Antisémitisme, antisionisme. La confusion entretenue.

Par Pierre Stambul. Publié initialement dans le Monde libertaire.

Les origines des Juifs, mythes et réalités.

La Bible n’est pas un livre d’histoire. L’avancée des découvertes archéologiques et des travaux historiques a permis d’aboutir aux connaissances suivantes : les Hébreux ne sont pas arrivés de Mésopotamie. Ils ne sont ni entrés ni sortis d’Égypte. Les épisodes d’Abraham et Moïse sont largement légendaires.
La conquête sanglante de Canaan par Josué, épisode sur lequel se fondent les colons de Cisjordanie pour justifier l’occupation et le nettoyage ethnique actuels, est légendaire. Les Hébreux sont un peuple autochtone, ils ne se sont pas conquis eux-mêmes.

Dans l’Antiquité, plusieurs peuples, plusieurs religions et plusieurs langues ont cohabité dans cette région. L’existence du royaume unifié est plus qu’incertaine. À l’époque présumée de Salomon et David, Jérusalem était un petit village de l’Âge de fer. Les deux premiers royaumes dont l’existence est attestée sont le royaume d’Israël, détruit en 720 av. J.-C. par les Assyriens et le royaume de Juda détruit par les Babyloniens en 586 av. J.-C. avec destruction du Temple et exode des « élites » à Babylone. Beaucoup d’historiens pensent que la Bible hébraïque a été essentiellement écrite pendant les 50 ans d’exil à Babylone.

La région sera plus tard soumise aux Perses, aux Grecs et aux Romains. Dès cette époque, la religion juive se diffuse dans de nombreuses régions.

L’exil des Juifs, après la destruction du deuxième temple de Jérusalem par l’empereur romain Titus en 70 apr. J.-C. (qui est à la base de la théorie sioniste de l’exil et du retour) n’est attesté par aucun témoignage ou chronique. Au moment de la guerre entre Byzantins et Perses au début du 7e siècle apr. J.-C, il y a encore de nombreux Juifs dans la région et ils joueront un rôle décisif.

La religion juive, pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne a été prosélyte. On trouve à cette époque des communautés juives dans tout l’empire romain, mais ce sont essentiellement des convertis.

Après la chute de l’empire romain, il y aura deux grandes vagues de conversion au judaïsme. Celle de plusieurs tribus berbères au Maghreb et celle de l’empire Khazar, empire turco slave entre Mer Caspienne et Mer Noire entre le 8e et le 10e siècle apr. J.-C . On doit donc considérer que les Juifs sont majoritairement descendants de convertis de différentes époques et différentes régions. Et que les descendants des Juifs de l’Antiquité sont essentiellement ceux qui n’ont pas bougé, les Palestiniens. Des peuples juifs vont se former (les peuples yiddish, séfarade, judéo-berbère, judéo-yéménite …) mais il ne semble pas pertinent de parler d’un peuple juif unique.

De l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial

Dans l’empire romain, plusieurs religions ont été en concurrence : culte d’Isis, culte de Mithra, judaïsme, christianisme (qui est au départ une dissidence du judaïsme), arianisme (qui est une dissidence du christianisme). Quand le christianisme l’emporte au 4e siècle ap JC, il s’en prend aux Juifs. Ceux-ci sont accusés d’être le peuple déicide, de commettre des crimes rituels, de vouloir dominer le monde. De nombreux métiers leur sont interdits, et surtout ils n’ont pas droit à posséder la terre. Ils sont enfermés dans des quartiers qui prendront plus tard les noms de juderia ou de ghetto. Dans les royaumes chrétiens, on va souvent leur confier les métiers interdits aux Chrétiens : la banque et l’usure. S’il y a eu quelques moments calmes dans l’histoire des Juifs européens, cette histoire est marquée par de nombreuses expulsions, des spoliations, des massacres (qui prendront plus tard le nom de pogroms) et l’expulsion d’Espagne (1492). L’inquisition pourchassera même les marranes, ces Chrétiens descendants de Juifs convertis (de force), inventant là la notion de « race » juive.

Et dans le monde musulman ? On trouve dans le Coran des passages contradictoires sur les Juifs. Mais ceux-ci ont bénéficié du statut de dhimmi (= protégé) avec d’autres « religions du livre » (chrétiens, zoroastriens). Ils n’ont pas eu la citoyenneté qui n’existait nulle part, ils payaient l’impôt à la différence des musulmans, mais ils n’ont jamais subi de massacres ou d’expulsions comme en Europe.

L’émancipation des Juifs européens commence en Allemagne, puis en France dès le 18 e siècle. Petit à petit, les Juifs sortent du ghetto. Ils acquièrent en France la citoyenneté. Les Juifs deviennent alors une minorité invisible, obstacle à la construction d’États ethniquement purs sur les ruines des empires déclinants. Vers 1850, plusieurs « théoriciens » (Gobineau, Chamberlain, Marr …) inventent les concepts de races aryenne et sémite. Cette époque voit aussi le développement des idées eugénistes. Et c’est le début d’un colonialisme triomphant qui répand l’idée, pour se justifier, que des peuples développés apportent la civilisation à des populations arriérées.

Le mot « antisémite » est une invention de l’ennemi (Wilhelm Marr), mais il s’imposera alors qu’il n’y a pas de race sémite et que les Juifs ne sont pas les descendants des Judéens de l’Antiquité.

La plupart des dirigeants européens seront gagnés par cet antisémitisme. Les stéréotypes de l’antijudaïsme chrétien demeurent, mais s’y ajoute le fait que les Juifs comploteraient pour dominer le monde (voir le Protocole des Sages de Sion, faux fabriqué par la police tsariste).

La situation des Juifs européens à la fin du 19 e siècle.

La majorité des Juifs du monde entier vit à cette époque dans un seul pays : l’empire russe. Cet empire compte 135 millions d’habitants au recensement de 1881 dont 6 millions de Juifs. Dans la « zone de résidence » (Pologne, Ukraine, pays Baltes …), ils forment 10% de la population. Les Juifs de cet empire sont massivement des prolétaires, ouvriers, colporteurs, artisans et ils vivent dans la misère.

Pour empêcher la montée des idées révolutionnaires, le régime tsariste va mener une politique antisémite ouverte et organiser des pogroms. Ces persécutions provoqueront une émigration massive vers l’Europe Occidentale et surtout vers l’Amérique (États-Unis, Argentine…). Face aux persécutions et à la misère, de nombreux Juifs abandonnent la religion et se rallient à des mouvements révolutionnaires. On trouvera des Juifs en nombre dans tous les courants (Bolcheviks, Mencheviks, Socialistes Révolutionnaires, Anarchistes …).

Il y aura même un parti révolutionnaire juif, le Bund, revendiquant l’autonomie culturelle sur place dans le cadre de la révolution. Ces Juifs pensaient que leur émancipation, comme minorité opprimée, passait par l’émancipation de toute l’humanité.

Les Juifs religieux « haredim » (orthodoxes) prônent la soumission aux autorités. Mais ils refuseront très majoritairement le sionisme pour des raisons religieuses. Pour eux, il est interdit de retourner en terre sainte avant l’arrivée du Messie.

En Europe Centrale et Occidentale, la situation sociale des Juifs est meilleure. La grande majorité des Juifs voudraient s’intégrer, mais il y a contre eux toute une série d’interdits sociaux ou professionnels. Pour les antisémites selon les mots d’Hannah Arendt, les Juifs sont des parias asiatiques inassimilables.

Les caractéristiques de l’idéologie sioniste

Il y a eu, dès le 17 e siècle, un sionisme chrétien dans le monde protestant anglo-saxon. Pour ces religieux, le retour des Juifs en terre sainte favoriserait le retour du Christ. Pour ces millénaristes, les Juifs devraient alors se convertir à la vraie foi, sous peine de disparition.

Le sionisme juif apparaît à la fin du 19 e siècle avec la parution du livre « L’État des Juifs » de Theodor Herzl, un bourgeois de l’empire austro-hongrois. Les sionistes considèrent que l’antisémitisme est inéluctable et qu’il est vain de vouloir le combattre. Le sionisme, dès le départ, est une théorie de la séparation qui affirme que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni dans le futur État juif. Du vivant même d’Herzl, sionistes et antisémites partagent le même but : qu’un maximum de Juifs quittent l’Europe. Cette idée sera violemment combattue, tant par les Juifs laïques que par les religieux.

Les sionistes imitent les nationalismes européens, ceux qui mèneront aux boucheries des deux guerres mondiales, en revendiquant le slogan simpliste et meurtrier « un peuple = un État ». Mais ce nationalisme est très particulier puisqu’il invente le peuple, la langue (les Juifs d’Europe orientale parlaient yiddish, il y avait d’autres langues juives, ladino, judéo-arabe. L’hébreu était réservé à un usage religieux) et la terre.

Le sionisme va s’appuyer sur les dirigeants antisémites de l’Europe et sur les grandes puissance coloniales pour entreprendre une conquête coloniale de la Palestine. Il s’agit là d’un colonialisme particulier qui ne vise pas à asservir le peuple colonisé, mais à le remplacer et à l’expulser. Les premiers colons sionistes vont acheter des terres à des féodaux absents pour expulser les métayers présents.

Le sionisme va entreprendre une gigantesque manipulation de l’histoire, de la mémoire et des identités juives en affirmant qu’après 2 000 ans d’exil, les Juifs font leur retour dans leur patrie. Les premiers dirigeants sionistes étaient agnostiques (comme Herzl) ou athées (comme Ben Gourion). Ils ont utilisé la Bible comme un livre de conquête coloniale. La blague qui se raconte à leur sujet, c’est « Dieu n’existe pas, mais il a donné cette terre au peuple juif ».

Le sionisme a été dès le départ négationniste sur l’existence, les droits et la dignité des Palestiniens. Ce mot était proscrit (on parlait des Arabes) et la Palestine était forcément « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » pour reprendre les mots d’Israël Zangwill.

C’est un dirigeant antisémite, Balfour, un chrétien sioniste, qui va leur donner la Palestine avant même que la Grande Bretagne ne l’ait conquise (1917). Il n’y a pas de contradiction entre le Balfour dénonçant les Juifs polonais venus prôner la révolution à Londres et le sioniste. Pour lui, les Juifs en émigrant devenaient des colons européens en Asie.

La construction d’une société séparée

On croit souvent à tort qu’Israël est une réparation après le génocide nazi.

C’est oublier que l’ensemble des institutions du futur État d’Israël, qui ont expulsé le peuple palestinien de son propre pays, ont été créées des décennies avant le génocide. La Banque Coloniale Juive date de 1898. Le Fonds National Juif, celui qui plante des arbres là où il y avait un village palestinien, date de 1901. Le syndicat Histadrout, fondé en 1920 a pour article n°1 de ses statuts la « défense du travail juif ». Sa première action, dès sa création, fut de lancer une grève sur le thème « boycottez les magasins arabes, achetez juif ». Déjà l’idée de la séparation. La Histadrout a fondé la compagnie de travaux publics Solel Boneh (qui construira plus tard les colonies), la compagnie de navigation Zim, la banque Hapoalim, la compagnie de bus Egged, les caisses de sécurité sociale (qui doivent des millions de shekels aux Palestiniens licenciés), la compagnie des eaux Mekorot (qui vole aujourd’hui l’eau aux Palestiniens) et même la Haganah, ancêtre de Tsahal. Le colonisateur britannique donnera à ces institutions et à l’Agence Juive le droit de quasiment tout gérer : l’éducation, la poste, la santé, les transports.

Les kibboutz, souvent cités comme exemple de socialisme, étaient interdits aux Palestiniens. La colonisation individuelle étant impossible, ils ont été essentiellement un instrument de conquête, y compris militaire. Ils ont été installés aux frontières, en Galilée où vivaient beaucoup de Palestiniens et en bordure du désert du Neguev. Aujourd’hui les cantines des kibboutz ont été privatisées, ils sont côtés en bourse et l’activité principale bien souvent n’est plus l’agriculture mais la fabrication de matériel militaire.

Le mouvement sioniste s’est divisé à partir de 1920. La majorité était plutôt social-démocrate. L’autre courant (qui a pris le nom de révisionniste) a été fondé par Vladimir Jabotinsky. Celui-ci a été, dès le départ, un admirateur du fascisme italien et c’est à Civitavecchia que se trouvait la radio des révisionnistes.

Les Palestiniens se sont révoltés à plusieurs reprises (1920, 1929 et 1936-39) en constatant que la colonisation sioniste avait pour but de les expulser. La Haganah et l’armée britannique les ont réprimés ensemble. La répression de 1936 fera 12 000 morts. Dès les années 1930, il y a un consensus dans les élites sionistes, tous courants confondus, sur le concept de « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain.

Beaucoup de Juifs sont arrivés en Palestine parce qu’ils ne savaient pas où aller. Il convient de distinguer la population juive de l’idéologie sioniste. En 1944, il y a des élections syndicales dans le « Yichouv », c’est-à-dire dans la population juive de la Palestine mandataire. 45 % se prononcent pour un État binational.

Mais l’idéologie sioniste avait prémédité de longue date l’expulsion des Palestiniens et ce courant pour le « vivre ensemble » disparaîtra aux premiers coups de feu de la guerre de 1948.

En Europe, le sionisme est resté minoritaire chez les Juifs jusqu’au déclenchement de la guerre, comme en témoignent les élections en Pologne et dans les pays Baltes où le Bund était en tête dans les zones à forte population juive. Pour le Bund, le sionisme, c’était le parti de la bourgeoisie.

Le génocide nazi

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les Juifs du monde entier se mobilisent contre le nazisme. Ils seront nombreux à s’engager pendant la guerre d’Espagne. Pourtant en 1933, les sionistes signent avec les autorités nazies les accords de Haavara (= transfert) qui permettent aux Juifs allemands de partir en Palestine avec leurs biens. Il y a des contreparties : qu’il n’y ait aucun boycott de l’Allemagne et que le Yichouv consomme les produits allemands. Cet accord durera jusqu’en 1939.

Il ne peut y avoir aucun doute sur l’ampleur du génocide nazi. Entre la « Shoah par balles » menée par les Einzatzgruppen et les camps d’extermination, il y a bien eu 6 000 000 de juifs exterminés. Quand Nétanyahou déclare qu’Hitler ne voulait pas tuer les Juifs et que c’est le grand Mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée, c’est une déclaration révisionniste (même si effectivement le mufti a été un collabo).

Il y a eu, dans l’Europe occupée une résistance juive, mais elle a été essentiellement communiste, bundiste et parfois sioniste. Quand les dirigeants israéliens évoquent aujourd’hui la révolte du ghetto de Varsovie, ils omettent volontairement de parler du bundiste Marek Edelman (commandant en second de l’insurrection), resté antisioniste jusqu’à sa mort (2009).

Les dirigeants sionistes du Yichouv, pendant l’extermination, ont continué de privilégier la construction d’un État juif sur toute autre considération. Pire, les révisionnistes qui avaient créé en 1937 un groupe terroriste, l’Irgoun (dirigé par Menahem Begin), ont déclaré la guerre à la Grande-Bretagne en 1939 quand celle-ci a fait cesser l’immigration juive en Palestine. Issu de l’Irgoun, le groupe Stern a continué d’assassiner des soldats britanniques jusqu’en 1944 et a même fait des offres de collaboration aux Nazis. Ce qui n’a pas empêché son dirigeant, Yitzhak Shamir, d’être Premier ministre d’Israël dans les années 1980-90. Pourquoi ne dit-on jamais qu’Israël a eu un Premier ministre collabo ?

Après la chute du nazisme, l’Europe va se débarrasser de sa responsabilité majeure dans l’antisémitisme et le génocide sur le dos des Palestiniens. Pour les rescapés, les puissances victorieuses n’ont offert qu’une seule destination possible : la Palestine mandataire. Ces rescapés vont jouer, souvent malgré eux, un rôle majeur dans la création de l’État d’Israël. Ils seront néanmoins fort mal accueillis. Les sionistes opposaient leur prétendue résignation face à la chambre à gaz au courage du soldat israélien combattant les Arabes.

La Nakba et le consensus mondial pour la création d’Israël

En 1988, l’ouverture des archives israéliennes a permis de confirmer ce que les Palestiniens avaient toujours dit : le nettoyage ethnique (Nakba = catastrophe) était prémédité et il a été accompagné de nombreux crimes de guerre, celui de Deir Yassin étant loin d’être un cas unique. Environ 800 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux. Les troupes sionistes connaissaient parfaitement les villages palestiniens. L’aviation et les exécutions sommaires ont joué un grand rôle. Le plan Daleth (la lettre D en hébreu) prévoyait une expulsion totale. Ceux qui ont pu rester sont quelque part des miraculés. La propagande sioniste affirme régulièrement que « les Arabes sont partis d’eux-mêmes » et que leur « armée est la plus morale du monde », ce qui est une forme de négationnisme absolu. Elle agite régulièrement la menace que les Juifs soient jetés à la mer. En 1948, les Palestiniens ont été jetés à la mer par dizaines de milliers à Jaffa, Haïfa, Ashkelon, Saint-Jean d’Accre …

La communauté internationale a une responsabilité énorme. Les deux nouvelles super puissances, les États-Unis et l’URSS, ont permis le vote du plan de partage de novembre 1947 à l’ONU (avec même « achat » de quelques votes).

Ce plan donnait 54 % du territoire au futur État juif alors que ceux-ci ne formaient qu’un tiers de la population. Aussitôt, la guerre éclate. L’embargo sur les armes fonctionne mais pas pour Israël qui recevra des armes, notamment venues des pays « communistes ». Dans le futur État juif, il y avait 400 000 Palestiniens. La quasi-totalité d’entre eux seront expulsés avant l’entrée en guerre des pays arabes voisins.

Dans cette deuxième phase de la guerre qui commence le 15 mai 1948, le déséquilibre des forces est clair, d’autant que chaque pays arabe se bat pour ses propres intérêts. Quand il y a l’armistice, les sionistes ont conquis 78 % de la Palestine, mais il n’y aura pas d’État palestinien, la Jordanie et l’Égypte annexant ce qui n’a pas été conquis.

L’ONU vote fin 1948 la résolution 194 exigeant le retour des réfugiés palestiniens. Que fait Israël ? Le nouvel État interdit ce retour. Il entreprend la destruction systématique des villages palestiniens, s’empare des terres et efface les noms arabes des lieux. Israël est pourtant admis à l’ONU avec la mention « qu’il respecte le droit international ». 

Les destructions de villages et les expulsions se poursuivront pendant des années. Les « Arabes » qui ont échappé à l’expulsion vivront sous couvre-feu jusqu’en 1966.

Les sionistes s’insurgent régulièrement en disant que la « légitimité » d’Israël est indiscutable. La Nakba n’est pas et ne sera jamais légitime.

L’antisémitisme après la deuxième guerre mondiale

La défaite du troisième Reich n’a pas signifié celle des idées brunes. L’antisémitisme n’a pas disparu. Il réapparaît vite dans les pays de l’Est où, à chaque purge dans les années 1950, ce sont les dirigeants juifs qui sont éliminés en premier, accusés de « cosmopolitisme » ou de « sionisme ». Dès lors, les Juifs d’Europe orientale, qui avaient cru au communisme, aspireront à partir et ils le feront dès que ce sera possible. Ce sera massif à la chute de l’URSS.

En France, les nostalgiques du régime de Vichy relèveront vite la tête et des journaux ouvertement antisémites représenteront cette extrême droite : Rivarol, Minute. Le mouvement poujadiste aura aussi des relents antisémites. Mais curieusement, va aussi apparaître un antisémitisme « de gauche », voire « d’extrême gauche ». C’est Paul Rassinier, ancien déporté à Buchenwald, député SFIO puis prétendument libertaire (avant d’être démasqué), qui lancera ce courant en mettant en doute l’existence de la solution finale. Ce révisionnisme sera alimenté plus tard par une librairie du quartier latin, anciennement d’extrême gauche : la Vieille Taupe.

La propagande sioniste affirme aujourd’hui que les violences contre les Juifs en France viennent des « quartiers » (« perdus de la république » pour reprendre les termes utilisés) et des musulmans. Avant l’importation d’un terrorisme lié à Al Qaida ou à l’État islamique, les manifestations antisémites en France ont essentiellement été liées à l’extrême droite (cimetière de Carpentras, déclarations de Le Pen sur le point de détail de l’histoire …). Aujourd’hui, Soral et Dieudonné font un très sale boulot en reprenant le thème « juif = sioniste ».

Il y a urgence à démonter cet essentialisme meurtrier qui alimente toutes les formes de racisme et de complotisme.

En Israël, les vainqueurs de la guerre de 1948 se retrouvent dans un pays sous-peuplé et sans prolétariat. Tout va être utilisé pour vider le monde arabo-musulman de ses Juifs misrahim (orientaux) ou séfarades (descendants des Juifs chassés d’Espagne). Il n’y avait pas de tradition de violences antijuives dans ces pays. Des bombes font sauter plusieurs synagogues à Bagdad vers 1950 et la grande majorité des Juifs irakiens partent en Israël. En 2003, un ancien agent du Mossad (Ben Porat) confirme ce que les historiens savaient : l’origine israélienne de ces attentats. Au Yémen, les Juifs étaient des Arabes judaïsés il y a plus de 2 000 ans. Selon leurs croyances, le Messie viendrait les chercher sur ses ailes. Les sionistes sont venus en avion et la communauté a disparu. Au Maroc où 5 % de la population était juive, le sultan s’était opposé à ce que les Juifs portent l’étoile jaune malgré les ordres du régime de Vichy. Une campagne intensive de propagande de l’Agence Juive va vider le Maroc de ses Juifs. Dans plusieurs villes ou villages, il y a aura des manifestations pour qu’ils ne partent pas. En Égypte, en Syrie ou au Liban, les guerres menées par Israël n’ont laissé aucune chance pour que les communautés juives restent. Ces Juifs orientaux connaîtront vite un autre aspect du sionisme : le racisme et les discriminations à l’intérieur de la société juive israélienne. Et l’obligation de se débarrasser de leur « arabité ». La situation sera encore pire pour Juifs éthiopiens qui sont noirs.

Il faut donc comprendre que le projet principal du sionisme n’est pas de protéger les Juifs contre l’antisémitisme. Il est de les faire partir en Israël. En ce sens, antisémites et sionistes partagent le même projet de séparation. Chaque acte d’antisémitisme, n’importe où sur la planète, a provoqué une nouvelle vague d’émigration. L’antisémitisme n’est pas seulement criminel , comme toutes les autres formes de racisme : les antisémites qui se disent pro palestiniens commettent des actes qui favorisent la colonisation sioniste. Ça a été le cas quand Ahmadinejad a organisé une « conférence sur l’holocauste » à Téhéran avec le ban et l’arrière ban de tous les négationnistes.

Aujourd’hui, les dirigeants israéliens n’ont plus aucun complexe à s’afficher avec tout ce que le monde compte de racistes et de fascistes : Trump et ses Chrétiens sionistes, Bolsonaro, Salvini, Orban qui réhabilite le régime du Maréchal Horthy, responsable de l’extermination des Juifs hongrois, les dirigeants polonais qui interdisent par la loi qu’on rappelle la complicité de certains Polonais pendant le génocide, le parti néo-nazi autrichien qui compte six ministres, les partis baltes qui organisent régulièrement des défilés d’anciens des Waffen SS … Cette extrême droite reprend la tradition historique des années 1900 où les dirigeants européens antisémites approuvaient ces sionistes qui allaient les débarrasser de leurs Juifs et conquérir le Proche-Orient.

C’est avec ces gens-là que Macron et d’autres dirigeants occidentaux confondent sciemment antisionisme et antisémitisme.

De « l’État juif » à l’apartheid décomplexé.

Les sionistes disent qu’Israël est un État juif et démocratique. Et que c’est la seule démocratie du Proche-Orient.

Juif et démocratique, c’est un oxymore. Dans un État juif, la terre est juive. Les Juifs en possédaient 8 % à la veille de la guerre de 1948, ils en auront 92 % après et 97 % aujourd’hui (dans les frontières d’avant 1967). Sur la carte d’identité, pour les non Juifs, est apposée la mention « musulman », « chrétien », « druze », « bédouin » mais surtout pas palestinien. L’ancienne dirigeante Golda Meir avait expliqué que les Palestiniens, ça n’existe pas.

C’est la définition religieuse qui sera adoptée pour savoir qui est juif/ve. On est juif parce qu’on a une ascendance juive du côté de la mère, ou parce qu’on s’est converti. Une application très souple permettra à des centaines de milliers de soviétiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec le judaïsme de partir et parfois de devenir colons.

Les non Juifs qu’il serait plus exact d’appeler les Palestiniens de 1948 subissent le plus légalement du monde toute une série de discriminations à l’emploi (la plupart des métiers de l’énergie, de la sécurité, des transports et en général de la fonction publique leur sont interdits) et au logement. Alors que le taux de pauvreté est de l’ordre de 10-15 % chez les Juifs israéliens, il dépasse largement les 50 % chez les Palestiniens d’Israël.

Ceux-ci ont subi le massacre de Kafr Qassem (49 paysans tués en 1956 parce que l’heure du couvre-feu avait changé sans que cela leur soit dit). En 1976, une révolte générale a éclaté contre le vol des terres en Galilée. Cet événement est commémoré par la journée de la terre.

Quant à la « seule démocratie du Proche-Orient », on se retrouve depuis 1967 dans la situation suivante. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a 50 % de Juifs israéliens et 50 % de Palestiniens. Ce qui permet la domination absolue des premiers sur les seconds, c’est la fragmentation voulue de la Palestine : Cisjordanie, elle-même balkanisée en trois zones aux statuts différents et mangée par la colonisation, Jérusalem-Est où les Palestiniens ont un sous-statut de « résident » qu’on essaie de leur enlever, Gaza, véritable cage où deux millions de personnes sont retirées du monde. Il faudrait ajouter à tout cela les prisonniers (40 % de la population masculine a connu la prison depuis 1967) et les réfugiés. S’il y avait démocratie avec droit de vote pour tou.te.s, ce système de colonisation et d’apartheid serait impossible. 

Quand on critique radicalement l’idéologie sioniste, on entend souvent l’objection suivante : le sionisme a créé l’État d’Israël. Maintenant qu’il existe, c’est de l’histoire ancienne. Erreur absolue. On ne comprend pas le rouleau compresseur colonial actuel, le racisme débridé, le développement des idées suprématistes et le rapprochement avec l’extrême droite si on ne comprend pas que le projet sioniste est plus que jamais à l’œuvre.

Les deux grands courants du sionisme se sont partagé le travail depuis 1948. Les travaillistes étaient aux commandes lors de la Nakba, de l’arrivée des Juifs orientaux ou de l’expédition impérialiste de 1956. Le travail des historiens a modifié ce qu’on sait sur la guerre de 1967. Israël n’était pas menacé d’anéantissement. Le projet israélien de conquête de toute la Palestine historique existait depuis des années, Ben Gourion avait dit dès 1948 qu’il « faudrait finir le travail ». Sitôt cette conquête réalisée, c’est un ministre travailliste, Yigal Allon qui a conçu les plans de colonisation et annexé Jérusalem Est. Comme les travaillistes ne disposaient pas de militants prêts à partir coloniser la Cisjordanie, ils se sont adressés au seul courant religieux sioniste (minoritaire chez les religieux à l’époque), les disciples du rabbin Kook. Le ralliement des religieux à la colonisation a été un point de départ de la fascisation du pays, en tout cas du fait que les droits et même la vie des nouveaux dominés n’avaient aucune importance. Puisque Dieu a donné cette terre au peuple juif, puisqu’on refait ce qui est décrit dans le livre de Josué, pourquoi se gêner ?

Les descendants idéologiques de Jabotinsky (Begin puis Shamir) qui arrivent au pouvoir en 1977 sont déjà idéologiquement majoritaires. Ils ont l’appui des religieux et des Juifs orientaux qui pensent se venger ainsi des discriminations qu’ils subissent. Au moment de Sabra et Chatila (1982), les milliers de manifestants qui ont protesté en Israël ont donné le mince espoir qu’Israël devienne un État normal, acceptant de vivre avec ses voisins. La société israélienne hésitera. Répression féroce de la première Intifada puis signature des accords d’Oslo. Certains ont voulu croire à cette époque qu’il existait un sionisme à visage humain incarné par Rabin. Quand on examine de près les accords d’Oslo, la seule chose réelle qui a été signée, c’est l’obligation pour l’occupé d’assurer la « coopération sécuritaire » au profit de l’occupant. Dans les 26 mois qui séparent Oslo de l’assassinat de Rabin, celui-ci installe 60 000 nouveaux colons. De quelle paix s’agissait-il ?

25 ans se sont écoulés. Plus personne ne peut ignorer l’apartheid. Pour ceux qui doutent de ce mot, je conseille une visite à Hébron, où tous les jours, quelques centaines de colons fous de Dieu caillassent les enfants palestiniens qui vont à l’école et déversent leurs ordures dans la rue palestinienne sous la protection de 2 000 soldats. Le projet initial du sionisme, transformer les Palestiniens, comme cela s’est fait pour les Amérindiens ou les Aborigènes, en population enfermée dans sa réserve, rendue incapable de réclamer ses droits, est à l’œuvre.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme ou comment faire accepter l’ethnocide en cours.

On est donc aujourd’hui dans une situation absurde, où un État raciste veut faire taire les critiques au nom de l’anti-racisme. Le sionisme a installé au Proche-Orient un morceau d’Occident qui concentre, même s’il n’en a pas le monopole, le racisme, l’apartheid, le militarisme, le suprématisme et les technologies de pointe de répression. Comment empêcher que cela ne soulève partout dans le monde une vague de protestation, à l’image de celle qui a fini par se déclencher comme les tenants de l’apartheid en Afrique du Sud ?
Ils ont trouvé sans peine. Comme le dit sans honte Macron, « l’antisionisme est l’une des formes modernes de l’antisémitisme ».

C’est le dirigeant du CRIF, ancien membre du Bétar (une milice violente d’extrême droite), qui lui a soufflé cette idée lumineuse.

Il faut dire qu’une telle affirmation est une obscénité. La mémoire des révolutionnaires juifs, des résistants, du ghetto de Varsovie, d’Abraham Serfaty et de bien d’autres est confisquée par des racistes d’extrême droite qui poussent jusqu’à la caricature la ressemblance idéologique avec les bourreaux d’hier.

L’Europe se débarrasse de sa responsabilité dans l’antisémitisme et le génocide nazi en adoubant des suprématistes.

Bien sûr, l’antisémitisme demeure. En France, il a tué. Merah, l’hypermarché casher … Il n’est pas la seule forme de racisme meurtrier. Les Arabes, les Roms, les Noirs subissent régulièrement discriminations, humiliations, assassinats et violences policières. Les médias s’en préoccupent moins.

Finkielkraut peut reprendre les pires stéréotypes antisémites contre les Noirs et les habitants des quartiers (« ils n’aiment pas la France »), les médias ne parleront que d’antisémitisme quand il est insulté. De lui on dira juste qu’il est « controversé ».

Pour l’antisémitisme, s’est ajoutée à la traditionnelle détestation du Juif par l’extrême droite, la confusion systématique et voulue entre juif et sioniste.
Les antisémites qui s’en prennent aux Juifs en prétendant défendre la Palestine ne sont pas seulement « immoraux », ils rendent le plus grand service à ce qu’ils prétendent combattre.

Plus que jamais, combattre le sionisme qui est une idéologie criminelle contre les Palestiniens et suicidaire pour les Juifs, est une nécessité. Être antisémite a été, est et sera toujours un crime. 

Pierre Stambul

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