BRÈVES DE PRESSE #23 du 9 août 2025 – Déclinaison du génocide (1)

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« Si les droits humains, la morale ont un sens, Gaza est l’endroit où ces valeurs doivent subsister ou mourir. Car si le monde peut nous regarder disparaître sans rien faire, rien de ce qu’il prétend défendre n’est réel. »  Nour Elassy, citée par Annie Ernaux 

Notre introduction initiale à ces Brèves #23 est presque devenue obsolète le 7 août 2025. Elle disait : « Le génocide à Gaza, aussi dénié soit-il par les autorités occidentales, ne cesse pas d’être « décliné dans ses implications, y compris en termes sous-jacents par ceux-là mêmes qui le « réfutent. Ce sont ceux-là qui nous intéressent, les actuels complices des bourreaux et les « prochains négationnistes du plus grand crime du XXIè siècle1. Courage à tous les autres, les « premières et premiers résistants d’opinion, comme à celles et ceux qui s’éveillent aujourd’hui à « la vérité et n’en peuvent plus d’être compromis par leurs dirigeants accrochés à la traîne du « fascisme célébré en suprémacisme. Zaho de Sagazan ne vient-elle pas de souffler dans les « voiles de notre contestation commune ? Que gonfle la colère en une indignation générale et « s’éteigne l’indifférence coupable à l’universelle tragédie. Sud-Ouest, 28/07/2025 : Zaho de Sagazan interpelle Macron sur Gaza : « Ne décorez pas votre communication avec mes chansons si vous laissez faire un massacre »

Le 7 août 2025 devrait clore le débat des interprétations en suspens2 car tout ce que les pro-israéliens niaient est mis en lumière par l’annonce par Netanyahou, de l’entière occupation de la bande de Gaza. Et voilà. Comme il est dit le lendemain dans le Nouvel Obs, c’est « clair comme de l’eau de roche ». Les gens avertis savent que l’assaut du fameux « 7 octobre » a été pris comme prétexte à l’annexion de la Palestine configurée dès la première moitié du XXè siècle. C’est « un TOURNANT aux conséquences préoccupantes » écrit Le Monde. Le journal reconnaît que c’est un tournant, mais parlant le langage de l’Union politique Européenne, il n’y voit que des « conséquences préoccupantes »3. Quand les peuples du monde entier en perçoivent, eux, la monstruosité, sans savoir encore se mobiliser à la hauteur de l’enjeu.

Pour y voir encore plus clair, commençons par une question de fond, le révisionnisme en action

Cette question est liée à tout génocide, même historiquement reconnu, depuis celui des Arméniens jusqu’à celui de Srebrenica dont le 30è anniversaire a eu lieu en juillet. À ce propos, l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe, évoquant avec émotion l’horreur des crimes commis comme autant de « jours impossibles à métaboliser » par les victimes, parle d’un « révisionnisme en temps réel ». « Le révisionnisme, qu’est-ce que c’est ? […] La version des faits de l’assassin. Mais quand cette version est entendue par les victimes survivantes, mais c’est infernal. […] Déjà le génocide, le massacre de masse a assassiné les personnes humaines, physiquement […] et les survivants sont obligés d’entendre la version des faits de l’assassin comme si c’était une vérité, mais c’est infernal ça, et ça c’est le révisionnisme. » L’anthropologue conclut l’entretien sur les « tragédies présentes » en citant entre autres Gaza. France-Culture, 5 juillet 2025 : N’oubliez pas Srebrenica !   

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Voir ou ne pas voir, telle est la question (pressante) 

Autrement dit : « Il faudra des générations à Israël pour reconnaître le génocide de Gaza » (Omer Bartov et Raphaëlle Maison dans Mediapart, le 29 juin 2025).

Le révisionnisme en action a un ambassadeur en France

L’entretien a été éprouvant pour le journaliste de France-Inter, ce 29 juillet à 7h50, avec un fanatique représentant d’Israël pour qui toute mise en cause factuelle de son pays est un « slogan ». France-Inter, 29/ juillet 2025 : Joshua Zarka : la Conférence de l’Onu sur la question palestinienne est une « mascarade ».

Du Front National au RN, la continuité dans le révisionnisme

Libération, 19 juillet 2025 : Au RN, le soutien sans faille de Marine Le Pen et Jordan Bardella à Israël suscite le malaise

Illusion de communication ? Reconnaître la Palestine sans se créer d’obligation

L’Occident a l’habitude de diaboliser ce qui est différent de lui, jusqu’à nier ce qu’il peut contenir lui-même de différent, et pour cela il emploie les moyens les plus bruts et les plus simplistes justifiant une répression4. La parade la plus sûre qu’il ait inventée est sa trouvaille du « terrorisme » (à sens unique) mot magique par lequel s’avalent les couleuvres. Mais cette fois il se retrouve au fond du miroir de l’humanité. Le piège des « valeurs » vidées de leur sens se referme. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’intention de Macron, par ailleurs marginalisé par Trump au sein même du camp occidental, de reconnaître l’État de Palestine. Outre qu’il lui faut faire oublier son soutien, somme toute inconditionnel, à Israël pendant le génocide, soutien pour lequel il fait l’objet d’une plainte devant la Cour Pénale Internationale, il sait que l’opinion, mondiale et française, n’en peut plus de l’impunité israélienne. La comparaison avec l’attitude « élyséenne » sur la Russie est vite faite. Et tandis que notre diplomatie manœuvre pour ne pas avoir à se déjuger, chacun de nous peut raisonner sans manœuvrer, sur le sens des condamnations morales qu’elle émet de temps en temps. Elles viennent révéler, à qui effectue le travail élémentaire de réflexion qu’appelle le sujet, l’énormité de l’iceberg de la colonisation israélienne en Palestine.

Sur le terrorisme israélien

Et puis, autre infléchissement, à propos de la Cisjordanie, la dénonciation par le Quai d’Orsay d’« actes de terrorisme » pour qualifier ponctuellement « toutes les violences délibérées perpétrées par des colons extrémistes à l’encontre de la population palestinienne ». NB : Même si l’armée appuie ces exactions, la France se garde de dénoncer Israël où l’on revendique pourtant depuis longtemps le terrorisme sioniste glorieux (parce que glorifié comme tel) des années pré-fondatrices de l’État. Jean-Pierre Filiu en faisait état dans Le Monde le 12 janvier dernier. À Tel Aviv, le Musée Etzel ou Musée de l’Irgoun lui est consacré, « recommandé » à sa manière euphémisée par le Petit Futé en 2025. Un autre musée y est consacré à la mémoire du « chef d’un petit groupe terroriste juif », Avraham Stern : Orient XXI, 13 juin 2014 : Bouter les Britanniques hors de Palestine.

Vouloir reconnaître l’État de Palestine c’est bien, y ajouter des sanctions contre Israël c’est plus efficace (tribune d’Élie Barnavi et Vincent Lemire)

Le Monde, 5 août 2025 : « Monsieur le Président, si des sanctions immédiates ne sont pas imposées à Israël, vous finirez par reconnaître un cimetière »

Quoi qu’il en soit, Macron soigne l’étalon sioniste de son indignation

« Une cruauté abjecte, une inhumanité sans limite ».Ce sont les paroles d’Emmanuel Macron après la diffusion d’une vidéo sinistre montrant deux otages israéliens affamés. On peut dire que, sans risque, le président français retrouve sa libre parole pour dénoncer le Hamas isolé et sur la défensive, plutôt que le gouvernement israélien en pleine dynamique génocidaire qui organise, avec l’aide des États-Unis, aussi bien la famine que les pièges à distribution d’« aide humanitaire » qui ont fait au moins 1400 morts par balles et autres munitions5 – et « ce ne sont pas de simples chiffres » précise le Bureau pour les territoires palestiniens du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Les photos d’enfants décharnés suscitant l’émotion ne manquent pourtant pas, parmi les 9200 qui ont souffert de malnutrition aiguë en juillet (Le Monde, En Direct, 6 août 2025 à 17h07), dont près d’une centaine sont déjà morts. Emmanuel Macron sait se servir du double standard émotionnel occidental.

« Le Monde » après la bataille

Le journal Le Monde signe, le 5 août, avec autorité de ton, un éditorial intitulé « Pour Gaza et les otages, une seule issue, la mobilisation internationale » après que « plus de 500 anciens hauts responsables de la sécurité de l’État hébreu » ont publié, la veille, un « vigoureux message » à Donald Trump pour arrêter le massacre à Gaza. Cette prise de position du journal ne résulte pas d’une analyse originale. Elle ne fait que s’engouffrer, sans grande humilité, derrière l’autorité supérieure de représentants du système sécuritaire israélien pour envisager une alternative. Car après le 7 octobre 2023, malgré sa capacité à fournir de très nombreuses informations factuelles ou enquêtes journalistiques, Le Monde est resté dans la stricte lignée des très nombreux organes de presse, de la gauche centrale aux conservateurs et ultras, qui n’ont cessé de situer l’origine du génocide dans les attaques du Hamas en rappelant systématiquement que la guerre à Gaza a débuté avec les attentats du 7 octobre 2023, qui ont causé 1219 victimes israéliennes. Le blocus illégal de Gaza depuis 2007 et les diverses guerres illégales subies depuis ne faisaient pas partie des causes recensées. Après avoir abandonné cette formule devenue insoutenable6, Le Monde en a introduit une autre qui dégage de fait Israël de ses responsabilités meurtrières s’agissant du décompte des victimes palestiniennes : « l’AFP n’est pas en mesure de vérifier de manière indépendante les bilans, compte tenu des restrictions imposées aux médias à Gaza ». Qui impose les restrictions ? Personne. On le voit, la presse française « mainstream », par ses sous-entendus, loin de le dénoncer pour en hâter la fin, n’a fait qu’accompagner le génocide. Ce que nous disons-là ne vise pas à accabler injustement Le Monde au regard d’autres organes de presse moins méritants en la matière7, mais à montrer comment cette presse s’inscrit dans la déclinaison du génocide. Même si elle cherche à se préparer sans risque un beau rôle, à la manière de l’éditorial du 5 août… 

Que la presse apprenne à se respecter en abandonnant son vocabulaire de complaisance

C’est ce qu’a fait ce jour-là, un 4 août à 9h30, une journaliste de France Info en qualifiant d’« assauts israéliens » ce que d’habitude on appelle éhontément « opérations militaires ». Car parler d’opération militaire, c’est bien signifier que l’on souscrit au point de vue institutionnel illégal visant à restaurer un ordre par la force dans un cadre colonial.

Dans Le Monde Diplomatique, le « puissant conglomérat politico-médiatique qui agit en faveur de Tel-Aviv »

Parmi les promoteurs en France du génocide par le déni de son existence (quoi de plus facile ?) Le Monde Diplomatique recense les très nombreux représentants médiatiques du « lobby pro-israélien » constitué de « forces, pas nécessairement juives, qui soutiennent la politique de cet État. » Voilà qui expliquerait « le soutien contre-nature [démocratique] à Israël » que personne ne remarque. Cela va du CRIF « aligné sur le Likoud », aux « groupes parlementaires d’amitié, l’association France-Israël », en passant par « des médias communautaires (Radio J) ; des personnalités sincèrement engagées dans la défense, quel qu’en soit le prix, d’un État qu’elles perçoivent comme un refuge pour les Juifs ; enfin, un écheveau plus informel de médias et de notables en lutte contre l’islam et qui voient en Israël l’éclaireur de leur combat. En période de crise, l’ensemble de cette nébuleuse diffuse les éléments de langage distillés par Israël. […] Rien d’étonnant à ce que le Rassemblement national et ses médias d’ambiance plébiscitent aussi l’action du gouvernement israélien » L’article cite bon nombre de personnalités compromises par leurs omissions et mensonges, sans que personne ne le remarque puisqu’aucune contradiction sérieuse ne leur est opposée. En effet, « des experts moins prévenants pour […] Israël, Pascal Boniface ou Alain Gresh par exemple » sont interdits d’antenne à France Inter, BFM ou Cnews. Le Monde Diplomatique, août 2025 : Le lobby pro-Israël en France

Comment les pro-Netanyahou colonisent le langage médiatique :

Politis, 20 juin 2025 :  « Comment les pro-Netanyahou colonisent le langage médiatique »

Le CRIF ou la fin de l’histoire

Désormais spécialisé dans les vérités alternatives, le CRIF n’a rien à nous dire sur l’évolution du monde et de nos sociétés. Il produit des intox qui prennent force de poncifs une fois prononcés en séance publique institutionnalisée, pour un aréopage de représentants des convenances du pouvoir qui se prosternent devant lui, et prononcent à leur tour des contre-vérités, tel l’élève Bayrou, cancre de Bétharram, qui ânonne les contresens de la leçon qu’il a reçue sur le « pogrom » du 7 octobre 2023, lequel, par un raisonnement historique et une évaluation correcte des circonstances, ne pouvait pas en être un8. Le CRIF réussit à enfermer la France dans une unique et réductrice définition d’elle-même, l’antisémitisme, en face de quoi il développe, sous couvert d’un faux universalisme, les idées les plus antiphilosophiques et les plus contraires à l’universalisme historique hérité des Lumières. Cette façon irrationnelle de penser, très identitariste, n’a rien à envier à celle de Johann Gottfried Herder à qui Zeev Sternhell attribue le fait d’avoir « lancé sur la scène européenne une vision de l’histoire faite de cultures qui, même quand elles ne sont pas incommunicables, considèrent les apports étrangers comme dangereux pour leur authenticité »9. Où l’on voit que le « séparatisme » cher au gouvernement français est une affaire bien antérieure à l’islamisme. Le CRIF a-t-il jamais cultivé autant que ces derniers temps tout ce qui sépare et rend étranger l’un à l’autre ? Et c’est lui qui donne des leçons à la République ? Quoi de plus caricatural que le propos du représentant du CRIF à Jérusalem, Marc Lévy, qui, s’appuyant sur le recours à la force comme « obligation morale », voit ainsi Israël énoncer « – même inconsciemment – une vision du monde » avec une « vocation […] ontologique » ?  Le psychanalyste Gérard Haddad y verrait plutôt un certain inconscient psychotique10. Une psychose qui atteint même le rabbinat. On en oublierait presque les prises de position du CRIF de juin et juillet contre la reconnaissance de la Palestine. C’est fou ce besoin de « casser le thermomètre » pour ne plus entendre parler de génocide. Par ailleurs, une récente expression critique a manifesté beaucoup de bonne volonté, face à la grossièreté « orwellienne » du dernier discours du président du CRIF, en se donnant pour tâche d’y répondre avec un sérieux philosophique certain. Lundimatin, 08/07/2025 : Ce que Gaza fait au langage : réponse au discours du CRIF 2025 – (Contre l’inversion et l’amnésie, pour une pensée critique renouvelée) Sylvain George

« Antidotiques » :

Politis, 11 juin 2025 : Gaza : trois livres à lire d’urgence

La suite au prochain numéro.


Note-s

  1. On n’en est plus à compter les points en faveur ou en défaveur de la qualification de génocide devenue une évidence, même en Israël. L’écrivain David Grossman, longtemps réticent, en convient. L’Orient-Le Jour, 01/08/2025 : L’écrivain israélien David Grossman qualifie de « génocide » la situation à Gaza[]
  2. Il est en passe de l’être, non ? Tribune dans Libération, 7 août 2025 : Violations du droit international : plus de 150 juristes d’accord pour nommer ce qu’il se passe à Gaza[]
  3. Honneur soit néanmoins rendu aux journalistes qui ont su commencer l’article par « Gaza bombardée, Gaza affamée, Gaza occupée ». Une façon de valider la résistance de Gaza.[]
  4. On aura remarqué que lorsque les autorités françaises recourent à la violence de leur police, le discours politique et son ton de violence d’État précèdent toujours sa mise en œuvre. Darmanin et Retailleau en sont les parfaits représentants, mais le faux ingénu macroniste Gabriel Attal n’a pas moins outragé l’esprit de justice publique quand il a demandé à Dupont-Moretti, à défaut de coupable, de « faire un exemple » en faisant condamner n’importe quel innocent qui viendrait à tomber dans les mains de la police en Nouvelle Calédonie. Et pourquoi pas refaire l’affaire Callas ? Attal est prompt à sauter sur n’importe quelle occasion malhonnête comme il l’avait démontré avec la fausse affaire antisémite promue par l’UEJF à Sciences-Po.[]
  5. C’est au nom de l’aide humanitaire que l’armée israélienne se permet de massacrer de la sorte. Officiellement 1373 morts, c’est plus que le bilan des victimes du 7 octobre 2023. Au nom de l’aide humanitaire ! Combien de « 7 octobre » ont-ils été commis par Israël, interrogeait, il y a peu, le journaliste Didier Lauras qui n’hésitait pas à exprimer sa colère face à ce qu’il appelle un « vertige anthropologique ». Sur la base des chiffres officiels les plus bas, on peut lui répondre qu’Israël a reproduit, en nombre de victimes, au moins 50 fois les massacres du 7 octobre 2023. C’est la « loi du talion » augmentée par l’IA.[]
  6. Libération rapporte le 7 août, que l’ONU décrit Gaza comme le territoire « le plus affamé du monde ». « Des images insoutenables montrent chaque jour des enfants émaciés, n’ayant plus que la peau sur les os. »[]
  7. Hommage du vice à la vertu. Tribune Juive, 18 décembre 2024 : le traitement d’Israël par « Le Monde » est ignoble[]
  8. Et tout cela se fait principalement avec l’argent du contribuable.[]
  9. Zeev Sternhell, « Les anti-Lumières, Du XVIIIè siècle à la guerre froide », Fayard, 2006.[]
  10. « Le comportement politique actuel d’un pays sans frontières reconnues, sans constitution, refusant de respecter les décisions internationales et s’autorisant toutes les opérations militaires, trouve sa cause ultime dans [la] forclusion psychotique » (« Archéologie du sionisme », Éd. Salvator, 2024, p.39).[]