Ces images attachantes qu’on voit à la télévision sur la chaîne parlementaire , ce temps pris par les photographes français témoins sur le front en Ukraine pour restituer chair et âme à la population civile dans la difficulté de la guerre, la parole même de ces intercesseurs pour transmettre la sensibilité des situations auxquelles nous accédons par ce qu’ils en traduisent par leur propre interprétation, leur voix et leur émotion personnelle, attachés comme ils sont à préserver la dignité des personnes dont ils tracent le portrait, c’est tout ce qui manque à Gaza et en Cisjordanie ; c’est là le volet extérieur de l’approche de la guerre. Le volet intérieur de notre appréhension du nettoyage ethnique subi par les Palestiniens est lui parasité par d’incessantes interventions médiatiques de partisans communautaristes d’Israël, dont la dernière en date nous vient en grande partie d’artistes et d’intellectuels de renom qui s’éveillent soudain pour exprimer, non leur solidarité avec les Palestiniens et Palestiniennes opprimés, mais leur malheur d’être des juifs en France « exposés au déni ou à l’indifférence », des « exclus » même disent ces notoriétés, qui se sentent persécutées par une gauche coupable de « vertu » du fait de sa mobilisation pour un peuple écrasé. De « vertu simpliste » bien évidemment. Ce qui les gêne le plus ? Que soit contestée l’hégémonie du sionisme sur la judéité.
– Moins il y a de fond, plus la plainte s’élève. Ils et elles ont accès aux médias, ils et elles ont des situations sociales intégrées, réussies, élitaires et d’influence mais ils et elles souffrent d’être moins bien traités que les victimes de racisme qui bénéficieraient quasi indument de l’attention d’une « gauche extrême » et vertueuse. Ils et elles se disent « isolés et stigmatisés ». « Seuls les juifs « antisionistes» sont désormais pardonnés d’être juifs. Un peu comme dans l’Europe médiévale, où l’on demandait aux juifs d’abjurer leur foi pour être acceptés. » On croit rêver devant cette affirmation qui hisse le sionisme au rang d’une foi religieuse alors qu’il ne s’est jamais agi que d’un mouvement politique nationaliste. Et si l’on entend dans cette plainte comme l’expression d’un manque d’amour, on chercherait en vain la stigmatisation qui mettrait en danger ces « Français juifs » qui prétendent « se battre […] pour la paix » . On n’a vu aucune de leurs mobilisations pour cela. Si se battre pour la paix c’est exprimer une « consternation devant la destruction de Gaza » comme ils disent, on imagine mal par quelle invocation de ce genre viendrait la paix dont ils parlent. D’autant que dans leur esprit la destruction de Gaza est immédiatement liée à ce diable de Hamas, « un mouvement terroriste qui tolère le viol comme arme de guerre, qui fait de la prise d’otages, y compris de tout-petits et de vieillards, un fait de gloire, qui filme ses exactions terroristes comme autant d’actes héroïques ». Israël étant absous bien sûr de tout crime de guerre même filmé avec joie par ses soldats en combinaison, puisqu’il « ne s’agit pas ici de commenter les agissements du gouvernement israélien d’extrême droite1, que nous condamnons tous. » Et c’est par ce mot magique de « condamnation » qu’on purge le nettoyage ethnique ainsi que les tortures, les viols et les crimes commis par l’armée israélienne depuis plus de 500 jours, sans parler du territoire rasé, pollué par les bombes et appelé à être vidé de sa population. Face à cela leurs informations ne sont pas à jour ; dans leur esprit, c’est le « 7 octobre » qui « tient toujours la corde » de l’horreur. Avec une telle mentalité jamais aucune paix ne viendrait. Voilà qui dit beaucoup d’une fermeture au monde. Le Monde, 01/03/2025 : « Nous, Français juifs, n’avons rencontré que le silence, le déni ou l’indifférence de la gauche extrême face à l’antisémitisme »
Il est extraordinaire de voir ces gens réclamer un statut médiatique de victimes, victimes préférentielles de surcroît, alors qu’ils et elles ne subissent ni criminalisation ni « suspicion étatique » à l’inverse de tant de personnes stigmatisées dans tous les actes ordinaires de la vie.
– un simple petit exemple remettra les pendules à l’heure. France Inter, 05/03/2025 : Les mères isolées avec Selim Derkaoui et Manon Lefèbvre
– cet autre exemple également où cumulent dans une même affaire un contrôle au faciès de deux jeunes gens, une menace de « tasing » faite à un député tutoyé par la police parce qu’il est noir, et une arrestation d’un témoin élue local. Avec les félicitations du préfet de police de Paris Laurent Nuñez. Libération, 28/02/2025 : Bobigny : le député LFI Aly Diouara dénonce un contrôle au faciès et dit avoir été «menacé» d’un coup de taser
– à moins que le sort professionnel et médiatique de Merwane Benlazar, dont Le Monde fait « un cas d’école », soit plus enviable que celui de Daniel Cohn-Bendit ou de Christine Angot. Les Inrockuptibles, 10/02/2025 : La “non-justification” de Merwane Benlazar après la polémique
Pour leur permettre de sortir de leur communautarisme, signalons aux auteurs et autrices de la tribune « Nous Français juifs… » où l’autofiction a sa part, le livre pédagogique et illustré d’Alizée De Pin et Xavier Guignard où ils découvriront que 80 à 95 % des prisonniers palestiniens « y compris les enfants – sont soumis à la torture » sans que cela fasse d’Israël un « État paria »2, loin s’en faut : « Comprendre la Palestine. Une enquête graphique » (les Arènes, 2025)
– C’est aussi bien une plainte supplémentaire d’un judéobsédé qu’une réponse inopinée à la tribune du 1er mars. Les termes du débat sionisme ≠ antisionisme sont posés entre Guillaume Erner et Sophie Bessis dans l’émission de Thomas Legrand, à écouter sans restriction. France Inter, 02/03/2025 : La concurrence victimaire
Retour à la réalité sur le terrain :
– Le 5 mars, Le Monde rapporte en direct qu’« en 2024, Israël a démoli un nombre inégalé de 181 maisons palestiniennes à Jérusalem Est, selon l’ONG Ir Amim ». Mais ça n’a rien d’un pogrom.
– Il y a fort à parier que la paix pour laquelle la tribune « de gauche » du 1er mars veut « se battre avec nous » soit la paix du cimetière gazaoui proférée par Trump. Génocidaire mais pas terroriste, l’honneur est sauf. Libération, 05/03/2025 : «Si vous gardez des otages, vous êtes morts» : Trump menace le «peuple de Gaza», son équipe en contact avec le Hamas
– Avec Macron comme petite main. « En direct, cessez-le-feu à Gaza : pour la France, le Hamas doit être « entièrement » exclu de la gouvernance après la guerre ». Le Monde, 06/03/2025, 14h37.
Chauffards :
– Avec leur demande de levée de l’immunité parlementaire de Rima Hassan une centaine de sénateurs s’apprêtent à faire entrer le délit à usage interne « d’apologie du terrorisme » en collision avec le Droit international. Nouvel Obs, 05/03/2025 : Après les propos de Rima Hassan sur le Hamas, près d’une centaine de sénateurs demande la levée de son immunité parlementaire
Falsification et censure sont bonnes pour le nettoyage ethnique :
– Mediapart, 02/03/2025 : « L’archéologie sert encore à justifier une annexion de facto des terres palestiniennes »
– Le Monde, 04/03/2025 : En Israël, les milieux culturels palestiniens et juifs frappés par la censure
– Courrier International, 04/03/2025 : “No Other Land” : l’oscar qui fait polémique en Israël
Le 14 février, Marie Schwab convoquait Bertolt Brecht et notre ami Pierre Stambul dans un article du courrier des lecteurs de Politis où elle s’insurge contre le « jour d’après » dans nos consciences : Politis, Nous sommes le jour après la guerre
Comment résister en pleine adversité :
Entendue le 28 février surRadio Cause Commune une très belle réalisation radiophonique de Maïté en deux volets sur le plus ancien assigné à résidence de France, Kamel Daoudi . Pour lui, pas de rémission. « Ce qui fait la force c’est de traverser les épreuves » dit Sandra sa compagne. Et pour lui, c’est ce qu’il a construit du « rapport au temps, à l’adversité » qui l’aide à tenir. Dommage qu’aucun lien ne renvoie à cette émission qui force l’écoute y compris par la musique.