La semaine dernière nous annoncions un point de rupture avec le monde réel sur lequel les analyses des grands médias n’auraient aucune prise. Et c’est ce qui se passe avec le projet de déportation des Gazaouis annoncé par Donal Trump, validé par Netanyahou et… la classe politique israélienne unanime au nombre desquels France Info compte de prétendus « modérés », de Benny Gantz à Yaïr Lapid. On a parlé de « sidération » du monde face à ce projet prédateur, c’est pourquoi les radios sidérées ont continué de ronronner ; à l’instar de Pierre Haski sur France Inter le 5 février qui en est resté à l’idée que Trump est « bel et bien transactionnel » ; ou d’Isabelle Lasserre, du Figaro, qui sur la même radio de service public le 6 février, affiche sa complicité avec l’éradication programmée et trouve le projet du président états-unien « rationnel » – une « rationalisation un peu excessive » corrige l’ancien ambassadeur à Tel Aviv Gérard Araud, « rationalité délirante » prévenait avant cela Jacques Semelin. Dans la même émission, Isabelle Lasserre n’hésite pas à colporter le ressenti des habitants des kibboutzim israéliens pour qui le 7 octobre 2023 aurait été « pire que la Shoah ». Si tel est le cas, voilà qui confirme qu’Israël et la mémoire de la Shoah font ontologiquement deux, le sionisme et les Juifs et Juives ontologiquement deux aussi.
– Qu’importent les outrances puisque Trump a ouvert la porte. L’hebdomadaire Marianne n’avait pas attendu, croyant fustiger l’UJFP et Tsedek organisateurs du colloque « 80 ans après la libération d’Auschwitz, penser le fait génocidaire – Histoire, Mémoire, Actualité ». Mais oh ! surprise, l’article du 28 janvier de Rachel Binhas, épinglé par notre Brèves de presse #10 a depuis été caviardé dans sa version papier, probablement par sa collègue Chloé Elbaz qui cosigne cette deuxième version : le surtitre « délirant » est devenu « confusionnisme », le titre a changé, on ne trouve plus trace de l’intertitre « Juifs antisémites », et le merveilleux sophisme partant du génocide de l’armée israélienne à Gaza pour arriver à la conclusion que « Les juifs anciennement victimes seraient donc devenus les bourreaux des Palestiniens » a été supprimé.
– Cette presse qui fait écran à toute compréhension n’en est pas moins terrible car dès avant le projet de nettoyage ethnique avancé par Trump, la responsabilité mondiale dans les crimes subis par les Palestiniens était déjà évidente, comme l’exprimait ce 2 février la chronique de Jean-Pierre Filiu dans Le Monde. « Notre monde a abandonné depuis bien longtemps les plus de deux millions de femmes, d’hommes et d’enfants de la bande de Gaza. Il les a abandonnés durant plus de quinze mois d’un conflit atroce, conflit durant lequel une centaine de personnes ont, en moyenne, été tuées chaque jour. » Le Monde, 02/02/2025 : A Gaza, l’espoir aussi peut tuer
– « Pour la première fois de ma vie, j’éprouve la honte d’être juif » nous dit le philosophe Jacob Rogozinski. Lui qui a eu « la certitude d’être toujours du bon côté » s’est rendu compte que « David s’était métamorphosé en Goliath » au point d’annihiler le sens de la prière. « Comment demander pardon pour nos fautes en priant avec ceux qui approuvent un massacre ? » Cela le conduit à traduire le comportement dominant en Israël (et que, pensons-nous, il est permis d’étendre à tout l’Occident qui acquiesce) par une expression radicalement juste : « Faire défaut », que chacun chacune peut méditer. « Faire défaut est plus grave que commettre une faute, car celui qui commet cette faute peut le reconnaître, tôt ou tard, et demander pardon, alors que celui qui fait défaut ne peut même pas se reconnaître comme l’auteur d’une faute. » Le Monde, 05/02/2025 : Jacob Rogozinski, philosophe : « Qui nous pardonnera si nous ne parvenons pas à demander pardon pour ces crimes à Gaza ? »
– « Faire défaut », c’est ce qu’accomplit la presse en général et France Info en particulier, qui livre l’insanité sur un plateau. On peut lire les détails de ce « journalisme » vautour dans Libération, 06/02/2025 : France Info «déplore» et supprime une séquence qui imaginait Gaza en «petit paradis» touristique
– Y a-t-il un seul autre fondement que la prédation dans la revendication d’Israël à occuper toute la Palestine (y compris sous couvert de promotion immobilière) ? Pas même biblique : « L’invraisemblable conquête du pays de Canaan par les Hébreux, suivie de l’extermination des populations autochtones, a pu servir à légitimer les croisades ou l’existence d’un « Grand Israël » sans Palestiniens. » Marie Grand, La Croix, 04/02/25 : Pourquoi personne ne lit la Bible ?
– Contrairement à de trop nombreux commentaires journalistiques qui banalisent les déclarations de Trump dont « l’objectif est très dangereux », l’historienne du monde arabe contemporain Jihane Sfeir, invitée de France Culture, déclare : « Il faut le prendre au sérieux […] il ne faut pas être sidéré […] il faut prendre du recul et surtout faire confiance » aux Palestiniens qui partent « vers le nord, vers les villes entièrement détruites. Ils sont dans une réalité dystopique dont ils s’accommodent et à laquelle ils s’adaptent […] parce que le provisoire est leur permanent ». Elle évoque, dans le même sens, la Nakba et le sumud (la persévérance collective des Palestiniens à rester sur leurs terres et à résister à la colonisation). « Tant pis nous vivrons dans une tente » témoigne une Palestinienne. Et on se demande, histoire de ne pas faire défaut à cette dignité, qui, quel groupe humain dans de pareilles conditions, serait capable de faire ça en France… France Culture, 05/02/2025 : Palestiniens : une histoire de déplacés
– Signaux faibles d’une prise de conscience d’une partie de la presse, les titres de certains journaux osent enfin mettre des guillemets au ressenti victimaire israélien qui nie le sort fait aux Palestiniens et aux Palestiniennes déshumanisés et brossés en « terroristes ». Ainsi de RFI, 03/02/25 : Israël affirme avoir tué plus de cinquante «terroristes» en Cisjordanie occupée depuis le 14 janvier et de Courrier International, 03/02/25 : Cage, faim, travail forcé, torture : l’“enfer” vécu par les ex-otages du Hamas
– Après les atteintes aux agences de l’ONU voilà un nouveau signal, d’une extrême gravité, que l’ordre juridique international à la merci des États-Unis pourrait ne plus rien signifier pour personne, pas seulement les Palestiniens. Les sanctions contre la Cour Pénale Internationale prises par Trump sont applaudies par Israël qui ne reconnaît pas cette cour, héritière pourtant du Tribunal de Nüremberg. Le Monde, 07/02/25 : Après les sanctions contre la CPI annoncées par Donald Trump, 79 pays dénoncent l’augmentation du risque d’« impunité pour les crimes les plus graves »
Mais une contre-offensive est possible. En effet la Cour est habilitée par l’article 70 du Statut de Rome de la CPI à inculper Donald Trump pour des faits d’entrave et d’intimidation, ce qui ferait de lui un paria.
Censure en France (pour mémoire) :
– Libération, 05/02/2024 : Plaintes pour apologie du terrorisme : la plupart des insoumis ne sont finalement pas poursuivis
– La direction de France Info sait faire la différence entre une erreur qui rendait justice aux Palestiniens le 25 janvier et pour laquelle « le responsable a été suspendu » sur le champ et, le 5 février une émission mûrement préparée pour étudier avec un professionnel du tourisme la faisabilité d’une Riviera à Gaza d’après les « plans » de Donald Trump annoncés le jour même. Le présentateur Julien Benedetto est indemne. Télérama, Gaza, la riviera et France Info : la colère des journalistes du service public
Et pour faire face à l’autoritarisme ambiant :
– Le Monde Diplomatique, février 2025, Résister plutôt que désobéir