étaient tout de blanc vêtues, assises immobiles sur un canapé, maquillées comme des geishas. Nous n’avons jamais vu les futurs maris !
Le lendemain, nous avons été dans un village bédouin très étendu. Nous avons été reçues par Adeel Agfer qui nous a fait visiter l’école qui accueille 800 ėlèves dans des baraquements, style container, dont certains datent de l’armée en 1948. Bâtiments vėtustes. Pas d’électricité …mais à 500 mètres de là, une grande centrale électrique dont les pylônes passent à côté de l’école. Une honte ! Il y a bien une climatisation pour les grosses chaleurs dans les bâtiments plus récents, mais elle ne peut fonctionner, car le générateur n’est pas assez puissant.
Adeel nous invite chez lui. Sa femme et lui sont professeurs à Beer Sheva, mais ils ont choisi de rester vivre dans une baraque en tôle avec leurs trois enfants. Adeel est amer, désappointé voire désabusé et triste. Sa femme a un visage doux et triste. On parle peu d’avenir…sujet difficile, personne ne sait pas ce qui va se passer avec le Plan Prawer.. Adeel et Abtesam devraient aller à Segev Shalom, mais pour l’instant cette ville n’a ni écoles ni infrastructures pour accueillir les Bédouins, et il n’y a aucune économie, ni usine, ni manufactures, rien ! Personne ne veut aller dans ces villes où rėgne le chômage, alors que chacun rêve d’un chez soi avec des animaux et de la terre.
Le mardi 10 septembre, un village bédouin près de la frontière avec la Cisjordanie, Arrit, a été entièrement démoli. L’objectif est de faire partir les Bédouins, une famille de 40 personnes qui vit actuellement sous deux grandes tentes. Haia Noach nous dit que ce village était fleuri, vivant, avec des cultures importantes. Nous n’avons qu’un immense tas de ruines. Tout a été emporté, les panneaux solaires, les frigidaires, les téléviseurs, les meubles… tout ! L’objectif est de tout raser puis de reconstruire un village israélien dont les futurs habitants sont actuellement dans des « mobil-homes » un peu plus loin dans la forêt. Le paysage est magnifique, de belles forêts aux arbres majestueux, un immense vignoble et des oliviers. Mais que de tristesse !
Ce que nous retenons de cette visite et de cet accueil super chaleureux est une profonde solitude et un abandon profond. Ces Bédouins, citoyens israéliens n’ont aucune aide de l’extérieur.
En Palestine où la situation est dure, il y a de nombreuses ONG présentes qui tentent d’apporter un soutien et de faire connaître la situations, mais là rien . Il y a 3 ou 4 organisations israéliennes qui tentent de les aider, entre autres « Negev Coexistence « qui fait un travail remarquable sous la houlette de Haia Noach et les « Rabbins pour les Droits des l’homme », rencontrés hier à Al Arakib.
Mais Israël n’a aucune envie de voir débarquer des organisations internationales d’autant plus que ces Bédouins sont des citoyens israéliens qui devraient avoir les mêmes droits que les autres citoyens. Et comme me dit Adeel, les ONG seraient fort mal vues et probablement mal accueillies.
Journées denses, pleines d’émotions, de contrastes et de très belles rencontres, mais au loin gronde une nouvelle « Nakba ».
Françoise Manhes et Martine Millet
Octobre 2013