Avraham Burg : « Abandonner le ghetto sioniste »

Certes, nombre de dirigeants travaillistes ont un c.v. de général, de chef du Mossad ou de chef du Shin Beth. Il y a un autre ancien dignitaire travailliste qui ne répond pas à cette description mais qui vient de faire des vagues en Israël et même au-delà. Il s’agit d’Avraham Burg, ancien président de la Knesset et ancien président de l’Agence juive, cet organisme para-gouvernemental qui a pour vocation d’encourager « l’Alaya », c’est à dire l’immigration juive en Israël. Avec un tel c.v., a priori personne ne peut le soupçonner d’être un antisioniste ou même d’avoir un regard critique sur le sionisme. Et pourtant cette personnalité atypique évolue dans ce sens depuis quelques années.

Avraham Burg, ancien pilier de « La Paix Maintenant », était devenu proche de Shimon Pérès à partir des années 1980. Un des grands espoirs du Parti Travailliste, il a déjà été candidat à sa direction. Juif pratiquant (un autre signe distinctif qui contraste avec le profil laïque de la presque totalité des dirigeants travaillistes), Burg vient de publier un livre qui a eu l’effet d’une bombe en Israël. Intitulé « Vaincre Hitler », cet ouvrage jette un regard critique au vitriol sur la société israélienne : sa classe politique, sa conduite envers les Palestiniens mais également les fondements éthiques dans lesquels ses compatriotes aimeraient encore croire, mais qui sont mis à mal par la violence omniprésente dans la société israélienne. Avraham Burg s’attaque au « ghetto sioniste », désavoue la loi du retour et estime que le Mur de séparation « procède de la paranoïa » ambiante en Israël. Dans un article intitulé « Abandonner le ghetto sioniste » qui a paru le 9 juin dans le quotidien israélien Ha’aretz (centre gauche), le journaliste Ari Shavit explique effectivement qu’Avraham Burg n’est pas n’importe qui. Voici un extrait d’un entretien entre Shavit et Burg au sujet de son livre :

Ari Shavit : « Vous confirmez que vous n’êtes plus sioniste ? »

Avraham Burg : « Lors du premier congrès sioniste, c’est le sionisme de Herzl qui a vaincu le sionisme d’Ahad Ha’am. Je pense que le XXIème siècle devrait être le siècle d’Ahah Ha’am. Nous devrons abandonner Herzl. »

NDLR : Ahad Ha’am, de son vrai nom Asher Tzvi Ginsberg (1856-1927), était le fondateur de l’organisation des Amants de Sion et l’un des pères de la littérature hébraïque moderne. Il a mis en doute l’idée que l’État juif soit la solution idéale aux problèmes du peuple juif et a prôné la création en Palestine d’un centre spirituel. Il était aussi l’un des premiers à prendre conscience de la présence arabe en Palestine et du problème que cela posait au projet sioniste.

Voici d’autres extraits des propos de Burg au cours de ce même entretien : « Définir l’État d’Israël comme un État juif est le début de la fin. Un État juif, c’est explosif, c’est de la dynamite. (…) Ahad Ha’am a reproché à Herzl que tout son sionisme avait sa source dans l’antisémitisme. (…) Notre sionisme de confrontation avec le monde est un désastre. (…) Des trois identités qui me constituent – humaine, juive israélienne – je sens que l’élément israélien me dépossède des deux autres. (…) Quel est le discours sur Gaza ? Nous allons les écraser, nous allons les éradiquer. Rien n’a changé. (…) L’occupation n’est qu’une petite partie du problème. Israël est une société qui a peur. Pour chercher la source de cette obsession de la force et pour l’éradiquer, vous devez affronter les peurs. » Emanant d’une personnalité israélienne de premier plan, ancien président de la Knesset et ancien président de l’Agence juive, ces propos sont en effet considérés comme iniques.