Antisionisme / Antisémitisme : à qui profite l’amalgame ?

Conférence-débat organisée par l’association « Confrontations », avec le soutien de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) de Lyon, animée par Pierre Stambul (co-président de l’UJFP) et Sarah Katz (qui a effectuée de nombreux séjour à Gaza).

Au programme également le compte-rendu du séjour des deux intervenants à Gaza entre mai et juin 2016.

Antisionisme / Antisémitisme : à qui profite l’amalgame ?

Le 7 mars 2016 au dîner du Conseil Représentatif des Organisations Juives de France, le premier ministre Manuel Valls déclarait : « Nous savons qu’il y a un antisémitisme ancien et un antisémitisme nouveau. Un antisémitisme d’extrême droite mais aussi un antisémitisme d’extrême gauche. Il y a l’antisémitisme des beaux quartiers, il y a aussi l’antisémitisme dans les quartiers populaires d’une jeunesse radicalisée. Et puis (… ), il y a l’antisionisme, c’est à dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël. »

Pourquoi est-il devenu impossible de critiquer la politique de l’État d’Israël envers les Palestiniens et dans les territoires occupés sans être accusé d’antisémitisme ?
C’est même devenu l’argument préféré des défenseurs de la politique israélienne. Or, c’est une accusation infamante qui évoque implicitement les nazis et le génocide des Juifs. Elle frappe de nullité toute critique de la politique israélienne,favorise la dénégation des faits et interdit tout débat.

Pourtant, il faut dénoncer ce que subissent les Palestiniens : occupation, colonisation, discrimination, apartheid, nettoyage ethnique, crimes de guerre…
Ce qui sous-tend cette situation insupportable, c’est l’idéologie sioniste.
Cette théorie est née à la fin du XIX° siècle en réaction aux pogroms antisémites en Europe centrale et en Russie.

Pour les sionistes, les juifs sont un peuple, parfois une « race » et une religion. Pour eux, la coexistence avec les autres est impossible.

La solution : l’émigration en Palestine !

Or, dans ces pays d’Europe, existaient des mouvements ouvriers socialistes juifs, comme le Bund [note]BUND : L’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie plus connue comme le Bund est un mouvement socialiste juif créé à la fin du XIXe siècle dans l’Empire russe. Militant pour l’émancipation des travailleurs juifs dans le cadre d’un combat plus général pour le socialisme, il prône le droit des Juifs à constituer une nationalité laïque de langue yiddish. Il s’oppose donc tant au sionisme qu’au bolchevisme dont il critique les tendances centralisatrices. Le mouvement perd la plupart de ses adhérents et de son influence à cause de la Shoah.]], qui luttaient à la fois contre le racisme et pour l’émancipation de toute la classe ouvrière du joug capitaliste.

Ces mouvements étaient frontalement opposés au sionisme en qui ils voyaient une entrave à l’émancipation des Juifs. Ils dénonçaient sa politique de collaboration avec les dictatures locales et avec les antisémites. Théodor Herzl n’avait-il pas déclaré : «les antisémites seront nos amis les plus dévoués, les pays antisémites nos alliés» ?

Le Bund voyait dans la politique d’implantation en Palestine une forme de colonialisme, comme le montre cet extrait d’un article prémonitoire de Henryk Herlich paru dans la revue du Bund en 1938 : « Que peut être, dans le meilleur des cas, la Palestine juive ? Le micro-État d’une minuscule tribu hébraïque au sein du peuple juif. Lorsque les sionistes s’adressent aux non juifs, ils sont de fervents démocrates et représentent les relations sociales de la Palestine, actuelle et future comme un parangon de liberté et de progrès. Mais si un État juif était créé en Palestine, son climat mental serait la peur éternelle d’un ennemi extérieur (les Arabes), un combat perpétuel pour chaque centimètre carré de terrain, pour chaque miette de travail contre un ennemi intérieur (les Arabes) , et une lutte sans répit pour éradiquer la langue et la culture des Juifs de Palestine non hébraïsés. Est-ce là un climat où cultiver la liberté, la démocratie et le progrès ? N’est-ce pas plutôt le climat où fleurissent d’ordinaire la réaction et le chauvinisme ? »

Le slogan d’Israël Zangwill : « La Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre » a justifié un projet nationaliste qui a abouti à l’expulsion dès 1948 d’une partie importante des palestiniens, à la destruction de nombreux villages et à l’appropriation des terres déclarées « abandonnées », en réalité vidées de leurs habitants après nettoyage ethnique. Cette politique a transformé les palestiniens en « Indiens » du Proche-Orient, parqués dans des réserves et privés de droits.
Ce nationalisme qui affirme qu’Israël est la seule patrie des juifs a utilisé et utilise toutes les peurs et toutes les situations de crise pour les inciter à s’installer en Palestine puis en Israël.

Ainsi, le premier ministre israélien B. Netanyahu, en visite officielle en France (État laïc) après les attentats de janvier 2015 s’est rendu à la synagogue de la Victoire, pavoisée pour l’occasion de drapeaux israéliens pour appeler les Français de confession juive à émigrer en Israël, leur « seul pays ».
Depuis Vichy, aucun antisémite n’avait osé, comme il l’a fait, dire aux Juifs français qu’ils n’étaient pas chez eux en France.
On a eu là un condensé de l’idéologie sioniste : confusion du nationalisme et de la religion, mise en accusation des Palestiniens traités de terroristes, exaltation de l’héroïsme des soldats israéliens qui ont participé l’opération « Plomb durci » à Gaza.

Les dirigeants israéliens mènent donc contre les Palestiniens une guerre coloniale qui emploie les armes les plus modernes et s’appuie sur le racisme et sur le fanatisme religieux.
Les sionistes qui prétendent défendre les Juifs les mettent en réalité en danger : ils sont sommés de prendre parti pour la politique criminelle de l’État israélien.
Ceux qui luttent contre le racisme et le système d’apartheid israélien sont dénoncés comme traitres s’ils sont Juifs, et comme antisémites, s’ils ne le se sont pas.

Ainsi, la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) destinée à dénoncer la colonisation israélienne dans les territoires occupés est pacifique, mais en France, elle est devenue une infraction pénale depuis 2015 et des militants poursuivis et condamnés.

Nous dénonçons aussi les agissements des groupes racistes qui propagent leur haine antisémite sous le couvert d’antisionisme : Dieudonné and Co, Égalité et Réconciliation, les nazis français, les intégristes musulmans et catholiques, les racialisateurs de tout poil.

Pour nous, la lutte contre l’antisémitisme est indissociable de la lutte contre tous les racismes y compris celui envers les Falashas [note]Les Falashas, également appelés Beta Israel hébreu étaient des habitants de l’Éthiopie, maintenant qualifiés en Israël de « juifs éthiopiens ». En 1975, le gouvernement israélien reconnaît la judaïté des Beta Israël. Ceux-ci vont alors mener une difficile émigration vers Israël dans les années 1980 et 1990. En 2009, ils sont environ 110 000 en Israël. Ils sont discriminés en tant que noirs, ce qui a conduit à des émeutes en 2015.]].

L’opposition au sionisme qui a été le fait d’une majorité de juifs avant le génocide et des anti-impérialistes de l’après-guerre est un combat anticolonialiste tout à fait justifié pour celles et ceux qui défendent l’émancipation individuelle et collective et auquel nous adhérons.

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