APARTHEID ? PIRE !

« One, two, three, four

Occupation no more,

Five, six, seven, eight

Israel is an apartheid State ! »

Que ce soit a Bil’in ou a Cheikh Jara’h, a Silwan ou au check-point Erez, les manifestants anti-colonialistes, Palestiniens ou Israeliens, ont fait de ces quatre lignes un de leurs slogans preferes. Comme tous les slogans que l’on scande dans les manifestations, il ne faut pas y voir une analyse scientifique du régime, tout comme « CRS –SS » ne voulait pas dire que la police de Marcellin était identique aux tueurs du Reichsfuhrer Heinrich Himmler. C’est un cri, un cri de rage un point c’est tout.

Nos camarades sud-africains nous ont toujours mis en garde contre une utilisation trop facile de ce concept, et insisté sur la spécificité de ce système. Prenons acte de leur mise en garde et ajoutons donc des guillemets quand nous utilisons le mot « apartheid » hors de son contexte sud-africain. Ceci dit, le Tribunal Russel sur la Palestine tient sa prochaine session au Cape (Afrique du Sud) et dors et deja nous savons que la dimension « apartheid » sera au cœur des deliberes. Il n’est donc pas ininterressant, loin s’en faut, d’analyser le systeme colonial a l’aune de ce concept.

Philosophie de la separation

En neerlandais, « apartheid » signifie separation, et au cœur de ce système se trouve une philosophie politique de la separation. Comme projet politique moderne (fin du 19eme siecle) la philosophie de la separation est nee avec le réveil des nationalismes des peuples opprimes par les grands empires (tsariste, ottoman, austro-hongrois) sous la forme de la revendication a l’auto-détermination nationale. Cette revendication signifie la droit de ces peuples a l’independance et a la constitution d’états-nation aussi ethniquement homogènes que possible. Cette aspiration a l’homogeneite a toujours ete grosse de dangers de guerre d’epuration ethniques dont la but a precisement ete (et continue a etre, comme l’ont tragiquement montre les guerres des Balkans) de garantir l’homogeneite ethnico/nationale des entites politiques nouvelles en construction.

Le sionisme est un courant politique qui s’est constitue, en Europe centrale, a la fin du XIX eme siecle, et exprime les valeurs de son temps, deux en particulier : le colonialisme et l’Etat Nation.

Le colonialisme est, entre autre, un moyen qui permet de resoudre le probleme de l’oppression d’une communaute par l’installation de cette derniere dans des « terres vierges ». C’est ainsi par exemple que la France envoie les Alsaciens qui ne veulent pas devenir allemands apres la defaite de 1870-1871 coloniser l’Algerie. C’est dans cet esprit que Theodore Herzl rencontre, au tournant du XXeme siecle, les maitres de la planete pour qu’ils offrent un territoire refuge aux Juifs opprimes de l’Empire Tsariste, n’excluant d’ailleurs ni l’Ouganda ni l’Argentine. L’objectif de Herzl et de nombre de dirigeants sionistes de cette époque étant en fait de ne pas entraver l’assimilation des Juifs d’Europe Centrale et Occidentale par un afflux de Juifs sans papiers et « primitifs » fuyant la pauvrete et l’antisemitisme en Europe de l’Est.

L’homogeneite ethnico/nationale/confessionelle est l’autre valeur dominante de cette epoque sur laquelle se fonde le sionisme : comme les Tcheques et les Grecs, les Slovenes et les Polonais, les Sionistes aspirent a créer une entite aussi demographiquement homogene (juive) que possible. En fait le sionisme reconnaît, plus ou moins ouvertement, le bien-fonde de l’antisemitisme qui aspire a se debarrasser des « corps etrangers ». En un sens c’est un mouvement d’auto-epuration ethnique. Le colonialisme sionisme, des lors qu’il prend le contrôle d’un territoire, c’est pour y créer une entite (Foyer National, Yishuv puis Etat) aussi ethniquement homogene que possible. La logique de separation (apartheid) est au cœur du sionisme, et l’expulsion de la population arabe autochtone est intrinseque au projet

Meme la droite sioniste la plus extreme preferera toujours un territoire plus petit avec beaucoup moins d’autochtones qu’un territoire plus grand avec une forte population arabe, et tout le debat politique qui traverse d’abord le mouvement sioniste et ensuite l’Etat d’Israel tourne autour de la formule optimale entre maximum de territoire et minimum de population arabe.

Pour conclure ce point : si l’on considere la centralite de la separation dans la philosophie et la pratique sionistes, le concept d’apartheid est loin d’etre inoperant ou hors-jeu dans l’analyse de la politique israelienne, a condition toutefois, comme nous mettent en garde les militants sud-africains et nombre d’intellectuels palestiniens (comme recemment, le directeur de l’organisation palestinienne des droits de l’homme, Adala, Hassan Jabareen) de mettre en evidence les specificites de cet apartheid.

Colonialisme, nettoyage ethnique et apartheid

Si l’apartheid est instrinsequement lie au colonialisme, ce dernier n’est que rarement fonde sur un systeme d’apartheid. En fait, il y a plusieurs meta-modeles de colonialisme : le colonialisme genocidaire (les Ameriques, l’Australie), le colonialisme d’exploitation des indigenes (« Faire suer le burnous » en Algerie), le colonialisme d’importation-exclavagiste (Amerique du Nord), le colonialisme d’epuration ethnique, c’est a dire d’expulsion de la population autochtone (sionisme). Il y a aussi des modeles hybrides : l’importation forcee de main d’œuvre (esclavagisme) faisant suite a l’extermination des populations indigenes (modele nord-americain).

Dans une logique coloniale somme toute assez banale, le systeme d’apartheid sud-africain n’est pas base sur l’expulsion des Noirs et autres minorites raciales, mais leur exploitation, car le colonialisme est avant tout exloitation, des ressources et de la main d’euvre indigene. « Faire suer le burnous » est le slogan du colon blanc en Algerie, et si le colonialisme s’accompagne souvent de gigantesques deplacements de population (et de massacres), ceux-ci ne sont pas le cœur de sa logique.

Le sionisme dont l’objectif est la creation d’un Etat (demographiquement) Juif, c’est-à-dire avec un minimum de population non-juive, est non seulement un colonialisme de depossession (ce que sont toutes les formes de colonialisme) mais surtout un colonialisme d’expulsion, d’epuration ethnique. C’est cela sa specificite et son modus operandi.

Quand certains defenseurs palestiniens des droits de la personne disent « pire que l’apartheid » ils mettent le doigt sur le fait que le sionisme est un colonialisme d’expulsion, de nettoyage ethnique dans le but de permettre la mise en place d’un Etat-Nation, d’un Etat Juif. En ce sens c’est effectivement pire que l’apartheid qui n’implique en général pas le déracinement, l’exil.

Il est en tout cas important de noter que la Convention de l’ONU contre l’apartheid donne une définition très large de ce crime qui va bien au delà des caracteristiques du regime qui etait en vigueur en Afrique du Sud. En ce sens pire ou non que l’apartheid, le regime israelien a enormement de comptes a rendre, du point de vue du droit international, aux crimes d’apartheid tels que definis par la Communaute Internationale. L’Etat d’Israel est coupable de nombreux crimes inscrits dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973, ce qui, en soi, pourrait etre suffisant pour clore le debat.

Soulignons-en deux. Premierement, la discrimination structurelle dont est victime la minorite palestinienne d’Israel (les Palestiniens de 1948, comme ils se definissent aujourd’hui). Dans son auto-definition, l’Etat d’Israel, est discriminatoire entre les communautes : comme Etat Juif (et democratique), il implique un statut particulier et privilegie a la communaute juive par rapport a toutes les autres, et en premier lieu, la minorite arabe autochtone. Mais ce n’est evidemment pas seulement une question de definition : des lois sont votees et des institutions para-gouvernementales (Agence Juive, Fonds National Juif/KKL) sont constituees pour garantir ces privileges, a commencer par la Loi du Retour qui octroie la nationalite israelienne a quiconque la demande… a condition qu’il soit juif. Simultanement, des millions d’autochtones et leurs enfants sont condamnes a l’exil et nies dans leur droit a retourner dans leur pays parce que, pour des raisons diverses, ils se sont trouves hors des frontieres de ce qui fut nomme l’Etat d’Israel, beaucoup d’entre eux tout simplement expulses par les forces armees sionistes. Finalement, une longue série de lois (en particulier dans le domaine foncier), de décrets et de plans gouvernementaux sont decides dans le seul but de « judaïser » des régions non suffisamment epurees.

Toutes ces pratiques de discrimination positive en faveur des Juifs sont explicitement denoncees par la Convention Internationale pour l’Elimination de l’Apartheid.

Bantoustanisation

Un autre aspect du regime sioniste qui resonne avec l’apartheid est la politique de « cantonisation » (le concept est d’Ariel Sharon) des territoires palestiniens occupes en juin 1967. Cette politique consiste a former des entites palestiniennes autonomes et autogerees, tout comme les bantoustans d’Afrique du Sud. Ces derniers, consideres par les dirigeants de Pretoria comme de veritables Etats, avaient leur propre gouvernement (souvent un roi) et jouissaient d’une large autonomie administrative. Mais leur existence, leurs frontieres et leurs pouvoirs etaient entierement definis par le pouvoir central de l’Afrique du sud, le pouvoir blanc de Pretoria. Les bantoustans etaient dotes d’une independance fictive, totalement controlee par le regime d’apartheid.

Dans une large mesure, le projet d’Oslo visait a créer des bantoustans palestiniens : autogeres par une « Autorite Palestinienne », les « territoires autonomes palestiniens » restaient entierement dependants des decisions de l’administration militaire israelienne, y compris leur existence, comme le demontre a contrario l’Operation Rampart dont l’objectif etait precisement de mettre fin a leur existence et de demanteler l’Autorite Palestinienne en la remplacant par un retour de l’Administration militaire israelienne directe.

Israel n’est pas l’Afrique du Sud et son regime colonial a – helas, diraient avec une certaine dose de cynisme, certains militants palestiniens – beaucoup de differences avec l’ancien regime de Pretoria. Ceci dit, concernant de nombreux aspects du sionisme reellement existant, l’utilisation du concept d’apartheid est loin d’etre une extrapolation deplacee, en particulier en ce qui concerne les violations de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid et les sanctions qui en decoulent. Continuons a débattre sur le bien fonde ou non de l’utilisation du concept d’apartheid pour décrire le colonialisme sioniste, dans les Territoires Occupes et dans les frontières de l’Etat d’Israël, mais quelque soit le point de chacun, nous pouvons, nous devons tous ensemble se saisir de la Convention Internationale contre l’Apartheid pour renforcer la campagne Boycot-Desinvestissement-Sanctions (BDS) et exiger que le régime israélien soit sanctionne pour les innombrables atteintes a cette Convention. Comme on a su le faire avec efficacite pour l’Afrique du Sud, a l’epoque de l’apartheid.

Michel Warschawski

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