Briser le siège : un Israélien à Gaza

Depuis plus d’un an que dure le siège criminel de Gaza, la situation y est très critique. Des militants palestiniens et internationaux, dont des Israéliens, parmi eux Jeff Halper, tentent de briser le siège par la mer. Le Free Gaza et le Liberty vont tenter d’arriver au port de Gaza, chargés de médicaments et de produits de première nécessité.

Jeff Halper
le 9 août 2008

Dans quelques jours, je vais m’embarquer sur les bateaux du mouvement « Libérez Gaza », au départ de Chypre vers Gaza. L’objectif est de briser le siège israélien sur Gaza, un siège parfaitement illégal, et qui a plongé un million et demi de Palestiniens dans une épouvantable situation : emprisonnés sur leurs propres terres, exposés à la plus extrême violence militaire, sans accès aux besoins de base, et privés des droits humains les plus fondamentaux comme de leur dignité. Ce siège viole la règle fondamentale du droit international selon laquelle il est inadmissible de nuire aux populations civiles.

Notre voyage met également en lumière les tentatives d’Israël de s’absoudre de toute responsabilité quant à ce qui se passe à Gaza. Israël prétend qu’il n’y a pas d’occupation ou que l’occupation a pris fin lors du « désengagement », ce qui est totalement faux. L’occupation est définie par le droit international comme reposant sur le contrôle total d’un territoire. Si Israël intercepte nos bateaux, il sera clair qu’il est bien une puissance occupante exerçant le contrôle effectif de Gaza. Le siège n’a non plus rien à voir avec des questions de « sécurité ». A l’instar de ce qui constitue l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, où Israël assiège des villes, villages et des zones entières, le siège de Gaza est avant tout politique. Il a pour objectif d’isoler le gouvernement palestinien démocratiquement élu, et de briser sa capacité de résistance face aux tentatives israéliennes d’imposer un régime d’apartheid sur tout le pays.

C’est pourquoi un Juif israélien comme moi se sent obligé de faire partie de ce voyage pour briser ce siège. En tant qu’individu oeuvrant pour l’instauration d’une paix juste avec les Palestiniens, et qui comprend (contrairement à ce que nos politiciens nous disent) qu’ils ne sont pas nos ennemis mais plutôt un peuple voulant bénéficier de l’auto-détermination — comme nous-mêmes auparavant —, je ne peux rester sur le bord du chemin. Je ne peux plus assister passivement à la destruction d’un autre peuple opérée par mon gouvernement, pas plus que je ne peux contempler la façon dont l’occupation détruit la structure morale de mon propre pays. Rester passif, ce serait violer mon engagement en matière de droits humains, qui constituent le fondement de la religion prophétique juive comme de sa culture et sa morale, et sans lesquels Israël n’est plus juif mais devient une Sparte vide quoique puissante.

Bien sûr, Israël a des préoccupations sécuritaires légitimes, et on ne peut excuser les attaques palestiniennes contre la population civile de Sderot et ailleurs le long de la frontière avec Gaza. Au titre de la Quatrième Convention de Genève, Israël, en tant que puissance occupante, a le droit de surveiller l’entrée d’armes à Gaza sous le motif d’une « nécessité militaire immédiate ». En tant que militant s’étant engagé à résister au siège de façon non-violente, je n’ai aucune objection à ce que la marine israélienne monte à bord des bateaux pour y rechercher des armes. Mais seulement cela, et rien de plus. Car Israël n’a pas le droit d’assiéger une population civile, et n’a pas non plus le droit légitime de nous empêcher d’atteindre Gaza puisque nous sommes des personnes privées navigant uniquement dans les eaux internationales et palestiniennes, et ce a fortiori lorsque Israël déclare ne plus occuper Gaza. Lorsque la marine israélienne sera assurée que nous ne posons aucun problème sécuritaire, nous devrions alors être autorisés à poursuivre notre route pacifique et légitime jusqu’au port de Gaza.

Des gens ordinaires ont souvent joué un rôle essentiel dans l’histoire, et tout particulièrement dans des situations comme celle-ci, où des gouvernements esquivent la question de leur responsabilité. Si mon voyage vers Gaza est une manifestation de solidarité envers le peuple palestinien alors qu’il souffre, c’est aussi un message adressé à mes concitoyens.

En premier lieu, malgré ce que nos dirigeants politiques nous disent, il y a une solution politique à ce conflit, et il y a des partenaires pour la paix. Le simple fait que moi, un juif israélien, serai le bienvenu par les Palestiniens de Gaza en est la preuve. Ma présence à Gaza confirme aussi que toute résolution du conflit doit comprendre tous les peuples du pays, Palestiniens et Israéliens tous ensemble. En conséquence, je fais usage de la crédibilité, quelle qu’elle soit, découlant de mes actions pour en appeler à mon gouvernement afin qu’il entame à nouveau de véritables négociations de paix sur la base du « Document des Prisonniers » qui a été accepté par toutes les factions palestiniennes y compris le Hamas. Car la libération de tous les prisonniers politiques détenus par Israël, y compris les membres du gouvernement et parlementaires relevant du Hamas, et ce contre le rapatriement du soldat israélien Guilad Shalit, permettraient de changer considérablement la donne politique en apportant la preuve d’une confiance et d’une bonne volonté essentielles à tout processus de paix.

En deuxième lieu, les Palestiniens ne sont pas nos ennemis. En fait, j’en appelle fortement à mes compatriotes juifs israéliens pour qu’ils se désolidarisent de la ligne politique sans issue poursuivie par nos politiciens qui ont failli, et pour qu’ils déclarent avec les acteurs de paix israéliens et palestiniens : « nous refusons d’être des ennemis ». Seule une telle assertion populaire ferait comprendre à notre gouvernement que nous en avons assez d’être manipulés par tous ceux qui profitent de l’occupation.

En troisième lieu, en notre qualité de partie la plus forte dans ce conflit et en tant que seule puissance occupante, nous les Israéliens devons admettre notre responsabilité quant au fiasco découlant de notre politique d’oppression. Il n’y a que nous qui puissions mettre fin à ce conflit.

Dans sa conception israélienne, le sionisme était supposé permettre aux juifs de contrôler à nouveau leur destinée. Ne nous laissons pas rester otages de politiciens qui menacent le futur de notre société. Rejoignez-nous pour mettre fin au siège de Gaza, et avec elle la fin de l’occupation au grand complet. Nous, les peuples israélien et palestinien, disons à nos dirigeants : nous exigeons une paix juste et durable dans cette Terre sainte torturée.

Jeff Halper

(Jeff Halper, qui dirige le Comité israélien contre les démolitions de maisons/ICAHD, a été nominé pour le Prix Nobel de la Paix 2006. Il peut être joint à : jeff@icahd.org)

traduction:Claire Paque, Afps
intro : C. Léostic, Afps

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