Par 54 universitaires travaillant sur l’antisémitisme et les questions liées, le 11 octobre 2021
Nous rendons public cet appel en tant qu’universitaires travaillant dans le champ des études sur l’antisémitisme et dans les champs voisins.
Les 13-14 octobre 2021, les dirigeants de l’Union européenne et des Nations Unies et les chefs d’États et de gouvernement de nombreux pays se rencontreront au Forum international de Malmö pour la Mémoire de l’Holocauste et la Lutte contre l’antisémitisme.
Le Premier ministre suédois Stefan Löfven organise ce forum 21 ans après le Forum international sur l’Holocauste de Stockholm, qui a abouti à la Déclaration de Stockholm, le document fondateur de l’Alliance internationale de la Mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA).
Nous saluons et soutenons l’objectif déclaré du Forum de Malmö, qui est « de prendre en commun des mesures concrètes pour poursuivre le travail sur la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme ».
L’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme et de sectarisme posent une menace croissante qui doit être combattue énergiquement. Nous louons la résolution et les efforts des gouvernements à cet égard.
En même temps, nous émettons un avertissement sévère contre l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme. Dans l’intérêt de l’intégrité, de la crédibilité et de l’efficacité de cette lutte, nous exhortons les dirigeants présents au Forum de Malmö à rejeter et à contrer cette instrumentalisation.
Une inquiétude particulière dans ce contexte est la « définition de travail de l’antisémitisme »1 que l’IHRA a adoptée en mai 2016, à la suite du Forum mondial pour combattre l’antisémitisme de 2015 organisé par le gouvernement israélien.
Onze « exemples contemporains d’antisémitisme » ont été annexés à cette définition de l’IHRA, dont sept sont liés à Israël. Ces exemples sont utilisés comme des armes contre les organisations de défense des droits humains et des militants solidaires qui dénoncent l’occupation et les violations des droits humains par Israël.
Ils légitiment des accusations abusives d’antisémitisme qui servent d’avertissement à quiconque émet des critiques sur le traitement des Palestiniens par Israël. Cela a un effet dissuasif sur la libre expression et la liberté académique et compromet la lutte contre l’antisémitisme.
Il est regrettable que cet abus clair de la définition de l’IHRA et des exemples n’a pour l’instant pas été reconnu comme tel par les gouvernements et les parlements qui ont adopté cette définition. Plus inquiétant, l’Union européenne travaille avec ardeur pour mettre en œuvre la définition de l’IHRA dans de multiples domaines stratégiques et pour l’enraciner dans toute la société.
En janvier 2021, la Commission européenne a publié dans cette perspective un « Manuel »1, qui a été vivement critiqué par des acteurs de la société civile. Parmi d’autres initiatives, ce manuel promeut l’idée de donner un effet juridique à la définition de l’IHRA et la cultive comme un critère pour allouer ou refuser des fonds aux organisations de la société civile. Nous craignons que cela soit un prélude à des politiques discriminatoires et répressives.
Le 5 octobre 2021, la Commission européenne a présenté la « Stratégie pour combattre l’antisémitisme et faciliter la vie des juifs »12, une stratégie longtemps attendue.
Comme le manuel mentionné plus haut, cette stratégie ignore les inquiétudes croissantes sur les défauts et l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA, que différents acteurs ont aussi indiquées dans le contexte de la consultation publique lancée par la Commission ; y compris cette proposition universitaire d’experts, avec une annexe illustrant l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA et une lettre commune de 10 ONG et réseaux européens. En fait, la nouvelle stratégie de l’UE nourrit ces inquiétudes.
C’est aussi avec inquiétude que nous notons que l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme et de la définition de l’IHRA est facilitée par les coordinateurs et les commissaires nommés par la Commission européenne et les gouvernements nationaux.
En Allemagne en particulier, cela a créé une atmosphère toxique et intimidante. Nous remarquons la coordination avec les organisations de pression protégeant le gouvernement israélien, et même la dépendance vis-à-vis d’elles.
Cet enchevêtrement politique a un effet de discorde et de polarisation qui mine le large soutien pour la lutte contre l’antisémitisme et distrait l’attention des sources vives de l’antisémitisme. Il contredit aussi l’esprit universaliste de la Déclaration de Stockholm, qui manque à la définition de l’IHRA.
En revanche, une définition alternative de l’antisémitisme lancée plus tôt cette année porte vraiment cet esprit : la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA)1.
La JDA a été mise au point par un groupe d’universitaires des États-Unis, d’Israël, d’Europe et du Royaume-Uni qui ont une large expérience de la définition de l’IHRA.
Après plus d’une année de délibération, la JDA a été rendue publique en mars 2021. Elle a été approuvée par plus de 300 spécialistes de l’antisémitisme et des questions liées, y compris de nombreux directeurs d’instituts en Europe et aux États-Unis.
Nous encourageons les dirigeants présents au Forum de Malmö à ajouter la JDA à leurs instruments politiques et à s’y appuyer à titre d’orientation. Enracinée dans des principes universels, la JDA est plus claire et plus cohérente que la définition de l’IHRA. Sans agenda politique sous-jacent, elle offre des directives concernant le discours politique, alors que la définition de l’IHRA a créé confusion et controverse.
Nous recommandons aussi la JDA dans la perspective de la déclaration du Premier ministre Löfven, anticipant le Forum de Malmö : « Nous devons répondre au déni de l’Holocauste et à l’antisémitisme en protégeant et en promouvant les valeurs démocratiques et le respect pour les droits humains ». Le JDA reflète et respecte les valeurs démocratiques et les droits humains.
Dans le souci que le Forum de Malmö ait un résultat concret, le gouvernement suédois a invité toutes les délégations participantes à présenter des « engagements ».
Nous appelons les dirigeants du Forum de Malmö à s’engager en commun à rejeter et à contrer l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme, qui sape les valeurs démocratiques et les droits humains et cause un grave tort à cette lutte.
Auteurs :
54 universitaires travaillant sur l’antisémistisme et des questions liées signent cette lettre ouverte.
Taner Akçam, Professor, Kaloosdian/Mugar Chair Armenian History and Genocide, Clark University
Jean-Christophe Attias, Professor of Medieval Jewish Thought, École Pratique des Hautes Études, Université PSL Paris
Leora Auslander, Arthur and Joann Rasmussen Professor of Western Civilization in the College and the Department of History, University of Chicago
Omer Bartov, John P. Birkelund Distinguished Professor of European History, Department of History, Brown University
Moshe Behar, Dr., Programme Director, Arabic & Middle Eastern Studies, School of Arts, Languages & Cultures, The University of Manchester
David Biale, Emanuel Ringelblum Distinguished Professor, University of California, Davis
Donald Bloxham, Richard Pares Professor of History, University of Edinburgh
Micha Brumlik, Professor Dr., fmr. Director of Fritz Bauer Institut-Geschichte und Wirkung des Holocaust, Frankfurt am Main
Jose Brunner, Professor Emeritus, Buchmann Faculty of Law and Cohn Institute for the History and Philosophy of Science, Tel Aviv University
Naomi Chazan, Professor Emerita of Political Science, The Hebrew University of Jerusalem
Bryan Cheyette, Professor and Chair in Modern Literature and Culture, University of Reading
Alon Confino, Pen Tishkach Chair of Holocaust Studies, Professor of History and Jewish Studies, Director Institute for Holocaust, Genocide, and Memory Studies, University of Massachusetts, Amherst
Lila Corwin Berman, Murray Friedman Chair of American Jewish History, Temple University
Sidra DeKoven Ezrahi, Professor Emerita of Comparative Literature, The Hebrew University of Jerusalem
Hasia R. Diner, Professor, New York University
Chaim Gans, Professor Emeritus, The Buchmann Faculty of Law, Tel Aviv University
Sander Gilman, Distinguished Professor of the Liberal Arts and Sciences; Professor of Psychiatry, Emory University
Shai Ginsburg, Associate Professor, Chair of the Department of Asian and Middle Eastern Studies and Faculty Member of the Center for Jewish Studies, Duke University
Carlo Ginzburg, Professor Emeritus, UCLA and Scuola Normale Superiore, Pisa
Amos Goldberg, Professor, The Jonah M. Machover Chair in Holocaust Studies, Head of the Avraham Harman Research Institute of Contemporary Jewry, The Hebrew University of Jerusalem
Leonard Grob, Professor Emeritus of Philosophy, Fairleigh Dickinson University
Jeffrey Grossman, Associate Professor, German and Jewish Studies, Chair of the German Department, University of Virginia
Atina Grossmann, Professor of History, Faculty of Humanities and Social Sciences, The Cooper Union, New York
Wolf Gruner, Shapell-Guerin Chair in Jewish Studies and Founding Director of the USC Shoah Foundation Center for Advanced Genocide Research; Professor of History, University of Southern California
Anna Hájková, Associate Professor of Modern Continental European History, Warwick University
Elizabeth Heineman, Professor of History and of Gender, Women’s and Sexuality Studies, University of Iowa
Didi Herman, Professor of Law and Social Change, University of Kent
Dagmar Herzog, Distinguished Professor of History and Daniel Rose Faculty Scholar Graduate Center, The City University of New York (CUNY)
Jonathan Judaken, Professor, Spence L. Wilson Chair in the Humanities, Rhodes College
Marion Kaplan, Skirball Professor of Modern Jewish History, New York University
Brian Klug, Emeritus Fellow in Philosophy, St. Benet’s Hall, Oxford; Member of the Philosophy Faculty, Oxford University
Claudia Koonz, Professor Emeritus of History, Duke University
Tony Kushner, Professor, Parkes Institute for the Study of Jewish/non-Jewish Relations, University of Southampton
Dominick LaCapra, Professor Emeritus of History, Cornell University
Ian S. Lustick, Bess W. Heyman Chair, Department of Political Science, University of Pennsylvania
Shaul Magid, Professor of Jewish Studies, Dartmouth College
Samuel Moyn, Henry R. Luce Professor of Jurisprudence and Professor of History, Yale University
Susan Neiman, Professor Dr., Philosopher, Director of the Einstein Forum, Potsdam
Derek Penslar, William Lee Frost Professor of Jewish History, Harvard University
Andrea Pető, Professor, Central European University (CEU), Vienna; CEU Democracy Institute, Budapest
Göran Rosenberg, Writer, Sweden
Michael Rothberg, Professor of Comparative Literature and Holocaust Studies, UCLA
Victoria Sanford, Lehman Professor of Excellence 2021-2024, Professor of Anthropology, Lehman College, The Graduate Center, The City University of New York (CUNY)
Raz Segal, Associate Professor of Holocaust and Genocide Studies, Stockton University
Joshua Shanes, Associate Professor and Director of the Arnold Center for Israel Studies, College of Charleston
David Shulman, Professor Emeritus, Department of Asian Studies, The Hebrew University of Jerusalem
Levi Spectre, Dr., Senior Lecturer at the Department of History, Philosophy and Judaic Studies, The Open University of Israel; Researcher at the Department of Philosophy, Stockholm University
Enzo Traverso, Professor in the Humanities, Department of History, Cornell University, New York
Peter Ullrich, Dr. Dr., Senior Researcher, Fellow at the Center for Research on Antisemitism, Technische Universität Berlin
Dov Waxman, Professor, The Rosalinde and Arthur Gilbert Foundation Chair in Israel Studies, Director of the UCLA Y&S Nazarian Center for Israel Studies, University of California (UCLA)
Yael Zerubavel, Professor Emeritus of Jewish Studies and History, fmr. Founding Director Bildner Center for the Study of Jewish Life, Rutgers University
Moshe Zimmermann, Professor Emeritus, The Richard Koebner Minerva Center for German History, The Hebrew University of Jerusalem
Steven J. Zipperstein, Daniel E. Koshland Professor in Jewish Culture and History, Stanford University
Moshe Zuckermann, Professor Emeritus of History and Philosophy, Tel Aviv University
Source : euobserver
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine