Ces Israéliens qui se veulent pacifistes : encore un effort

Avertissement :

Ce texte de Richard Wagman était destiné à paraître dans le journal Libération, en réponse à un article de Avraham B. Yeshoshua, paru dans l’édition du 24-25 décembre de ce journal dans la rubrique « Rebonds ». Mais ce texte a été refusé. Le voici :

Avraham B. Yeshoshua, écrivain israélien, nous informe dans les pages « Rebonds » de Libération du 24-25 décembre de la présence de sa signature – et de celle de près de 1 000 autres personnalités israéliennes – sur une pétition exhortant les parlements européens à reconnaître l’État de Palestine. Cette initiative est salutaire, car elle traduit le sentiment de certains secteurs de la population israélienne qui souhaitent le respect des droits nationaux des Palestiniens, et qui aimeraient voir enfin une paix juste instaurée entre ces deux peuples.

Et pourtant, les signataires prennent moult précautions et annoncent des prises de position qui semblent aller à l’encontre de cet objectif. Il faut dire qu’outre des écrivains, les signataires comprennent de nombreuses personnalités qu’on peut difficilement confondre avec des antisionistes tel l’ancien ambassadeur d’Israël en France, l’ancien président de la Knesset, l’ancien président de l’Agence juive, ainsi que des officiers de l’armée israélienne. Même si leur pétition est un bol d’air frais, elle est plus timide que l’opinion exprimée par un certain nombre de leurs compatriotes. Et elle va moins loin que de nombreux Juifs pacifistes en Europe et ailleurs.

À titre d’exemple, afin de ne pas « désespérer le processus du paix », les signataires mettent en garde ceux qui seraient tentés de faire recours à la violence. Qui visent-ils, l’armée israélienne ? Non, les Palestiniens ! Tout d’abord, s’il y avait un véritable processus de paix, ça se saurait. Pour le moment, le « processus » en question consiste à de périodiques bombardements de Gaza par l’artillerie israélienne, des incursions quotidiennes de Tsahal dans des villes et dans des camps de réfugiés palestiniens, l’accentuation de la colonisation dans les Territoires occupés, des provocations sur l’Esplanade des Mosquées, le tout ponctué de rares séances de « négociations » dont l’objectif annoncé par Tel-Aviv est d’assurer la sécurité… de la puissance occupante. Dans cette configuration, des appels adressés aux Palestiniens afin d’éviter la violence sont pour le moins déplacés.

Dans leur lancée, les signataires s’inquiètent du même coup de ce qui leur paraît comme une épouvante absolue. Une autre guerre ? Non. La perspective de créer un État binational pour Israéliens et Palestiniens, de la Méditerranée au Jourdain. Compte tenu du fait qu’il y a déjà plus de 600 000 colons israéliens installés dans les Territoires occupés, on voit mal en quoi l’idée d’un seul État pour tous les habitants – Juifs et Arabes – serait une menace pour la paix et la sécurité. Elle serait peut-être sa meilleure garante. Ce n’est pas aux Européens qu’il revient de décider des contours des structures étatiques dans la région : c’est bien aux premiers intéressés de le faire. Il n’empêche, de plus en plus de Juifs, en Israël et en dehors, considèrent désormais un tel scénario comme une porte de sortie éventuelle à la crise qui secoue ces deux peuples. Peut-être dans un premier temps la reconnaissance – suivie par la création réelle – d’un État palestinien dans les frontières de 67 serait une première étape dans ce sens. Ou peut-être ce serait l’étape ultime, si les deux peuples le décident ainsi. L’histoire le dira. Mais devant l’horreur de la situation actuelle, la perspective d’un État binational constitue néanmoins une issue positive potentielle. Ce n’est surtout pas la « catastrophe » dont parle M. Yeshoshua dans son article.

Par la même occasion les signataires de la pétition demandent aux responsables européens de prendre une autre position sans équivoque. Le respect intégral du droit international ? Non, un refus du droit au retour des réfugiés palestiniens ! Encore une fois, si c’est une paix juste et durable que cherchent les pétitionnaires, ce n’est peut-être pas le meilleur moyen pour y parvenir.

Toute initiative qui vise à impliquer davantage l’Europe dans le règlement du conflit, en commençant par une reconnaissance – même symbolique – de l’État de Palestine, va dans le bon sens. Pour aller plus loin, peut-être les pétitionnaires israéliens peuvent-ils s’inspirer des responsables d’organisations juives progressistes en Europe, en Amérique et ailleurs. Comme par exemple le réseau des Juifs Européens pour une Paix Juste qui, dans un communiqué, dénonce la violence de l’armée et du gouvernement israéliens, précisant que de tels agissements alimentent l’antisémitisme, faisant « peser une menace sur tous les Juifs du monde ». Voilà une parole européenne qui vaut la peine d’être entendue.

Richard Wagman
Président d’honneur de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)

Dernier ouvrage : La Palestine, une question juive, publié chez Edilivre (2014)

25/12/14