BDS, des armes économiques pour relayer la politique

Par Omar Barghouti *

Posant un diagnostic d’apartheid sur la situation vécue par les Palestiniens, 172 associations palestiniennes se sont inspirées de l’expérience sud-africaine pour lancer une campagne appelant au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël. Au coeur d’un conflit qui cristallise les tensions de la région, la campagne choisit de mettre l’économie au centre de la bataille.

Comment la société civile palestinienne, qui apparaît de l’extérieur comme plutôt fragmentée, a-t-elle pu se rassembler dans cette campagne ?

Omar Barghouti (OB):

Notre résistance populaire et pacifique se heurte depuis des décennies à l’occupation israélienne, au colonialisme et à l’apartheid, malgré les médiations occidentales (ou avec leur complicité). Il nous fallait changer d’échelle, en impliquant à la fois la résistance locale et une solidarité internationale soutenue. Notre histoire et le succès du combat sud-africain contre l’apartheid ont été les principales inspirations pour lancer le mouvement en 2005, même si quand nous accusons Israël d’être un État d’apartheid, nous faisons autant référence à la définition de l’apartheid donnée par les Nations unies qu’à l’Afrique du Sud.

En effet, dans les trois segments de la société palestinienne (les territoires occupés, les Palestiniens citoyens d’Israël et les réfugiés), les organisations se sont réunies autour d’un consensus inédit de lutte basée sur les droits humains et le droit international. Indéniablement, c’est cette union qui permet le succès de la campagne, là où les gouvernements et l’ONU avaient échoué.

Le boycott, ce n’est pas une initiative qui peut sembler radicale ?

OB :

La campagne a été lancée douze ans après les accords d’Oslo. Entre temps, Israël a plus que doublé son occupation des territoires palestiniens, chassé des milliers de Palestiniens, détruit la majorité de notre agriculture, de notre industrie, accaparé nos ressources en eau et accentué notre dépendance envers son économie… Les « moyens démocratiques » ont été épuisés, ils se sont révélés inutiles au regard de cette réalité: dans un conflit colonial, aucune diplomatie ne parvient à forcer un colonisateur à rendre ses privilèges. La résistance, quand elle prend la forme d’une campagne comme BDS, peut amener Israël sur un terrain où sa force armée subventionnée est inefficace.

Pouvez-vous nous donner des exemples réussis du boycott ?

OB : Dernièrement, la campagne, qui prend de l’ampleur dans les pays du Golfe, a connu un succès majeur contre Alstom : après deux ans de pressions des sociétés civiles palestinienne, arabes et européennes, l’Arabie saoudite a exclu Alstom de la seconde phase du Haramain Railway reliant la Mecque à Médine, un projet de 10 milliards de dollars perdu à cause de l’implication d’Alstom dans le tramway reliant Jérusalem aux colonies juives dans les territoires palestiniens occupés. Cela montre aux entreprises que la complicité avec la politique de colonisation d’Israël a des conséquences financières, et non seulement morales.

Qu’attendez-vous des entreprises ?

OB :

Nous ne demandons pas encore aux entreprises internationales de se joindre au mouvement, mais de ne plus se rendre complices de sociétés ou de projets israéliens qui violent le droit international et les droits humains. Comme les exemples de Veolia et d’Alstom le montrent, l’engagement dans de tels projets israéliens, même relativement petits, peut potentiellement les priver de contrats très lucratifs, et pas seulement en Europe du Nord ! La responsabilité sociale, l’éthique, doivent devenir plus qu’un slogan que les entreprises adoptent, tout en continuant leur « business as usual » dans des projets qui violent les droits humains. Elles ont tout intérêt à le faire, cela devient une composante nécessaire de leur stratégie dans un monde post-printemps arabe. Le contexte actuel verra probablement élire des gouvernements qui soutiendront plus les droits des Palestiniens face à Israël et à l’Occident… Les entreprises impliquées dans l’occupation et l’apartheid auront alors un prix bien plus lourd à payer.

Comment est perçue la campagne BDS en Israël ?

OB :

Les officiels israéliens qualifient la campagne de « menace stratégique », car l’establishment et ses puissants lobbies aux États-Unis, en France, en Angleterre et ailleurs ont échoué à freiner son amplification : des groupes religieux, juifs et autres, des fédérations syndicales et syndicats de dizaines de pays (en Europe mais aussi au Brésil, au Canada, en Inde ou en Turquie), des leaders intellectuels, viennent grossir le mouvement.

Les attaques sur Gaza à l’hiver 2008-2009 ou contre les flottilles en 2010 ont à chaque fois eu des répercussions immédiates en termes de changement d’échelle, notamment dans le milieu culturel. Le boycott académique de nombreuses universités et intellectuels, comme la multiplication d’annulations de visites d’artistes blockbusters prévus en Israël, ont fait taire le scepticisme sur le potentiel de la campagne.

Enfin, notre appel contient, en toute logique, une dimension qui est rarement notée : nous invitons les Israéliens à soutenir notre appel, pour la justice et une véritable paix. Ainsi, les citoyens israéliens juifs anticoloniaux qui partagent nos valeurs sont nos partenaires. Le Centre d’information alternative (AIC) et le Comité israélien contre les destructions de maisons (ICAHD) sont à l’origine d’un appel « de l’intérieur », en 2009, dont les adhérents se multiplient en Israël. La Coalition des femmes pour la paix a notamment monté Who Profits from the Occupation ?, une base de données des entreprises israéliennes et internationales impliquées dans l’occupation. Cette liste est consultée par des investisseurs, des acteurs économiques et des institutions internationales.

* Auteur de Boycott, Désinvestissement, Sanctions : BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (La Fabrique : 2010)

Article paru dans la revue « Business & Community »

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