Antisémitisme et Palestine

Nous vivons une période de confusion extrême.

D’un côté un général factieux (Delawarde), signataire d’un appel à peine voilé au coup d’état militaire, désigne lors d’un débat organisé par la télé-poubelle C News une « communauté » (les Juifs bien sûr) comme dominant le monde et les médias. On voit renaître, instrumentalisant les manifestations légitimes contre le passe sanitaire, le recours au bouc émissaire. En 1348, les Juifs étaient accusés de propager la peste noire et deux mille d’entre eux avaient été brûlés à Strasbourg.

Aujourd’hui, ils sont désignés comme étant les profiteurs de l’épidémie de COVID et ceux qui tirent les ficelles de la crise. Les banderoles douteuses, les délires complotistes sur leur « pouvoir occulte » et les profanations de cimetières juifs se multiplient.

En même temps, le gouvernement qui multiplie les actes et les déclarations racistes contre les Arabes, les Rroms, les Noirs, les Musulmans … réagit à toutes les manifestations antisémites comme si la haine était encouragée pour les uns et interdite contre les autres. Loin de protéger les Juifs, cette posture les met (sciemment) en danger.

Et puis il y a une instrumentalisation obscène de l’antisémitisme par les dirigeants israéliens et ceux du CRIF. Pour eux, les antisémites sont « forcément » les Arabes, les musulmans et les antisionistes. La poussée de l’antisémitisme d’extrême droite survient alors que cette extrême droite est depuis des années un allié privilégié d’Israël : chrétiens sionistes finançant les colonies, dirigeants de parti néo-fascistes européens, chefs d’État racistes et autoritaires comme Trump, Orban, Modi ou Bolsonaro, ce beau monde admire et soutient Israël. Bolsonaro, en vrai négationniste, est allé jusqu’à expliquer que « les Nazis étaient de gauche ». Le journaliste israélien anticolonialiste Gideon Levy a parlé (au sujet de ces braves gens) des amants antisémites d’Israël.

L’antisémitisme dans l’histoire

Il y a d’abord eu l’antijudaïsme chrétien. Les deux religions prosélytes ont été en concurrence et quand le christianisme l’a emporté, il a décrété contre les Juifs toute une série d’interdits, le pire étant l’interdiction de posséder la terre. Parfois forcés d’exercer des métiers interdits aux chrétiens, les Juifs ont subi spoliations, humiliations, expulsions et massacres. Les croisades, l’inquisition espagnole qui expulse et massacre les Juifs ou les tueries du cosaque Khmelnitsky sont restées dans les mémoires. C’est l’Espagne chrétienne, avec la « pureté du sang », qui pour la première fois fait des Juifs une « race ».

L’antijudaïsme chrétien n’a pas disparu. L’Église a cessé du bout des lèvres, lors du concile Vatican II, de parler du peuple déicide. Un mouvement comme Civitas continue.

Au milieu du XIXème siècle se développent les idéologies racialistes. Des intellectuels théorisent l’inégalité des races qui va avant tout s’appliquer aux non-blancs des nouvelles colonies. Plusieurs causes expliquent la montée d’un antisémitisme racial virulent et hégémonique dans de nombreux pays d’Europe. Il y a l’émancipation des Juifs qui a commencé en France et en Allemagne et qui progresse vers l’Est. En sortant du ghetto, les Juifs deviennent une minorité invisible qui suscite tous les fantasmes. Avec l’affaiblissement puis l’effondrement des empires russe, autrichien et ottoman, des nationalismes naissent et tous prônent la création d’États ethniquement purs dans lesquels les Juifs constituent une minorité non désirée. Tous ces nationalismes seront antisémites.

Le mot antisémitisme est impropre, les Sémites comme les Aryens, c’est une invention meurtrière, tout comme la notion de « race ». C’est un des premiers théoriciens de l’inégalité des races, Wilhelm Marr (1819-1904) qui popularise ce mot. L’idée que les Juifs constituent une « race » est hégémonique à l’époque. On sait aujourd’hui qu’ils sont pour la plupart les descendants de convertis de différentes époques et de différentes régions et que les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens.

Aujourd’hui, les dirigeants sionistes proclament que les Juifs ont vécu l’enfer dans le monde arabe et que les musulmans sont antisémites. C’est faux. Les Juifs, comme les Chrétiens ont eu dans le monde musulman le statut de « dhimmi » (protégé). Ce n’était pas la citoyenneté (elle n’existait nulle part), mais c’était la possibilité de désigner des intermédiaires entre la communauté et les seigneurs. Les Juifs du monde musulman ne connaîtront (avant l’apparition du sionisme) rien de comparable aux expulsions ou aux pogroms qui ont jalonné l’histoire du monde chrétien.

Le sionisme : une réponse tragique, dès le départ, à l’antisémitisme

Alors qu’aujourd’hui Macron et bien d’autres (y compris un journal comme Le Canard Enchaîné) affirment que l’antisionisme et l’antisémitisme, c’est en gros la même chose, il serait beaucoup plus juste d’examiner tous les points communs entre sionisme et antisémitisme.

Comme les antisémites, les sionistes pensent que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble. Ils ont au départ le même but que les antisémites : qu’un maximum de Juifs quittent l’Europe. Beaucoup de dirigeants antisémites recevront le fondateur du sionisme, Herzl, ou déclareront leur sympathie pour son projet : l’empereur allemand Guillaume II, le ministre russe Plehve (organisateur de pogroms) ou même Drumont. Guillaume II ira jusqu’à griffonner au moment du congrès de Bâle qu’il ne faut surtout pas faire obstacle à quelqu’un qui va débarrasser l’Europe de ses youpins.

Herzl écrira « les antisémites et les pays antisémites seront nos meilleurs alliés ». Il traitera les Ostjuden (les Juifs de l’Europe de l’Est) de youpins dans le journal Die Welt, d’autant que la plupart sont révolutionnaires et antisionistes. Il a l’idée de les régénérer par le travail et ne cache pas la dimension colonialiste de son projet : « nous serons un rempart (européen) contre la barbarie de l’Orient».

Le projet d’État juif recopie le rêve meurtrier d’États ethniquement purs véhiculé par les nationalismes européens.

Comme les pays nationalistes, le sionisme a son « roman national » : les Juifs auraient été chassés il y a 2000 ans et ils rentrent chez eux. Cette théorie de l’exil et du retour est une construction idéologique et n’a aucune base historique. Elle a pour but essentiel de justifier un colonialisme de remplacement.

Le racisme tellement évident aujourd’hui en Israël (y compris à l’intérieur de la communauté juive israélienne contre les Juifs issus du monde arabe ou contre les Falachas) n’est pas une invention moderne. La Palestine devait être une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » selon les mots d’Israël Zangwill. Dès le départ, les sionistes ont nié les droits, la dignité et même l’existence du peuple palestinien. Ceux-ci devaient devenir les Amérindiens du Proche-Orient, expulsés ou enfermés dans leurs « réserves ». En 1921, à peine créé, le syndicat sioniste Histadrout déclenchait une grève avec pour mot d’ordre : « achetez juif, boycottez les magasins arabes ». Déjà le modèle de l’État ethniquement pur.

L’amitié des sionistes avec l’extrême droite, y compris antisémite n’est pas  non plus quelque chose de nouveau quand Nétanyahou s’affichait ces dernière années avec Trump, Orban ou Bolsonaro. Déjà dans les années 1930, le fondateur du courant « révisionniste » du sionisme, Vladimir Jabotinsky, proclamait son admiration pour Mussolini et le Bétar faisait ses entraînements militaires dans l’Italie fasciste. Héritier de ce courant, le groupe Stern, dans la lutte qu’il menait au nom des colons sionistes contre le colonialisme britannique, a essayé en vain, alors que l’extermination des Juifs était à l’oeuvre, de nouer des liens avec l’Allemagne nazie.

L’antisémitisme est-il un racisme comme un autre ?

Pendant un siècle, l’antisémitisme a été le dénominateur commun de toutes les forces politiques d’extrême droite et de toutes les idéologies de discrimination ou de haine. Tous les racismes ne prônent pas l’extermination de la population désignée. En ce sens, l’antisémitisme qui produit la destruction des Juifs d’Europe (pour reprendre les termes de Raul Hilberg) de façon « industrielle » par la plus grande puissance du moment, a un côté unique. Il ne s’agit pas seulement de l’antisémitisme allemand. Quasiment tous les pays de l’Europe occupée auront leurs collaborateurs zélés. En France notamment, Pétain, Laval, Bousquet, Darquier de Pellepoix, Vallat et bien d’autres seront plus que des complices. Du statut des Juifs promulgué dès 1940 à la rafle du Vel d’Hiv, il y a eu un fascisme français puissant, populaire dans certains milieux et qui n’a pas disparu en 1945. Quand le film « Le Chagrin et la Pitié » est sorti en 1969, il y a eu une stupéfaction de découvrir qu’une fraction importante de la population française avait accepté le nazisme ou collaboré.

En 1945, l’Allemagne nazie est vaincue, mais pas les idées qu’elle a véhiculée. Avec les atrocités commises par le colonialisme français en Indochine et en Algérie, la parole raciste va rester très active. Dès les années 50, Bardèche, Poujade, Le Pen reprennent la tradition des références antisémites. Même De Gaulle tient des propos plus qu’ambigus sur les Juifs, il était franchement antisémite dans sa jeunesse. Jusque vers 1960, les sondages montrent qu’une majorité en France est contre le fait d’épouser un Juif ou une Juive. Un antisémitisme d’ultra gauche va s’ajouter au traditionnel antisémitisme de droite. Avec Paul Rassinier et plus tard Pierre Guillaume ou Serge Thion, des prétendus révolutionnaires vont nier l’existence des chambres à gaz, voire l’extermination.

Avec les guerres coloniales et l’arrivée massive de travailleurs immigrés venus des pays colonisés, le racisme va s’enraciner. L’héritage de l’esclavage et d’un colonialisme jamais achevé se traduit par une stigmatisation et des discriminations.

L’antisémitisme persiste et même reprend de la vigueur, mais le racisme contre les Noirs, les Arabes et les Rroms est d’une virulence extrême. Dans toute l’Europe, le discours islamophobe s’est « libéré » et ressemble de plus en plus aux diatribes antijuives d’avant guerre. L’islamophobie tient aujourd’hui le rôle fédérateur (pour l’extrême droite) qui était celui de l’antisémitisme.

Le MRAP qui s’appelait « Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix » a changé son nom en « Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples ». Chaque forme de racisme a sa spécificité, mais il n’y a plus de raison aujourd’hui de faire de l’antisémitisme un racisme à part.

Toute idée de déni d’humanité ou de refus d’égalité est ignoble, il n’y a pas de raison aujourd’hui de mettre à part l’antisémitisme.

Refuser le racisme sous toutes ses formes

On pense à tort que l’Europe s’est repentie et a eu de la compassion pour les Juifs après le génocide. Si cela avait été le cas, on aurait accueilli les rescapés et il y aurait eu partout la promesse de l’égalité des droits. Ça n’a pas été le cas. Tout comme en 1938 quand la conférence d’Évian (chargée de trouver un refuge pour les Juifs fuyant l’Allemagne et l’Autriche) n’avait abouti à rien, il n’y avait pas de visa après 1945 pour ceux qui ne pouvaient plus retourner dans le « Yiddishland » détruit. Le message a été plutôt : « Les Juifs, maintenant vous avez un pays, vous partez quand vous voulez ». L’Europe s’est déchargée de sa responsabilité majeure dans l’antisémitisme et le génocide sur le dos des Palestiniens qui étaient étrangers à cette histoire.

Ce qui change vraiment en 1945 en Europe de l’Ouest (pas en Pologne), c’est qu’il n’y a plus d’antisémitisme d’État. Les autorités réagissent à toute manifestation d’antisémitisme. Parfois, un sentiment trouble et masqué remonte à la surface. Souvenons-nous de Raymond Barre parlant des victimes « innocentes » (= non juives) de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Et Darmanin, le pourfendeur du « séparatisme » (musulman), dans un livre sur Napoléon, reprend les stéréotypes classiques sur les Juifs usuriers.

L’islamophobie ou le racisme frappant les Noirs, les Arabes, les Rroms s’expriment sans retenue dans les médias et au sommet de l’État. Ce racisme s’accompagne d’une discrimination incontestable (qui s’accroît sans cesse) au travail et au logement. Les violences policières et les crimes impunis frappent essentiellement ces discriminés régulièrement désignés comme bouc émissaires.

De nombreux médias affirment que ces « populations » envahissent la France, propagent l’insécurité, et sont des terroristes en puissance. Pour gagner des voix aux élections, il faut imiter cette presse, parler de « grand remplacement », multiplier les lois contre les migrants ou les musulmans, violer ouvertement les libertés fondamentales à leur égard (voir la dissolution du CCIF). L’idée que nos valeurs seraient supérieures à celles de ces discriminés est hélas largement partagée.

Il y avait en France autrefois la figure du Juif intellectuel de gauche : Laurent Schwartz ou Pierre Vidal-Naquet dénonçant le colonialisme et la torture, Stéphane Hessel soutenant les droits des Palestiniens. On a aujourd’hui BHL appelant l’Occident à multiplier les expéditions militaires en Irak et en Libye ou Finkielkraut expliquant que « l’équipe de France n’est pas black, blanc, beur, elle est black, beur et tout le monde se moque d’elle ». Il ajoute que ces gens sont « des assistés qui n’aiment pas la France ».

Que dire de ceux qui prétendent parler au nom des Juifs de France ? Ancien président du CRIF, Roger Cukierman déclarait en 2002 : « le succès de Le Pen est un message clair pour que les musulmans restent calmes ». Ancien numéro 2 du CRIF, Gilles-William Goldnadel déclarait en 2017 : « des colonies de peuplement contre l’avis des autochtones, il y en a en Seine-Saint-Denis. »

Des dirigeants comme François Kalifat, ancien du Bétar ou Habib Meyer, le député-colon, soutiennent ouvertement le suprématisme israélien.

Lutter contre l’antisémitisme, c’est refuser que les Juifs soient représentés par des racistes. C’est retrouver l’universalisme de la lutte antiraciste. C’est unifier cette lutte en ripostant inlassablement dans l’unité à toute agression. Il y a eu à l’étranger des ripostes unitaires lors des attentats contre la synagogue de Pittsburg ou contre les mosquées de Québec et Christchurch. Il faut suivre ces exemples.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme

Parfois des sionistes se lamentent : « il y a tant d’injustices dans ce monde. Pourquoi vous en prenez-vous à Israël ? ». La réponse est apportée par les spectateurs du formidable film de Roland Nurier « Le char et l’olivier ». Ceux qui ne connaissaient rien à la guerre Israël/Palestine s’écrient : « comment un scandale pareil peut-il durer depuis si longtemps ? »

Même quand on ne connaît pas l’histoire du sionisme ou le fait qu’Israël n’est en rien une réponse au génocide nazi (l’expulsion des Palestiniens et leur remplacement étaient programmés depuis des décennies quand la seconde guerre mondiale éclate), la réalité s’impose de plus en plus.

En 1948, un nettoyage ethnique prémédité a abouti à l’expulsion de la grande majorité des Palestiniens de leur pays, les transformant en réfugiés.

La conquête également préméditée de 1967 a permis à l’occupant de contrôler toute la Palestine. Aujourd’hui, entre Méditerranée et Jourdain, il y a autant de Juifs israéliens que de Palestiniens. Les uns ont tout, la puissance militaire, le pouvoir politique, la terre, la richesse. Les autres n’ont rien. Ils ont été fragmentés et subissent diverses formes de domination. Ce qu’ils vivent quotidiennement a pour noms occupation, colonisation, humiliations, vol de terres, démolitions de maisons, emprisonnement massif, arrestations d’enfants, exécutions ciblées, torture … Ils subissent même un raffinement de cruauté dans la répression : le refus de rendre les corps des prisonniers morts pendant leur détention, tant que le temps prévu de la peine n’est pas écoulé !!

Les Israéliens ne dissimulent même plus l’apartheid. La loi « Israël, État-nation du peuple juif » l’a légalisé en 2018. Les tueries régulières contre la population de Gaza en cage, les assassinats d’enfants ou les exactions quotidiennes des colons ont été banalisées, les barrières morales se sont massivement écroulées et seule une petite minorité anticolonialiste proteste encore contre l’inacceptable.

Ce régime utilise la répression contre les Palestiniens pour s’enrichir. Il est devenu le champion des techniques de répression, de surveillance des populations dites dangereuses et d’enfermement qu’il vend au monde entier.

Ce régime est suprématiste et il est l’ami des dirigeants racistes.

Normalement, il devrait y avoir dans l’opinion publique mondiale une vague d’indignation et de réprobation. Normalement, la complicité des dirigeants occidentaux avec un régime qui viole tous les jours les droits fondamentaux devrait être rendue impossible. Normalement, ce régime devrait subir ce que le régime de l’apartheid en Afrique du Sud a subi avant de tomber.

Une des armes pour faire taire toute opposition, c’est l’instrumentalisation de l’antisémitisme. Les membres du mouvement de solidarité nous disent souvent, à nous, membres de l’Union Juive Française pour la Paix : « vous, à l’UJFP, vous pouvez dire des choses, mais nous, nous sommes instantanément taxés d’antisémitisme ». Qu’ils se rassurent, nous sommes traités de « Juifs honteux ayant la haine de soi », de « traitres », voire de « Juifs antisémites ».

On marche sur la tête. Les dirigeants sionistes sont des suprématistes d’extrême droite, Nétanyahou a approuvé la campagne antisémite d’Orban contre George Soros, affirmant que ce dernier (rescapé du génocide nazi) était un ennemi d’Israël. Le même Nétanyahou a osé proférer des propos totalement négationnistes : « Hitler ne voulait pas tuer les Juifs, c’est le grand mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée ». Son successeur, Naftali Bennet a déclaré en 2013 : « j’ai tué beaucoup d’Arabes, je ne vois pas où est le problème ». Imaginons ce qui se passerait si un chef d’État se vantait d’avoir tué beaucoup de Juifs. La ministre de l’intérieur israélienne, Ayelet Shaked, déclarait en 2014 que « la mère de chaque martyr palestinien doit être tuée ».

Ce sont ces gens-là qui nous traitent d’antisémites. Nous ne devons pas hésiter à dire qu’ils sont idéologiquement beaucoup plus proches de ceux qui ont commis le génocide que de ceux qui l’ont subi. Quand des racistes s’approprient la mémoire de l’antisémitisme, il y a là une obscénité qui est une injure pour l’histoire, la mémoire et les identités juives.

Hélas, ça marche. L’ex ministre Alliot Marie a pondu en 2010 une circulaire criminalisant le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre l’État d’Israël tant qu’il ne respectera pas le droit international) et cette circulaire n’a pas été abrogée malgré le jugement de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) condamnant la France. Dupont-Moretti sous-entend toujours que vouloir boycotter Israël, c’est être antisémite.

En mai 2021, il y a eu de nouveaux massacres à Gaza. Aussitôt Darmanin a fait interdire les manifestations pour cause de « risque de dérapage antisémite » et il a été bruyamment approuvé  par Anne Hidalgo.

En Grande-Bretagne, Jeremy Corbyn a été victime d’une campagne partie d’Israël. Comme il se proposait de « rééquilibrer » la politique étrangère de son pays, des tweets antisémites se sont mis à fleurir sur les listes de discussion du parti travailliste. Elles émanaient de gens non identifiés ou n’existant pas. Il y a sans doute des raisons diverses à la défaite de Corbyn. En tout cas, la veille du vote, le grand rabbin Ephraïm Mirvis l’a accusé d’antisémitisme et a appelé à voter contre lui.

En Allemagne, le chantage à l’antisémitisme est tel que tous les partis soutiennent Israël, même Die Linke. Le mouvement AntiDeutsche qui se dit antifasciste est ouvertement pro-sioniste.

Dernier événement : l’AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine) publie un texte très précis sur l’apartheid israélien. Immédiatement on a un texte signé par des  gens qui se pensent humanistes (Élie Barnavi, Élisabeth Badinter), des gens qui ont traversé le miroir (Philippe Val, Manuel Valls, Michel Onfray) et d’autres dont les propos racistes ont été cités plus haut (Gilles-William Goldnadel, Alain Finkielkraut) pour dénoncer des propos « étaticides » et s’indigner de la comparaison avec l’Afrique du Sud. Désolé pour eux, dénoncer l’apartheid israélien, ce n’est pas vouloir jeter les Juifs à la mer. Au contraire, c’est leur assurer un futur dans l’égalité de tous. Et parler d’étaticide quand on approuve le « sociocide » (ou « ethnocide ») perpétré depuis des décennies contre les Palestiniens, c’est indécent.

Une campagne nauséabonde

Il est incontestable qu’il y a une recrudescence de l’antisémitisme. Il est incontestable que des Juifs ont été tués en France parce que juifs. Il est tout aussi incontestable qu’un nombre beaucoup plus important d’Arabes, de Noirs, de Rroms, de Musulmans ont été tués à cause de leur « identité » réelle ou supposée. Ces monstruosités doivent être combattues dans l’unité. Le racisme est « un ». Quand on encourage une de ses composantes, toutes se renforcent.

Mais comment lutter ?

Sont apparus, se disant proches de la gauche ou de l’extrême gauche, se disant même parfois révolutionnaires, des groupes dont la finalité essentielle est de lutter contre l’antisémitisme. Pour eux, cette lutte est à déconnecter totalement de la guerre qu’Israël mène contre le peuple palestinien ou de la question du sionisme. « Nous ne sommes ni sionistes, ni antisionistes » disent certains. Ils s’ingénient parfois à accuser l’UJFP d’être la « caution juive des antisémites ». Ils traquent partout les paroles racistes chez Marx, chez Bakounine, chez Jaurès avant l’affaire Dreyfus, mais ils ne dénoncent jamais les paroles racistes de ceux qui prétendent parler au nom des Juifs, qu’ils soient français ou israéliens.

Quand ils viennent dans une manifestation soutenant la Palestine, ces groupes font état de propos antisémites qu’ils sont les seuls à entendre. D’autres tweetent que la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste) est en gros correcte. Cette définition, combattue par tout le mouvement de solidarité pour la Palestine et adoptée par une Europe complice de l’apartheid, a pour but de criminaliser toute critique de la nature du régime israélien.

Autrefois, les liens entre les Juifs français et Israël étaient moins forts qu’aujourd’hui. Au moment des manifestations contre la profanation du cimetière juif de Carpentras (1990), les coupables (l’extrême droite) étaient clairement désignés et il n’y avait pas de drapeau israélien. Dans les années qui ont précédé, le CRIF a été dirigé par Théo Klein, un homme particulièrement honnête et pluraliste.

Cette période est terminée.

Aujourd’hui, le CRIF est totalement inféodé au Likoud et aux colons. Il y a quelques années, l’ABSI (Association pour le Bien-être du Soldat Israélien) a fait une collecte pour « Tsahal » dans une synagogue. Quand j’étais jeune, l’image du Juif en France était liée à une communauté persécutée, à des résistants (mes parents étaient dans la MOI, bras armé des résistants communistes étrangers) et à l’extermination (que ma famille, comme bien d’autres, a subie). Elle est liée aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, à un État qui s’acharne à nier les droits du peuple palestinien et à détruire sa société.

Y a-t-il déconnexion entre l’antisémitisme en France et en Israël ? Les proches des victimes de crimes antisémites en France ne le pensent pas. Après la tuerie de Toulouse par Merah, la presse titrait : « le corps des victimes rapatriés en Israël ». Pour cette presse, les victimes étaient israéliennes. Et Ilan Halimi, sauvagement assassiné, a été inhumé à Givat Shaul, un faubourg de Jérusalem. Le symbole est un peu terrible parce que Givat Shaul touche Deir Yassine, le village palestinien emblématique de la guerre de 1948 (toute la population tuée par les milices de l’Irgoun et du groupe Stern).

Il n’est pas possible de lutter contre le racisme avec des racistes.

Alors comment lutter ?

Je terminerai en reprenant un passage de mon livre qui va paraître chez Syllepse « Contre l’antisémitisme et pour les droits du peuple palestinien »

Quand Leila Shahid (une diplomate palestinienne éminente), Dominique Vidal (un Juif français) et Michel Warschawski (un Juif israélien) sillonnent ensemble la France des quartiers populaires pour expliquer ce que l’occupant inflige aux Palestiniens et pour prôner le « vivre ensemble », elle et ils luttent contre l’antisémitisme.

Quand soixante lycéens israéliens annoncent publiquement qu’ils n’iront pas à l’armée à cause de la « politique sioniste de violence brutale envers les Palestiniens … », ils luttent contre l’antisémitisme.

Quand les journalistes israéliens Amira Hass et Gideon Levy, dénoncent inlassablement les crimes de l’armée israélienne, ils agissent contre l’antisémitisme. Grâce à eux, quand on se présente comme juif en Palestine, la réponse est « nous sommes contre l’occupation, nous n’avons rien contre les Juifs ».

Quand des jeunes Juifs des États-Unis s’engagent, au nom de leur judéité, dans le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), ils luttent contre l’antisémitisme.

Quand l’Union Juive Française pour la Paix s’engage avec des mouvements de Noirs, de Rroms, de musulmans en France, quand elle proteste contre la dissolution du CCIF, elle lutte contre l’antisémitisme. Quand ses militants interviennent dans les quartiers sur la Palestine et/ou sur le racisme et qu’on leur dit « on ne savait pas qu’il y avait des Juifs comme vous », ils luttent contre l’antisémitisme.

Quand les paysans de Gaza, avec l’argent d’une souscription menée par l’UJFP, construisent un château d’eau pour pouvoir vivre de leurs récoltes et nourrir leur population et inscrivent en haut UJFP, l’antisémitisme recule.

Pierre Stambul