De la droite dure à la gauche bon teint, la narration d’une guerre sans génocide a fini par épuiser le terreau de l’argument du « terrorisme » et a perdu la crédibilité qu’elle s’était donnée en fondant l’histoire de la Palestine un 7 octobre. L’arbre cachait bien la forêt. Il faut lui en substituer un autre, masquer le paysage. Et pour ça, le narratif du pouvoir conserve sa priorité. D’autant qu’arroseur arrosé, le voilà lui aussi accusé par Israël de faire monter l’antisémitisme, après l’assassinat à Washington de deux employés de son ambassade[i]. Le ton à son égard ayant très récemment changé de la part de certains pays européens[ii] dont la France désormais, il fallait bien que notre rhétorique nationale apporte la garantie que l’équilibre des forces coloniales ne changerait pas. Après que le concept de « séparatisme » eut été inscrit dans la loi en 2021 c’est son contraire, celui d’« entrisme » qui expose les Français musulmans à une nouvelle vindicte. Les voici interdits d’entrer et de sortir[iii]. Pour sa part, Le CRIF se charge de nouer l’amalgame entre antisémitisme et islamisme en faisant état d’« échanges constructifs et très intéressants sur la montée de l’antisémitisme ET[iv] de l’islamisme radical en France. » Thèse : on peut élever la voix à l’égard d’Israël sans bouger le petit doigt. Antithèse : muselons les Musulmans. Synthèse : muselons les Musulmans !
Sur les Frères musulmans, une « rhétorique de panique morale » :
Olivier Roy, spécialiste de l’islam, use du même terme qu’Ilan Pappe à propos des intellectuels occidentaux qui soutiennent aveuglément Israël – nous en rendions compte dans nos Brèves de presse #20. Nouvel Obs, 23/05/2025 : Rapport sur les Frères musulmans : « Ce document ne dévoile rien, si ce n’est une rhétorique de panique morale », selon Olivier Roy
Sur Israël, une rhétorique d’adaptation :
À commencer par l’emblématique Delphine Horvilleur : rabbin, il faut bien qu’elle donne dans la mythologie et oublie les fondements nationalistes du sionisme pour alimenter son discours d’un souffle sans reproche. En apparence et non sans contresens. Politis, 14.05/2025 : Gaza : le « sursaut de conscience » de Delphine Horvilleur. Ce faisant, Delphine Horvilleur n’a pas saisi l’occasion de la vérité qui vient. Elle s’acquitte d’une obligation philosophique pour ne pas perdre son crédit. Elle ne fait que suspendre son mensonge. Et ça n’a rien d’original tant la pression de l’évidence du crime israélien est grande sur ses inconditionnels soutiens, telle l’Allemagne aujourd’hui acculée. RFI, 26/05/2025 : Le chancelier allemand Merz dit «ne plus comprendre l’objectif de l’armée israélienne à Gaza»
Face à la vérité qui vient, une pensée crapuleuse, sciemment caricaturale et mensongère :
– Un certain jeune journaliste, formé en 2021 au Centre de Formation des Journalistes, participait le 21 mai à l’émission Sens public, sur Public Sénat, qui portait sur « Le réveil tardif des Européens ». Présentée par Thomas Hugues, l’émission était intéressante par la présence de Didier Lauras et Patricia Allémonière, journalistes expérimentés, et celle de Béligh Nabli, enseignant-chercheur en Droit public. Didier Lauras n’hésitait pas à exprimer sa colère face à ce qu’il appelle un « vertige anthropologique », demandant « combien de 7 octobre [il y avait] par semaine » à Gaza et parlant de « futurocide ». Après avoir dénoncé le projet israélien de « poursuivre ce qui s’est arrêté en 1948 », de « finir la Nakba », Patricia Allémonière évoquait « une réelle déshumanisation qui nous a touchés nous aussi ». Elle considère que « le discours de vengeance a même imprégné notre société française ». Quant à Béligh Nabli, il voit dans l’attitude européenne actuelle une déconstruction de la puissance normative que l’Europe avait mis des décennies à bâtir. Restait ce jeune journaliste « politique » à L’Opinion, Antoine Oberdoff. À la question de Thomas Hugues, « pourquoi tout ce temps avant que l’indignation s’exprime au grand jour ? », il a opposé sans la moindre honte intellectuelle l’idée d’« un pogrom[v] comme nous n’en avions pas connu depuis la 2è Guerre Mondiale, c’est indéniable. Et puis, parce qu’il faut bien parler de lui […] il y a eu le sabotage du débat quand même par les Insoumis, notamment Jean-Luc Mélenchon. […] Il y avait les amis du soutien inconditionnel au massacre d’un côté, et de l’autre les pacifistes qui dénonçaient le génocide dans les manifestations, les lanceurs d’alerte. C’est un brin caricatural comme présentation des choses, j’en conviens avec vous »… Public Sénat, 21/05/2025 : Émission Sens Public, Gaza : le réveil tardif des Européens
– La bonne réponse à cette bassesse vient de plus de 700 étudiants journalistes signataires d’une tribune publiée le 5 mai. Acrimed, 06/05/2025 : « Gaza : nous refusons le silence »
Crapule ?
– Gérard Larcher refuse l’honneur rimbaldien que lui fait Rima Hassan de le qualifier de « crapule »[vi] sur la base d’éléments factuels. Bon pleurnichard, il préfère la poursuivre en justice pour réduire le champ du vocabulaire. Il est vrai que Rimbaud et lui ça fait deux.
– Ou bien crapule ? N’est-ce pas plutôt l’affectueuse parole qu’on adresse à l’enfant qui fait une bêtise ? Petite crapule ? On ne pose pas le pied sur un corps à terre ! Et puis quel besoin Gérard a-t-il de se compromettre à aider Israël qui se débrouille très bien tout seul pour empêcher la création d’un État palestinien ? Pour se faire bien voir ? Ou pour prendre sa part de complicité de génocide au meilleur rang possible de la représentation française ? Huffington Post, 17/05/2025 : Gérard Larcher porte plainte contre Rima Hassan, après avoir été qualifié de « crapule » par l’eurodéputée LFI
Montrer l’antisémitisme, cacher le génocide :

« A la télévision israélienne, affamer les bébés de Gaza n’est pas un problème. Aussi longtemps qu’il n’y a pas de photo d’eux ». L’invisibilisation est aussi une arme de guerre. » RFI, 24/05/2025 : Visibilisation du terrorisme, invisibilisation de la guerre
Cacher le génocide, faire taire ceux qui le montrent :
C’est le travail des factions pro-israéliennes en France que de désigner au pouvoir répressif les personnes morales et physiques à poursuivre pour leur soutien aux Palestiniens et aux Palestiniennes. Orient XXI, 27/05/205 : Soutien à la Palestine. Les universités bâillonnées
« Un boulevard pour condamner » transformé en impasse :
Les adeptes de la répression de la solidarité avec Gaza ont échoué face à François Burgat. Le Parisien, 28/05/2025 : « C’est un soulagement » : poursuivi pour apologie du terrorisme, l’ancien chercheur au CNRS François Burgat relaxé
Le sionisme messianique ou l’ivresse au volant :
Benjamin Lévy fait le point, dans lundimatin, sur un certain sionisme devenu « ivresse messianique » qui devrait d’urgence finir en « cellule de dégrisement » ; sur ce que la justice doit consister en « un indéfini report de l’exécution d’une sentence rendue » – soit l’opposé de la vengeance israélienne promue par nos dirigeants depuis le début ; sur l’autonomie incestueuse de tout discours idéologique ; et sur ce que le silence produit d’« après-coup désastreux » quand il faudrait parler. Lundimatin, 27/05/2025 : Conduites en état d’ivresse
« Israël n’est plus un État démocratique » :
– La juriste et professeure émérite de Droit public Monique Chemillier-Gendreau fait ce constat le 15 mai au micro de Daniel Mermet. « Dès le début, dans la pensée des sionistes, il y avait pas de Palestiniens. Et donc l’idée qu’il y aurait un État palestinien sur cette terre était pour eux strictement impensable. »[vii] Monique Chemillier-Gendreau vient de publier « Rendre impossible un État palestinien — L’objectif d’Israël depuis sa création », Textuel, 2025.
– C’est deux fois confirmé en deux jours. Le 29 mai : pour rendre « encore plus difficile la création d’un État palestinien », Israël annonce la création de 22 colonies illégales en Cisjordanie occupée (RFI, 29/05/2025). Le 30 mai, une façon de dire à Macron « cause toujours » et bien davantage encore. RFI, 30/05/2025 : «Construire l’État juif» en Cisjordanie: Israël défie Emmanuel Macron et l’ONU
– Éloge du Droit international. Nombreux sont les signataires de ce texte, parmi lesquels Monique Chemillier-Gendreau. L’Humanité, 24/05/2025 : Appel de Paris pour la protection du peuple palestinien et la mise en œuvre du droit international
Après mûre réflexion :
– 300 écrivains francophones se résolvent à nommer l’horreur à Gaza avec le mot tabou approprié « génocide ». Il ne leur reste plus qu’à s’élever contre la répression des soutiens à la Palestine. Libération, 26/05/2025 : «Nous ne pouvons plus nous contenter du mot “horreur”, il faut aujourd’hui nommer le “génocide” à Gaza», par 300 écrivains
– 300 artistes au Festival de Cannes, puis 900 et dernièrement Catherine Deneuve dénonçaient le silence sur le génocide. France Info, 23/05/2025 : Festival de Cannes 2025 : Catherine Deneuve rejoint les 900 signataires de la tribune dénonçant le « silence » sur le « génocide » à Gaza
– Plus de 380 écrivains britanniques et irlandais appellent à « employer les mots justes ». France Info, 28/05/2025 : Plus de 380 écrivains britanniques et irlandais appellent à qualifier de génocide la guerre menée par Israël à Gaza
– Le Parti Socialiste français découvre officiellement le génocide. Libération, 27/05/2025 : Réuni avec le PCF et les Ecologistes, le patron du PS, Olivier Faure, dénonce pour la première fois un «génocide» à Gaza
– La semaine précédente, le Nouvel Obs se posait encore la question. L’historien Vincent Lemire relève « un taux de létalité jamais vu dans histoire de ce conflit. Le débat, exclusivement focalisé sur la question « y a-t-il ou non un génocide? », peut donc aussi participer, paradoxalement, à l’occultation de ce qui se passe a Gaza. » Nouvel Obs, 15/05/2025 : Peut-on parler d’un génocide ? La guerre à Gaza décryptée par l’historien Vincent Lemire et la juriste Mathilde Philip-Gay
Quand s’expriment les enfants sur ce qui les concerne :
– Cette seule information devrait suffire à disqualifier Israël aux yeux de tout parent. Libération, 28/05/2025 : «L’influenceuse la plus jeune de Gaza» : Yaqeen Hammad, 11 ans, tuée par une bombe israélienne
– France : ministère de L’ Éducation Nationale ou ministère de l’Intérieur, même combat anti-palestinien pendant le génocide, même « absence de morale la plus élémentaire ».
Politis, 28/05/2025 : « Bientôt, nous enseignerons qu’il y a eu un génocide à Gaza »
Gaza, fontaine des Innocents :
Où l’on apprend entre autres que « 66 % des Français ayant exprimé une opinion estiment que la France doit appeler l’UE à suspendre l’accord de libre-échange avec Israël ». L’Humanité, 28/05/2025 : Gaza: la fontaine des Innocents devient rouge sang pour « dénoncer les massacres » et « exiger une réponse ferme de la France ».
Qui porte la haine via Dolorosa ?
Nouveau lexique de la brutalité israélienne :
« “Animaux humains”, “dépeuplement” ou “seconde Nakba”. Dans un ouvrage publié récemment, deux historiens israéliens ont compilé plus d’une centaine d’expressions apparues ces derniers mois pour parler de la guerre à Gaza. Pour ces derniers, ce “lexique” montre la part sombre de la société israélienne, tourmentée par l’exil forcé et massif des Palestiniens en 1948. » Courrier International, 10/05/2025 : Ces mots qui façonnent par leur brutalité la perception des Palestiniens en Israël
Misère de la condition intellectuelle face aux médias :
« Si le génocide à Gaza a remis la Palestine en Une des médias français, il n’en est pas de même des chercheurs palestiniens qui se sont spécialisés dans l’étude de leur pays, et que l’on peut à juste titre considérer comme particulièrement légitimes sur le sujet. » Orient XXI, 21/05/2025 : France. Dans les médias, la Palestine sans les Palestiniens
Sans plainte et sans regret :
– Quand une journaliste intègre sa lecture de la lutte des classes à l’analyse des violences, y compris sexistes, dans les milieux professionnels, ça change tout ! Nora Bouazzouni raconte « La violence en cuisine », France Culture, 24/05/2025.
– Ils et elles veulent en finir avec la domination néo-sociale bourgeoise et déclarent la « guerre à la guerre ». Politis, 28/05/2025 : À Paris, Révolution permanente déclare la « guerre à la guerre »
Notes :
[i] On aura noté que le porte-parole du Quai d’Orsay a précisé ce 23 mai que « la France n’est pas critique » à l’égard d’Israël. Là-dessus on est d’accord avec lui.
[ii] Loin de clamer la prochaine suspension de l’accord d’association entre l’Union Européenne et Israël, le journal La Croix est beaucoup moins emphatique qu’une grande partie de la presse. Plus sobre et réaliste, il titrait le 22 mai : « Des Européens veulent suspendre l’accord d’association avec Israël » (version papier).
[iii] « La condition collective des immigrés et de leurs enfants en cité est constituée en sécession territoriale, tandis que le procès d’intégration sociale en leur sein est traduit en entrisme. » Orient XXI, 23/05/2025 : Islamophobie. La fabrique d’un soupçon
[iv] C’est nous qui soulignons.
[v] Le terme est inapproprié dans la mesure où il ne peut s’appliquer qu’à des minorités opprimées victimes de telles violences : « le terme « pogrom » est désormais perçu comme un synonyme des tueries qui se sont déroulées [le 7 octobre 2023] alors qu’historiquement ce mot d’origine russe qualifie un massacre de juifs sous couvert d’une armée régulière. » (Vincent Lemire, historien, Nouvel Obs, 15/05/2025)
[vi] cf. « Rimbaud le voyou », de Benjamin Fondane, Ed. Plasma, Paris, 1979. Le nom de Benjamin Fondane, alias Benjamin Vecsler, est inscrit au Mémorial de la Shoah.
[vii] Pour Emmanuel Macron, c’est impensable sans arrière-pensée. Avec lui, la France ne s’engage pas, seule l’Europe doit le faire, et encore. … en souhaitant qu’elle n’ait pas à le faire. Et sans demander, encore moins exiger, l’arrêt des bombardements. C’est cohérent avec l’accueil d’entreprises d’armement au Salon du Bourget. Il craint malgré tout que « si les Occidentaux « abandonnent Gaza » et « laissent faire Israël », ils risquent de perdre toute crédibilité à l’égard du reste du monde ». (Le Monde, En direct, 30/05/2025 à 15h27). Quant à prendre lui-même la moindre décision…