Allocution de Pierre Stambul au meeting « Antisionisme – antisémitisme : à qui profite l’amalgame ? » Toulouse – 9 juin 2015

Bonsoir à toutes et à tous, peut-être avant de parler de ce qui m’est arrivé aujourd’hui, je voudrais dire quelques mots d’abord à la mémoire de Claire Mialhe, qui a été pendant très longtemps l’Union juive française pour la paix dans cette région, que sans doute beaucoup d’entre vous ont connue et qui nous a quittés il y a quelques années. Je voulais aussi dire que je sais que nous sommes dans la ville de Merah, et je veux exprimer mon respect et ma tristesse pour toutes les victimes.

J’avais prévu, avant ce qui m’est arrivé cette nuit, de commencer avant mon intervention un peu classique sur le sionisme et l’antisémitisme par lire un texte qui est assez court, que je vais vous lire, parce qu’il est une réponse à la série de menaces que nous avons eues depuis quelques jours. Depuis quelques jours, nous avions, à Montpellier, une manifestation de la LICRA et du B’nai Brith contre BDS 34 avec une demande d’interdiction des stands BDS dans la ville et nous avions un site d’extrême droite sioniste, JSSnews, qui est détenu par un milliardaire franco israélien depuis Jérusalem, qui avait lancé un appel à venir par covoiturage empêcher cette réunion par tous les moyens, et puis depuis hier, il y avait sur la page de la ligue de défense juive, la LDJ, groupuscule fasciste, un appel explicite à empêcher la réunion de l’immonde Stambul.

Voilà un petit peu ce que j’avais prévu de dire, et après je vous parlerai de mon agression. Je veux parler de ceux qui considèrent que le BDS est antisémite, de la LICRA, de B’nai Brith, de JSSnews et bien sûr du CRIF. Ils considèrent que critiquer Israël est antisémite. Vous les avez entendus s’exprimer sur les victimes civiles à Gaza et en particulier des 500 enfants tués pendant « Bordure protectrice » ? Non, bien sûr. Vous les avez entendus sur les villages des Bédouins du Néguev régulièrement détruits, sur les 800 000 Palestiniens qui ont connu la prison depuis 1967, sur l’occupation, la colonisation, l’apartheid, les crimes de guerre ? Ils approuvent. Ils disent combattre le racisme. Vous les avez entendus critiquer le rabbin de Safed qui dit que les Palestiniens sont des Amalécites et que la Torah autorise qu’on les tue tous avec leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux ? Vous les avez entendus critiquer la nouvelle Ministre de la justice – entre guillemets – israélienne Ayalet Shaked qui propose qu’on tue les mères palestiniennes, puisqu’elles mettent au monde des terroristes ? Vous les avez entendus soutenir les Falachas, les Juifs éthiopiens, qui ont manifesté à Tel-Aviv aux cris de : « En Europe, on a tué des Juifs parce que Juifs, ici on les tue parce que Noirs ».

Je vais dire quelques mots, je m’adresse aussi aux sionistes. Mes parents étaient des Juifs membres de la MOI, la main-d’œuvre immigrée, les résistants étrangers du parti communiste. Ma famille maternelle a été exterminée. Mon père membre du groupe Manouchian a été déporté à Buchenwald. Il faut que vous sachiez qu’à cette époque, Itzhak Shamir, qui sera plus tard pendant sept ans Premier ministre d’Israël faisait assassiner des soldats britanniques. Ce n’était pas seulement un terroriste, c’était aussi un collabo. L’émancipation des Juifs en tant que minorité persécutée est indissociable de l’émancipation de l’humanité. La lutte contre l’antisémitisme est indissociable de la lutte contre tous les racismes, ceux qui frappent les musulmans, les Roms, les Noirs, les Arabes. Face au génocide nazi, il y a ceux qui pensent qu’il faut traquer tout ce qui a poussé à cette horreur pour que ça n’arrive plus jamais. La lutte contre la barbarie est universelle. Et puis, il y a la version tribale, la version sioniste de ceux qui disent : que cela ne NOUS arrive que jamais, et évidemment, ça veut dire tout à fait le contraire. Et ceux là prétendent que le génocide nazi autorise que les Palestiniens payent indéfiniment pour l’antisémitisme européen. Les sionistes ne défendent pas les Juifs, ils les mettent en danger en les sommant d’être complices d’une politique criminelle et en considérant comme traîtres les juifs qui restent fidèles à des traditions juives séculaires, qui se sont opposés au racisme et à l’exclusion. Pire, vous avez entendu, Netanyahu est venu en France expliquer aux Français juifs qu’ils sont étrangers ici et que leur pays, c’est Israël. Seuls les pires antisémites s’étaient permis de nous traiter d’étrangers. Ceux qui prétendent traquer l’antisémitisme ont été bien silencieux sur ce coup-là. Alors oui, à l’Union juive française pour la Paix, en participant à la campagne BDS France, nous sommes totalement fidèles aux Juifs qui ont combattu partout le fascisme, le racisme, le colonialisme et l’injustice. Et le BDS est en train de remporter de très grandes victoires et de casser l’image de cet État voyou.

Je vais maintenant vous raconter ce qui m’est arrivé. Je vous l’ai dit, il y avait depuis quelques jours des menaces incessantes venant de JSSnews, venant de la LDJ et puis il y avait un précédent, il y a deux mois, l’autre coprésident de l’UJFP, Jean-Guy Greilsamer, a subi exactement la même agression. Trois jours après, c’était Pessi Borell, militante de l’UJFP et de BDS France, et puis ça a été Bénédicte Bauret, qui est élue Front de gauche à Mantes la Ville. À chaque fois, Ulcan, puisque c’est lui, Grégory Chelli, procède de cette façon, c’est probablement un membre de la LDJ, un sioniste d’extrême droite réfugié en Israël et qui pirate votre numéro de fixe et qui se fait passer pour vous en téléphonant à la police avec votre numéro. Et donc ce matin, il m’a téléphoné à 23 heures, d’abord j’ai pas décroché, et puis je me suis dit, ils vont m’empêcher de dormir, parce que je pensais bien que c’était eux, donc j’ai pris mon téléphone et puis je l’ai laissé – lui il a raccroché tout de suite sans me parler – et l’ai laissé le téléphone décroché, ce qui était sans doute une erreur, je n’aurais pas dû faire ça. Et en tout cas, Grégoire Chelli avait eu le temps de pirater mon numéro de téléphone, il a téléphoné à la police en disant : je suis Pierre Stambul, je viens de tuer ma femme, je vais tuer tout le monde, si vous approchez, je vous tire dessus, ça c’était probablement vers une heure du matin qu’il a téléphoné ça à la police.

A 3h50, j’ai entendu du bruit et mon nom donc je suis sorti dehors, le RAID, les robocops avaient tout cassé pour rentrer dans le lotissement où j’habite, ils avaient déjà maîtrisé plusieurs voisins, il les avaient braqués avec des armes et tout et dès que j’ai dit qui j’étais ils se sont précipités à 10 sur moi, ils m’ont plaqué à terre, ils m’ont frappé, ils m’ont insulté, ils m’ont tutoyé donc j’ai subi le sort que nos frères immigrés et nos frères issus de l’immigration subissent quotidiennement de la part de cette police et j’ai été menotté avec ces menottes qui se serrent dès qu’on bouge un tout petit peu, ça a duré un quart d’heure, impossible de leur parler, le responsable, bien entendu, n’était pas là, ma compagne était séquestrée dans sa chambre et ne pouvait pas sortir et donc le prétexte était que je l’avais tuée, elle était parfaitement vivante à quelques mètres de là ! Je suis resté menotté pendant une heure, j’ai été transféré à la police nationale du huitième arrondissement de Marseille. Et là c’est pire,c’est-à-dire que, sans vous entendre, on vous met en isolement dans une cellule où ça pue la pisse, c’est dégueulasse et tout, vous ne pouvez parler à personne et au bout de trois heures, on m’a entendu, j’ai tout expliqué, j’expliquais que c’était Ulcan, j’ai expliqué les menaces, on tombe sur des flics qui ne comprennent rien à rien, pour ça, ils sont complètement ignares, pour cela, il n’y avait qu’à voir ce qu’ils arrivaient à écrire sur le procès-verbal, et ça mettra encore trois heures pour vérifier mes dires, autrement dit j’ai été une heure menotté et sept heures en garde à vue.

Bon. Ça fait partie du jeu, j’ai envie de dire que les sionistes le paieront extrêmement cher, au vu de ce que j’ai entendu, une vingtaine d’organisations nationales ou locales, des partis politiques, des syndicats, des associations des droits de l’homme, des associations de citoyens et tout ont publié des communiqués nationaux aujourd’hui, il y a des comités de soutien qui viennent de partout. Il semblerait que le préfet des Bouches-du-Rhône s’excuse, j’ai exigé une entrevue, des excuses et des dédommagements pour les portes enfoncées et pour les dégâts physiques, et voilà ; cette salle est bien remplie, donc on va pouvoir mener notre œuvre de dénonciation d’une idéologie extrêmement dangereuse, le sionisme, et je vais vous donner ce soir une critique juive du sionisme.

Je commencerai d’abord, parce que je ne sais pas si tout le monde ici connaît la situation en Palestine. La Palestine, ça pourrait paraître très simple : aujourd’hui, entre Méditerranée et Jourdain, il y a 12 millions d’habitants, 6 millions de Juifs israéliens, 6 millions de Palestiniens, et les Palestiniens sont en train, de façon irréversible, de devenir majoritaires. Comment une telle domination est possible, parce que quand on regarde, dans les faits les Juifs israéliens possèdent tout, le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir militaire bien évidemment, la terre, l’eau, toutes les richesses. C’est que les Israéliens ont totalement fragmenté la société palestinienne en autant de sous-statuts avec des modes de domination différents. Je ne m’étendrai pas longuement là-dessus. La Cisjordanie où vivent 2 300 000 Palestiniens et 400 000 colons si j’enlève Jérusalem Est, est elle-même fragmentée en trois zones, zone A, zone B et zone C, la zone C étant littéralement annexée. En Cisjordanie c’est l’apartheid le plus total, vous avez le mur de séparation, pour reprendre le langage sioniste, plutôt la barrière de l’apartheid, vous avez maintenant les bus séparés, vous avez les routes pour Palestiniens et les routes pour colons, quand vous allez dans une ville palestinienne elles sont toutes encerclées sur 360° par les colonies – peut-être à l’exception de Jénine au nord – et les Palestiniens de la zone A vivent dans ce qui est le modèle de la vie des Palestiniens pour le sionisme, c’est-à-dire au choix la réserve indienne ou le bantoustan encerclé dans les zones qui sont trop densément peuplées pour être annexées.

Jérusalem Est, c’est aujourd’hui, les Palestiniens sont de justesse majoritaires dans ce qui devrait être théoriquement d’après les accords d’Oslo la capitale de leur Etat, mais aujourd’hui il y a une judaïsation à marche forcée de Jérusalem Est, des nouveaux quartiers entiers ont été construits avec des jolis noms bibliques, Ramot, Atarot, Pisgat Zeev, reliés à Jérusalem Ouest par un tramway français, merci Alstom ; Har Homa, qui était une splendide forêt entre Jérusalem et Bethléem et qui a été aujourd’hui transformé en colonie.

Il faut savoir que même à Jérusalem Ouest en 1948 un nettoyage ethnique total avait eu lieu, le village martyr de Deir Yassin, celui qui a été le principal, le lieu du plus grand crime de guerre commis par les troupes israéliennes le 9 avril 1948, fait partie aujourd’hui de Jérusalem Ouest, les Israéliens ont poussé l’impudence jusqu’à construire un nouveau quartier qui s’appelle Givat Shaul sur les ruines de Deir Yassin. C’est sur le territoire de Givat Shaul qu’a été construit le musée Yad Vashem, le musée de la Shoah, voyez le symbole, que le tunnel routier qui passe sous Givat Shaul s’appelle tunnel Menahem Begin, du nom de l’assassin, et c’est au cimetière de Givat Shaul qu’ont été enterrées les victimes de l’attentat antisémite de la porte de Vincennes, vous voyez toujours les symboles de cette annexion à marche forcée.

Je continue un petit peu dans l’apartheid israélien. Gaza, où ma compagne Sarah a vécu un an et demi, j’ai pu y rester trois jours fin 2013, Gaza c’est un laboratoire à ciel ouvert, 1 800 000 habitants, encerclés complètement, vivant un blocus qui est un véritable crime de guerre, privés de tout en quantité suffisante, manquant d’alimentation en quantité suffisante, électricité quatre heures par jour, la nappe d’eau complètement envahie par l’eau de mer donc manque d’eau, la plupart des usines ont été pulvérisées, plus de dessalement de l’eau de mer, plus de traitement des égouts, donc une situation terrible d’un point de vue sanitaire, Gaza ou même en période de paix les Israéliens ont tué 150 paysannes et paysans et des milliers d’ânes dont le grand tort était d’être le long de la barrière dite de sécurité pour reprendre le langage sioniste, Gaza où les pêcheurs ont été tués parfois à quelques kilomètres des côtes pour affamer la population de Gaza et pour rendre impossible une vie décente dans ce qui est devenu une espèce de représentation symbolique du ghetto, j’en parle en tant que Juif. Gaza où, vous le savez, à plusieurs reprises des massacres de grande ampleur ont lieu, pendant « Bordure protectrice » des milliers de tonnes de bombes et d’explosifs ont été lancés sur Gaza, et immédiatement après le gouvernement américain a allongé 2,5 milliard de dollars à Israël pour refaire son stock de munitions.

Je continue dans l’apartheid israélien, n’oubliez jamais les Palestiniens de 48, les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël. Eux-mêmes se définissent comme des rescapés parce qu’on sait maintenant, il y a eu l’ouverture des archives des historiens,on sait que le plan en 1948 qui s’appelait le plan Dalet était d’expulser tous les Palestiniens. Il y a eu pour différentes raisons – présence de troupes anglaises, présence de fortes populations chrétiennes – un certain nombre de Palestiniens qui ont pu rester, ils représentent aujourd’hui 23 % de la population israélienne, ce sont des citoyens de seconde zone qui de façon parfaitement légale dans un Etat juif sont privés de la terre, quand on fête la journée de la terre le 30 mars, c’est pour célébrer une révolte des Palestiniens de Galilée contre le vol de leurs terres, ils sont privés de droit au logement, ils sont parqués dans certaines zones, et n’ont pas droit de construire et quand il y a augmentation de la population ils s’entassent dans des appartements. Le taux de pauvreté chez les Juifs israéliens tourne autour de 10 à 15 %, le taux de pauvreté chez les Palestiniens d’Israël tourne entre 50 et 60 %. Parmi ces palestiniens d’Israël, ceux qui vivent le pire scandale, ce sont les Bédouins du Néguev, eux ils ont des terres, ils sont là depuis des centaines d’années, ils avaient des droits de propriétés attestés par l’empire ottoman. Israël petit à petit les a d’abord parqués en 1948 dans le triangle du Siyag au nord du Néguev, entre Beersheva, Dimona et Arad. Les Bédouins sont sortis des HLM ou les avait parqués, ils ont essayé de récupérer leur terre, toute leur terre avait été confisquée par les kibboutz et les moshavs, et donc, ces Bédouins qui sont citoyens israéliens, plusieurs dizaines de milliers d’entre eux habitent dans des villages non reconnus. Non reconnus veut dire sans eau, sans électricité, sans école, sans routes et surtout sans le droit de construire en dur, et dès qu’ils construisent en dur, on détruit, le village d’al Araqib à 7 km de Beersheva a eu au moins 84 destructions, à moins qu’il y en ait eu une 85e depuis que je parle.

Et enfin n’oubliez surtout jamais quand vous parlez de la Palestine, les réfugiés et les prisonniers. Les réfugiés : la Palestine est un peuple de réfugiés. Le crime fondateur de cette guerre, c’est l’expulsion de la grande majorité des Palestiniens de leur propre pays en 1948. Aucune paix ne sera possible sans la reconnaissance et la réparation de ce crime. Et donc aujourd’hui les réfugiés et leurs descendants, quatre millions et demi d’entre eux ont la carte de l’UNRWA, l’office des Nations unies, une partie de ces réfugiés vivent dans des camps en Cisjordanie ou à Gaza, d’autres dans des camps en Jordanie, en Syrie et au Liban. Ils ont été littéralement été abandonnés par l’ONU, ceux qui sont dans les territoires occupés ont dû tout construire par eux-mêmes, ils ont vécu dans des conditions ignominieuses et dans des tentes, et quand on trouve maintenant dans ces camps de réfugiés je pense à Deisheh, à Aïda et tout, des écoles, un très grand taux de scolarisation, des centres sociaux, une grande entraide et tout, c’est eux qui ont tout construit par eux-mêmes, ils sont restés abandonnés. Les Palestiniens réfugiés dans les pays voisins, si les peuples arabes ont été solidaires, les régimes arabes ont été écœurants avec eux, ils les ont trahi dès 1948, le régime jordanien a massacré 30 000 Palestiniens au moment de Septembre Noir en 1970, le régime syrien est responsable du massacre de Tel el-Zaatar dans la guerre du Liban et de l’exil de l’OLP en Tunisie ; au Liban, et jusqu’à aujourd’hui, il y a des discriminations terribles contre les réfugiés palestiniens.

Et les prisonniers, le chiffre qui est le plus parlant : 800 000 palestiniens ont connu la prison depuis 1967. Tous les partis politiques, sans aucune exception, ont été touchés ou sont touchés parce que les Israéliens ne veulent pas de partenaire pour la paix, quand ils en ont un, ils le maltraitent, ils l’emprisonnent ou ils le tuent. Vous avez les cas emblématiques de Marwan Barghouti, membre du Fatah, de toute la direction politique du FPLP, dont le secrétaire général Ahmed Saadat condamné à la prison à vie et de 21 élus, maires ou députés du Hamas et d’autres partis, le djihad islamique et tout, sont touchés.

Donc je vous ai fait un exposé assez bref ici d’une situation, qui serait complètement insupportable, et donc, on va essayer de comprendre aujourd’hui pourquoi le peuple palestinien, à l’exception bien sûr de la solidarité qu’on sent ici ce soir, est abandonné, pourquoi en tout cas la communauté internationale accompagne ce sociocide absolument infâme et derrière toute cette question il va y avoir les questions du sionisme, parce que je suis de ceux, et nous sommes de plus en plus nombreux à l’UJFP, qui pensons qu’aucune paix n’est possible sans l’égalité des droits et la justice, et une paix fondée sur l’égalité des droits et la justice, ça veut dire la fin du sionisme, rupture avec le sionisme, post-sionisme, de la même façon qu’aucune paix juste n’était possible en Afrique du Sud avec le maintien de l’apartheid, et on sait que la fin de l’apartheid est loin d’avoir tout résolu en particulier sur les problèmes sociaux, aucune paix n’est possible avec le sionisme et c’est ce que je vais essayer de vous expliquer ce soir et c’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans un de mes livres sur le sionisme.

Alors comment définir le sionisme ? C’est une réponse à l’antisémitisme, donc on est un peu obligé de parler d’abord, et c’est un des thèmes du débat de ce soir,de l’antisémitisme et de ce que ça a été. L’antisémitisme ça peut déjà dire, c’est quoi les juifs et d’où ils sortent. Il faut savoir déjà que le discours biblique sur les juifs, Abraham, Moïse, la conquête sanglante de Canaan par Josué, Salomon et son grand temple, David, sont des discours légendaires, il n’y a pas de trace historique de cela. La première trace historique des Hébreux, elle est donnée par la stèle de Meneptah, c’est une stèle des Egyptiens, elle date de 1200 av. J.-C.et à l’époque présumée du grand temple de Salomon, Jérusalem était un petit village de l’age du fer, donc il n’y a pas eu le grand temple et tout. Autrement dit, quand Israël dit « nous reconstituons le Royaume unifié de Salomon et David », les historiens s’accordent à peu près à dire que ce royaume unifié n’a jamais existé et que David aujourd’hui, à Jérusalem, à Silwan, dans un quartier de Jérusalem Est, on expulse les Palestiniens au nom du roi David, on construit le parc du roi David, le musée du roi David, sauf que le roi David, si jamais il a existé, c’était un conducteur de troupeaux mais le grand temple et le grand royaume, ça c’est sûr que ça n’a pas existé. De même, les colons de Cisjordanie disent « Dieu nous a donné cette terre » et ils font référence au passage de la Bible qui parle de la conquête sanglante de Canaan par Josué. Là, les historiens s’accordent à dire que les Hébreux sont un peuple autochtone, qu’ils ne se sont pas conquis eux-mêmes, que les trompettes n’ont pas sonné à Jéricho, en tout cas que ce qui est la justification pseudo-historique des colons ultra intégristes de Cisjordanie est quelque chose d’historiquement totalement inventé. Les sionistes disent en gros qu’en 70 après J.-C., quand l’empereur Titus détruit le temple de Jérusalem, des centaines de milliers, des millions – disent-ils – de juifs seraient partis un petit peu partout en Méditerranée et qu’après 2000 ans d’exil et grâce aux sionistes, ils auraient fait le retour dans leur pays. C’est la théorie de l’exil et du retour. Là, je vous conseille fortement la lecture de Shlomo Sand, il n’y a eu ni exil ni retour, il n’y a aucune trace d’un départ massif de juifs en 70 après J.-C. La religion juive était déjà répandue dans tout le bassin méditerranéen, à Babylone, à Samarcande et bien au-delà, Alexandrie était une ville à un tiers juive bien avant, il y avait des cimetières juifs à Rome et tout, donc grosso modo, les juifs sont des descendants de citoyens romains convertis au judaïsme ou de conversions ultérieures au judaïsme, les Berbères en Afrique du Nord, la plupart des juifs d’Afrique du Nord sont des Berbères, pour moi qui suis Ashkénaze l’empire Khazar qui était un empire à la fois Turc et Slave, et voilà, les juifs sont des descendants de convertis, vous voyez que j’ai pas vraiment le type proche-oriental et mes camarades non plus et les descendants des Judéens de l’Antiquité, ce sont ceux qui n’ont jamais bougé, c’est-à-dire ce sont les Palestiniens. On est donc, il faut bien le comprendre, en pleine méta-histoire, il va y avoir un projet colonial qui s’appelle le sionisme, qui va inventer une histoire fantastique, sauf que cette histoire est fausse.

Qu’est-ce qu’il faut dire de l’antisémitisme? L’antisémitisme, il n’y en a pas un et un seul, c’est stupide, en plus quand on entend les fascistes de la LDJ parler de l’antisémitisme, c’est d’une grossièreté sans nom. La première phase, c’est ce qu’on doit appeler l’antijudaïsme chrétien. Le judaïsme a été en concurrence avec d’autres religions pendant la fin de l’empire romain, quand le christianisme, qui lui-même était issu du judaïsme l’emporte, avec l’empereur Constantin au quatrième siècle, les conversions au judaïsme cessent, le judaïsme cesse d’être prosélyte, il s’enferme sur lui-même, contraint et forcé, et toute une série de stéréotypes racistes et d’interdits vont être édictés par les souverains chrétiens. Le pire de ces interdits, c’est bien sûr la possession de la terre. Les juifs pendant tout le Moyen Âge et jusqu’aux temps modernes n’auront pas, à de très très rares exceptions près, la terre qui était la principale richesse, ils vont être confinés par les chrétiens dans des métiers interdits aux chrétiens qui vont les rendre très impopulaires, les métiers de la banque, les métiers de l’usure, les métiers d’intermédiaires entre le seigneur et la population et très rapidement, il va y avoir les stéréotypes racistes de peuple déicide et les expulsions et les massacres.

Les expulsions commencent dès les Wisigoths au quatrième siècle après J.-C., les massacres, il faut savoir qu’ils commencent avec les croisades qui avant de se faire la main sur les musulmans infidèles au Proche-Orient vont massacrer les communautés juives de la vallée du Rhin, mais ça va se poursuivre. Les moments les plus emblématiques de massacres et de pogroms, c’est l’Espagne, 1492. Cà, c’est l’expulsion, mais les pogroms avaient commencé un siècle avant alors que pratiquement 10 % de la population espagnole était juive, et puis les grands massacres et pogroms auront lieu à partir du XVIIe siècle en Europe de l’Est, surtout en Pologne et en Ukraine, je pense aux grands massacres des cosaques avec Khmelnitski.

Je tiens à dire quelque chose à ce propos. Le sionisme, je l’expliquerai tout à l’heure, n’a rien à voir avec la religion et les religieux, pendant très très longtemps, seront non sionistes ou antisionistes. Pourquoi ? Parce que dans la religion juive, en tout cas chez les orthodoxes, la religion juive est une religion d’exil, une religion messianique. Il est interdit de retourner sur cette terre, la terre Sainte, avant l’arrivée du Messie. Par exemple, en 1492, quand les juifs Espagnols sont chassés, ils sont accueillis très majoritairement dans des pays musulmans, beaucoup iront au Maghreb, beaucoup iront dans l’empire ottoman, mais où iront-ils, ils iront à Salonique qui sera à moitié juive pendant 500 ans, ils iront à Sarajevo, ils iront à Smyrne, ils iront à Istanbul mais ils n’iront pas à Jérusalem qui est conquise à ce moment-là par l’empire ottoman, ni à Hébron. Pourquoi ? Parce que c’est interdit dans la religion juive. Dans la religion juive, l’usage de la langue hébraïque, c’est pas l’usage qu’en fait Tsahal aujourd’hui, la langue hébraïque était interdite à tout usage profane, elle était réservée uniquement à l’usage religieux. Pour que vous ayez dans l’idée que le sionisme, quand je vais en parler, ne se construira pas seulement contre les juifs laïques et révolutionnaires, il ce construira aussi contre les juifs religieux.

Donc j’ai parlé de cette première phase de l’antisémitisme qu’était l’antijudaïsme chrétien. Curieusement, c’est l’émancipation des juifs qui va transformer l’antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial. À partir du XVIIIe siècle, les juifs Allemands peuvent sortir du ghetto, beaucoup se convertissent, il y a des familles célèbres, Heine, Mendelsohn, Marx, pour avoir souvent accès d’ailleurs à des postes de responsabilité ; en France la révolution française donne la citoyenneté aux juifs, c’est l’abbé Grégoire et puis, petit à petit, cette émancipation va se déplacer vers l’est de l’Europe, et du coup, les juifs qui jusque-là étaient bien visibles, parqués dans leurs juderias ou dans leurs ghettos,vont devenir cette espèce de minorité invisible – « ils sont partout », le fameux slogan antisémite – « ils veulent dominer le monde », toujours parmi les stéréotypes, et en gros, les Juifs vont représenter une espèce d’obstacle naturel à toutes les volontés d’État ethniquement pur, qui est le désir meurtrier de tous les nationalismes européens à partir de 1850, nationalismes qui vont produire la guerre de 14 et plus tard le nazisme.

Et donc, cet antisémitisme va faire consensus complètement parmi les puissants de l’Europe, et pour quelle raison ? Parce que en gros, il était très facile pour construire un nationalisme efficace de désigner l’ennemi, et l’ennemi c’était le Juif. L’antisémitisme allemand par exemple après 1918, va énormément se développer sur l’idée que ce sont les Juifs qui ont causé la défaite de l’Allemagne, pour donner un exemple très simple. Il faut que vous compreniez qu’à ce moment-là, les deux tiers des Juifs du monde entier vivent dans un seul pays. Ce pays, ce n’est pas la Palestine, c’est l’empire russe. L’empire russe, on a un recensement de 1881 qui montre que sur 135 millions d’habitants, il y a 6 millions de Juifs et que dans la Zone de résidence, qui est l’endroit où les Juifs sont tenus de rester – seules des exceptions peuvent aller à Moscou ou à Saint-Pétersbourg – les Juifs représentent 10 % de la population, 5 500 000 habitants sur 55 millions. Et cette population de l’empire russe et en général de l’Europe de l’Est est une population prolétaire ou ultra prolétaire, ce sont des Juifs qui sont des colporteurs, ce sont des ouvriers, ce sont des chômeurs et – mais ce sont des lettrés, c’est le peuple du livre – ils vont massivement être gagnés par les idées progressistes laïques et révolutionnaires, et on ne comprend pas le mouvement révolutionnaire en Europe et en particulier en Russie sans comprendre l’énorme importance qu’avait ce judaïsme athée qui va naître dans ces régions-là et qui va devenir extrêmement prépondérant au point que les Nazis parlaient de Judéo-Bolcheviks tellement ils voyaient partout des Juifs dans la plupart des partis révolutionnaires, ce n’était pas seulement dans le parti bolchevique, dans tous les partis révolutionnaires et progressistes de l’Europe, on rencontrera un nombre extrêmement important de Juifs.

Et le sionisme va se créer à ce moment-là. On est aux alentours de 1895. Le sionisme, c’est une théorie de la séparation. C’est une théorie qui, il y a 120 ans, déclare que ce n’est pas la peine de lutter contre l’antisémitisme, il est inéluctable, il y a qu’une seule solution : séparer les Juifs et les non-Juifs et créer un État juif. Alors ils vont hésiter, ou est-ce qu’on le crée et ils vont penser à l’Argentine, à l’Ouganda, et on va le créer en Palestine pour avoir le soutien des religieux, soutien qu’ils n’auront pas pour les raisons que je vous ai dites, les religieux étaient contre le sionisme, il y aura une pétition quasiment unanime de tous les rabbins d’Allemagne contre Théodore Herzl et son projet fou.

Les sionistes vont par contre énormément plaire à tous les dirigeants antisémites européens, ils allaient alors ldans es cours et ils disaient « on va vous débarrasser de vos Juifs ». Théodore Herzl était allé voir le pire ministre pogromiste du Tsar, le sinistre Plehve, celui qui avait fait le pogrom de Kichinev, ma grand-mère paternelle lui a survécu, et il dit à Plehve : « vous et moi nous avons le même intérêt, qu’un maximum de Juifs quittent la Russie ». Et donc on va avoir cette espèce de connivence de tous les dirigeants Européens antisémites de créer un foyer juif et de favoriser le projet sioniste. Parmi ces dirigeants, il y en a un que je tiens à souligner, parce qu’il représente un courant très important, c’est Balfour. Lord Balfour, il est premier ministre en 1905 en Angleterre, il est antisémite comme tous les dirigeants européens, il va prononcer des discours terribles contre ces juifs pouilleux qui viennent semer la zizanie et la révolution dans Londres et qu’il faut expulser, et puis 12 ans après il envoie une belle lettre à Lord Rothschild, un choix qui n’est pas tout à fait neutre, en promettant aux Juifs que la Palestine que l’Angleterre est en train de conquérir va devenir un foyer juif et un État juif. Est-ce qu’il y a une contradiction là-dedans ? Il n’y en a pas. Les Juifs étaient considérés, je vais reprendre les termes de Hannah Arendt, comme des « parias asiatiques inassimilables en Europe » mais dès le moment où ils partaient en Asie, ça devenait des colons européens en Asie pour le bien-être et pour les intérêts de Sa gracieuse majesté. En plus, Balfour appartenait au courant chrétien sioniste, un courant né des évangélistes anglo-saxons et un peu allemands qui, partant d’une lectures littérale de la Bible, qui disent que les Juifs doivent revenir en terre Sainte pour favoriser le retour du Christ mais que ces juifs doivent chasser le mal de terre Sainte, le mal c’est Armageddon – c’est les Arabes évidemment – et qu’après, ces juifs doivent se convertir à la vraie foi, le christianisme, sinon ils disparaîtront. Autrement dit les antisémites, car les chrétiens sionistes sont des antisémites, non seulement ont participé historiquement à la création du foyer juif avec Balfour, mais aujourd’hui ils ont participé à coup de milliards de dollars à la colonisation de la Cisjordanie. Une colonie comme Maale Adumim par exemple que peut-être certains d’entre vous connaissent, qui coupe en deux la Cisjordanie, a quasiment exclusivement été financée par ces chrétiens sionistes antisémites.

Donc le sionisme, j’ai dit, c’est d’une part une théorie de la séparation. C’est un colonialisme, il faut comprendre qu’à l’époque, le colonialisme était une idée totalement dominante en Europe et c’était une idée dominante au point qu’y compris à gauche, des tas de gens pensaient que les civilisations occidentales étaient supérieures à ces civilisations qui n’étaient pas entrées dans la modernité, bref, le discours de Sarkozy sur les Noirs qui n’étaient pas rentrés dans histoire, à Dakar, il était partagé de façon assez majoritaire par les grands de l’Europe, et donc beaucoup disaient que finalement, les Juifs en Palestine, ils apportaient la modernité, la technicité à un peuple barbare qui n’était pas entré dans l’histoire. Pourtant la Palestine, dès 1920, elle a des syndicats, un parti communiste, des associations, des grands écrivains et tout et c’était tout sauf ce que l’image colonialiste voulait en décrire, je vous conseille l’excellent film « La Terre parle Arabe » de Maryse Gargour, qui décrit magnifiquement bien cette situation là.

Et donc le colonialisme sioniste a une petite différence, en réalité une grande différence, avec d’autres colonialismes, je pense au colonialisme français au Maghreb, c’est que le colonialisme français visait à asservir la population locale, à l’utiliser comme main-d’œuvre et à la surexploiter. Le colonialisme sioniste visait d’abord à nier l’existence d’un peuple autochtone, c’est le fameux mensonge fondateur meurtrier d’Israël Zangwill « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », c’est-à-dire qu’au départ, en disant une terre sans peuple, on nie l’existence même des Palestiniens. La première fois en Israël où on parlera des Palestiniens, c’est à l’occasion des accords d’Oslo, jusqu’alors, ce peuple n’existe pas, et on parle tout simplement des Arabes. Donc il y a une négation même de l’existence de la dignité des droits des Palestiniens, mais en même temps il y a un projet qui est clairement de les expulser et de les remplacer, donc c’est le fameux projet du transfert, projet qui sera majoritaire chez tous les dirigeants sionistes à partir des années 20, quand vont commencer les révoltes palestiniennes contre la colonisation sioniste. Mais il y a aussi un autre projet : si on n’arrive pas à tous les expulser, le modèle, c’est le bantoustan ou la réserve indienne, c’est-à-dire ce qui se passe aujourd’hui à Gaza ou dans la zone A de Cisjordanie, des populations complètement surpeuplées et privées du droit même et de la possibilité même de faire fonctionner leur société. Donc ce colonialisme-là, un petit peu particulier, les sionistes disent toujours mais enfin, euh, le sionisme, c’est une idéologie de libération nationale, c’est un mouvement de libération nationale, pourquoi les Lituaniens et les Croates auraient le droit d’avoir leur pays et nous on aurait pas droit ? C’est quand même un drôle de nationalisme, parce que c’est un nationalisme qui a inventé le peuple, la langue et la terre. Le peuple ? Je partage l’idée de Shlomo Sand, il y a des peuples juifs, il y avait incontestablement un peuple sépharade qui a vécu en Espagne et dont les descendants ont été disséminés un peu partout, il y avait incontestablement un peuple judéo-arabe, judéo-berbère au Maghreb, il y avait incontestablement un peuple yiddish entre mer Baltique et mer Noire, il y avait incontestablement un peuple judéo-yéménite qui était des tribus arabes converties au judaïsme et un peuple judéo-Falacha qui était des Éthiopiens convertis au judaïsme, prétendre que tout ça c’est le même peuple, c’est loufoque.

Ils ont inventé la langue pour la raison que je vous ai expliquée, parce que la langue hébraïque était interdite à tout usage profane, il y avait les langues juives, il y avait le ladino qui est de l’espagnol du Moyen Âge, il y avait le yiddish, la langue maternelle de ma mère, de l’allemand du Moyen Âge avec des mots hébraïques et des mots slaves, il y avait le judéo-arabe, il y avait d’autres langues, je suppose que les Falachas parlent une langue tirée de l’amhara, mais voilà, donc il n’y avait absolument pas une langue unique et puis ils ont inventé la terre, parce que, que ce soient les Juifs laïques ou les juifs religieux, aucun n’avait un attachement à cette terre. Les juifs religieux, j’ai expliqué que c’était un interdit. Pour les Juifs laïcs bien entendu, la question de l’émancipation des Juifs s’est posée, dans le mouvement révolutionnaire d’Europe de l’Est, il va exister un parti révolutionnaire juif, le Bund, qui faisait partie de l’Internationale et dont le programme était, dans le cadre de la révolution mondiale, l’autonomie culturelle pour les Juifs sur place et le Bund était farouchement antisioniste. Et un de ses derniers survivants a été Marek Edelman, commandant en second de l’insurrection du ghetto de Varsovie et qui est mort il y a quelques années en Pologne parce qu’il a toujours haï l’État d’Israël et il a toujours été solidaire des Palestiniens.

(Applaudissements)

Donc voilà. Les sionistes… Marek Edelman mérite vraiment un grand coup de chapeau. Donc ils ont inventé, je vous ai dit, une théorie nationaliste qui ne tient pas le coup, après, ce qu’il y a sans doute d’un point de vue juif de plus tragique et qui est une des explications de l’attachement d’un très grand nombre de Juifs au sionisme, c’est la manipulation, la mystification de l’histoire, de la mémoire et des identités juives, c’est l’histoire qu’on a raconté aux Juifs, dont l’histoire de l’exil et du retour, dont je vous ai expliqué qu’elle n’a aucune espèce de réalité et c’est l’histoire qu’on leur a racontée en gros que toute espèce d’idée de vivre ensemble dans l’égalité des droits dans les pays où vivaient les Juifs n’avait aucun sens.

Herzl était contemporain de l’affaire Dreyfus. Pour Herzl, le fait qu’il y a l’affaire Dreyfus en France, ça veut dire : il faut foutre le camp, même la France, vous voyez ! Enfin, l’affaire Dreyfus n’a pas été l’affaire que des Juifs, comme aujourd’hui l’islamophobie n’est pas que l’affaire des musulmans, c’est l’affaire de tous les citoyens, d’accord, et l’affaire Dreyfus, la moitié la société française, toute la partie progressiste de la société française a considéré que même si c’était un militaire et un réac, il fallait défendre Dreyfus, et elle l’a défendu jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’elle obtienne une victoire qui était sa réhabilitation et son acquittement et son retour de Cayenne. Donc, l’affaire Dreyfus justement montre que le combat pour l’égalité des droits avait un sens et pouvait gagné et être majoritaire dans un pays comme la France. Herzl a aussi pris prétexte du pogrom de Kichinev dont ma grand-mère a survécu, et justement, après le pogrom de Kichinev, le Bund va organiser les milices d’autodéfense contre les pogromistes et il n’y aura plus de grands pogroms en Russie. Donc là aussi, il y avait tout à fait une autre optique qui n’était pas la fuite et la conquête coloniale d’un pays sur le dos des Palestiniens mais la conquête, justement, de l’émancipation de tout le monde.

Je veux venir un petit peu sur cette manipulation de l’histoire et de l’antisémitisme. Les sionistes n’ont jamais combattu l’antisémitisme. Dans le bouquin que j’ai écrit sur le sionisme, j’ai même fait des recherches sur sionisme et fascisme. Non seulement les sionistes ne combattaient pas l’antisémitisme,mais ils s’en sont servis, chaque fois qu’il y avait un fait antisémite et s’en sont servis dans leur seul et unique projet qui était le départ des Juifs pour ce qui allait devenir Israël. Donc sachez bien qu’aujourd’hui, quand on trouve des antisémites infiltrés dans le combat pour la Palestine, ils ne défendent pas les Palestiniens, ils font le jeu du sionisme qui a toujours vécu de cela, autrefois et aujourd’hui. S’il y a des Dieudonnesques dans la salle, je (inaudible)

(Applaudissements).

Et donc, quand je dis que les sionistes ont eu vis-à-vis du fascisme – alors, on va rester clairs ; toutes les idéologies, tous les partis, tous les Etats ont eu un comportement coupable vis-à-vis de la montée du fascisme – mais l’on pourrait penser que ceux qui se prétendent aujourd’hui les tenants, les garants, disent-ils, du génocide et de l’antisémitisme, ils auraient eu un comportement exemplaire. En 1933, quand Hitler prend le pouvoir, les Juifs américains déclarent immédiatement un blocus de l’Allemagne nazie, un boycott de l’Allemagne nazie, il y aura énormément de Juifs antifascistes qui vont s’engager dans les brigades internationales en Espagne et tout, qu’est-ce que fait Ben Gourion depuis le Yishuv, c’est-à-dire les établissements juifs en Palestine ? Il brise le boycott qu’avaient déclarés les Juifs américains, il explique : notre intérêt est de commercer avec l’Allemagne, il négocie avec les Nazis en 1933 les accords de Haavara – transfert en hébreu – qui permettent aux Juifs allemands de partir avec leurs biens uniquement en Palestine, les migrations vers d’autres régions leurs restent strictement interdites. Il y aura une scission dans le mouvement sioniste entre l’aile socialisante majoritaire, celle de Ben Gourion, et l’aile qui s’appelle elle-même aile révisionniste, celle de Jabotinsky. Jabotinsky, qui mourra en 1940, était un fasciste, c’était un admirateur de Mussolini, il avait vécu dans l’Italie fasciste ; la théorie du transfert dont il est l’inventeur est une imitation de ce que les Italiens ont fait en Éthiopie, la façon dont ils ont déporté les populations colonisées, tous les dirigeants actuels, ceux qui sont morts, Begin, Sharon, ceux qui sont toujours vivants, Netanyahu, Tzipi Livni, Liebermann, Bennett, etc, sont des descendants idéologiques de Jabotinsky. Jabotinsky était un terroriste, lui et ses successeurs Menachem Begin et Itzhak Shamir ont commencé dès les années 30 des attentats meurtriers contre les Palestiniens et après la grande révolte palestinienne, quand les Anglais vont commencer à limiter l’immigration juive, ces groupes vont s’en prendre à l’Angleterre. Il faut savoir que quand mon père a été déporté à Buchenwald, quand il y avait des millions de morts, des millions de Juifs qui partaient vers les camps d’extermination, quand les Eintzatzgruppen fonctionnaient à fond et tout, le groupe Stern d’Itzhak Shamir qui sera premier ministre d’Israël pendant sept ans assassinait des soldats britanniques, il assassinera Lord Moyne, haut représentant de l’Angleterre au Caire, en 1944. Le groupe Stern est même allé jusqu’à négocier avec le consulat nazi à Istanbul. Ce sont ces gens-là aujourd’hui qui veulent nous expliquer aujourd’hui que nous sommes antisémites et qu’ils défendent les Juifs. Donc je tiens à dire que les sionistes n’ont joué un rôle que totalement marginal dans la résistance juive au nazisme. La résistance juive au nazisme, elle a été principalement communiste et bundiste, elle a été de tous les groupes qu’il y avait un peu partout…

(Applaudissements)

Et que l’instrumentalisation qu’ils font du génocide, dont je tiens à dire aussi qu’un petit quart de la population israélienne est relié familialement au génocide, pas plus, et toute la récupération insensée qu’ils font aujourd’hui, c’est quelque chose qui tient évidemment à vous bâillonner, mais qui pour nous qui sommes les enfants de cette histoire, c’est quelque chose de totalement obscène. Je ne trouve pas d’autre mot de voir aujourd’hui des gens dont l’idéologie est extrêmement proche de l’idéologie qui a provoqué le nazisme, qui est une idéologie de haine de l’autre, de négation de l’autre, et d’incapacité d’accès à l’autre qu’est l’idéologie sioniste aujourd’hui, leur récupération du génocide est abjecte.

(Applaudissements)

Je vais venir à la communauté internationale et à son comportement extrêmement honteux. On pourrait se dire, est-ce que finalement quand aujourd’hui les Sarkozy, les Hollande, les Valls se prosternent devant le Dieu sionisme, est-ce que c’est parce que l’Occident, quelque part, se sentirait coupable de 15 siècles d’antisémitisme et du génocide? Réponse : non. Si l’Occident s’était senti coupable, en 1945, il aurait dit : « bon, les Juifs, on a déconné, 6 millions de morts, la moitié des Juifs d’Europe… maintenant vous avez l’égalité des droits et plus jamais ça ». C’est pas ça qu’on leur a dit, aux Juifs. On leur a dit : « maintenant vous avez un pays, vous partez quand vous voulez ». C’est-à-dire que l’Europe et l’Occident, et l’URSS aussi à l’époque puisqu’elle a reconnu en premier l’État d’Israël, se sont déchargés d’un crime séculaire antisémite contre les Juifs sur le dos du peuple palestinien qui n’avait pas le début d’une responsabilité dans cette affaire. Et ça, c’est absolument indigne.

Je tiens à dire que souvent, y compris dans le mouvement de solidarité pour la Palestine, les gens nous parlent de l’ONU et du plan de partage, il faudrait y revenir. Le plan de partage est une horreur : de quel droit, de quel droit l’ONU à partagé en deux la Palestine ? (applaudissements). Vous imaginez l’ONU partager en deux la France, qu’est-ce qu’on dirait et qu’est-ce qu’on penserait ? En plus, dans ce plan de partage, à l’époque les Juifs forment 40 % de la population, on va leur donner 54 % du territoire, et aux Palestiniens on va leur en donner 42 %. Mais pire, dans le futur État juif il y a 400 000 Palestiniens et dans le futur État palestinien il y a 10 000 Juifs. Et il faut savoir que quand la guerre éclatera, officiellement le 15 mai 1948, la quasi-totalité des Palestiniens qui habitaient l’État juif ont été expulsés, le nettoyage ethnique a déjà eu lieu, autrement dit l’ONU est responsable directement de la moitié de la Nakba, c’est une chose qui doit être connue.

(Applaudissements)

Sur la Nakba, il y a eu pendant très longtemps des histoires de fous que les sionistes ont racontées, « les Arabes sont partis d’eux mêmes, » les élites leur avaient dit « vous retournerez », tout ça c’est du pipeau. Il aura fallu attendre 1988, les 40 ans de la guerre et l’ouverture des archives pour voir que tout ce qu’avaient toujours dit les historiens palestiniens et les témoins palestiniens était totalement corroboré par ce qu’on trouvait dans les archives de l’État d’Israël. Autrement dit, il y avait un plan délibéré, qui s’appelle le plan Dalet d’expulsion de tous les Palestiniens, et ceux qui ont pu rester, les Palestiniens d’Israël qui représentent un peu plus de 20 % de la population aujourd’hui, sont des miraculés, mais c’est bien leur expulsion totale qui était prévue, un nettoyage ethnique approuvé par l’ONU. Je rappelle aussi que le village martyr Deir Yassin dont j’ai parlé tout à l’heure, c’est avant le déclenchement de la guerre. Sur cette guerre qu’Israël a présentée comme David contre Goliath, et quand j’avais 16 ans j’étais sioniste et j’ai cru à ça, sur les-pauvres-Juifs-après- ce-qu’ils-venaient-de-subir-encore-encerclés-et -menacés-de mort-et-tout, tout ce qu’on sait maintenant sur la guerre de 48, montre qu’il y avait un déséquilibre total et évident sur tous les plans – nombre de combattants, armement, technologie et tout – du côté de la Haganah et des terroristes de l’Irgoun et du groupe Stern, que les Palestiniens ont été assez largement trahis par les armées des pays arabes voisins qui se battaient uniquement pour avoir des territoires et pas pour créer un État palestinien et donc voilà, on est arrivé à la Nakba, c’est-à-dire au crime fondateur.

Alors j’étais très long, je vais un peu m’arrêter et me refroidir, je vais terminer sur le BDS. Écoutez, souvent, on nous dit : « cette horreur, comment on peut en finir? » Je donnerai quand même une vision un peu optimiste, parce que c’est noir, ce que j’ai dit. Bien entendu, deux Etats, ce qu’Arafat avait imaginé, ce n’est ni souhaitable ni possible. Si vous allez là-bas, la première question, c’est : Où est la frontière? Et puis, il y a actuellement 650 000 Israéliens qui vivent au-delà de la ligne verte, la frontière internationalement reconnue. Cette ligne verte ne figure sur aucune carte, aucun livre scolaire, il faut une carte en France, pour les Français, Israël-Palestine, pour savoir que l’usine pour les produits de beauté Ahava se trouve sur les bords de la mer Morte en territoire occupé, parce que c’est évidemment marqué nulle part, et je vous dis, ces 650 000 colons qui vivent au-delà de la ligne verte, ça coûterait 30 points de PIB à Israël de les évacuer. Donc on ne voit pas, aujourd’hui, un quelconque gouvernement israélien se lancer là-dedans.

Le projet qui aurait – bon, comme libertaire, zéro État, ce serait pas mal –, le projet qui aurait ma préférence, un État uni, où un État commun comme disent Éric Hazan et Eyal Sivan, aujourd’hui, pour la majorité des Israéliens, s’il n’y a pas d’État juif, c’est les Juifs à la mer. Donc on a une mentalité, on a aujourd’hui un État d’Israël qui est dans la situation où se serait trouvée la France si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie. Donc on a les fascistes au pouvoir, je ne trouve pas les noms pour Ayela Shaked ou pour Bennett ou pour Lieberman ; Liebermann voulait lancer une bombe atomique sur le barrage d’Assouan, quand même pour que vous ayez une idée de ce qu’Israël se donne comme ministre, donc pour l’instant cette solution apparaît irréaliste. Mais le projet sioniste, c’était un État juif homogène. Ce projet, ils l’ont tué puisque aujourd’hui, c’est 6 millions – 6 millions et que peut-être à l’insu du plein gré de certains, Israël est rentré franchement dans ce qu’on appelle l’apartheid que le tribunal Russell sur la Palestine, notamment dans sa cession du Cap, a reconnu que, selon la définition internationale de l’apartheid, le gouvernement de l’État israélien était coupable du crime d’apartheid, que vis-à-vis de l’apartheid clairement, ce qui est prévu par les textes internationaux, c’est le boycott, et donc qu’il y a derrière le jugement du tribunal Russell, le fait que le boycott c’est quelque chose qu’il faut faire.

Qu’est-ce que je peux dire de plus ? Nous sommes pour un boycott total de cet Etat voyou. Nous ne sommes pas pour un boycott partiel qui n’aurait aucun sens. Comment voulez-vous boycotter l’université d’Ariel en territoire occupé, sans boycotter la maison-mère qui est le Technion de Haïfa ? Comment voulez-vous, quand on a des poubelles, Veolia qui met des déchets israéliens en Cisjordanie, comment voulez-vous qu’on boycotte la partie de Veolia qui travaillerait en Cisjordanie les pas celle qui travaille en Israël ? Ça n’a évidemment aucun sens. C’est l’État israélien dans son ensemble qui a créé les territoires occupés, qui a créé la colonisation et l’occupation, c’est l’État israélien qui doit être sanctionné et boycotté.

Pour nous le boycott doit être sur tous les terrains, boycott économique bien sûr, heureusement un certain nombre de pays sont en train de rompre des accords économiques, il y a un axe majeur, obtenir la rupture de l’accord préférentiel entre l’Union européenne et Israël qui permet aux produits israéliens d’arriver détaxés sur nos marchés, ça c’est une des luttes fondamentales qu’il faut mener, un boycott commercial bien sûr, un boycott universitaire : toutes les universités israéliennes participent au complexe militaro-industriel. Un boycott syndical, j’ai pas parlé de la gauche sioniste – entre guillemets –, dans mon livre, je pose la question : a-t-il existé un sionisme à visage humain? Il y en a sûrement eu, je pense à Martin Buber et à des gens comme ça, mais ce courant là est mort il y a 50 ans, il n’existe plus et ce qu’on appelle couramment la gauche sioniste, c’est-à-dire les travaillistes, il n’y a pas un seul crime contre les Palestiniens auquel il n’ont pas participé, depuis le plan Dalet en 1948, l’agression de 1967, la colonisation, la construction du mur et tout. Donc les kibboutz par exemple qu’on décrit souvent comme le prototype du socialisme israélien, lisez Shlomo Sand, les kibboutz était des instruments de conquête, il était impossible de conquérir les territoires par un colonialisme individuel, alors c’était un colonialisme collectif, c’était un socialisme pour Juifs seulement, c’est-à-dire un socialisme raciste qui excluait les Palestiniens, et où est-ce qu’on a mis les kibboutz? Là où il y avait beaucoup d’Arabes, en Galilée, dans le Néguev et sur les zones frontalières. Donc je pense qu’il faudra arriver à un boycott syndical aussi – c’est là où je vais en venir –parce que la Histadrout, syndicat fondateur d’Israël, est un syndicat qui a escroqué les Palestiniens, qui leur doit des centaines de millions de shekels, c’est un syndicat qui a dans son article numéro un la défense du travail juif, vous imaginez si la CGT, ou Solidaires ou la FSU, avait comme article numéro un de ses statuts la défense du travail français, ça ferait quand même un petit peu bizarre, d’accord? Et les premiers faits d’armes de la Histadrout, dès 1920 – 21 à sa fondation, c’était acheter juif, boycotter les magasins arabes, c’est-à-dire que c’est un syndicat qui a combattu dès le départ pour une société séparée, pour une société d’apartheid. Donc voilà : un boycott total.

Est-ce que ça va marcher ? Écoutez, tout à l’heure, un journaliste me le demandait. Je donnerai les paroles d’un grand anticolonialiste israélien que vous connaissez sûrement, qui est Eyal Sivan, l’auteur de Jaffa la mécanique de l’orange et de Route 181. Eyal disait : je ne pense pas que le boycott mettra à genoux l’économie israélienne qui est une économie de start-up mais en ce qui concerne l’image d’Israël, ça va aller extrêmement vite et c’est en train de se faire. La panique qui a déclenché l’agression contre l’UJFP et contre BDS, elle vient de là, elle vient des succès du BDS et du fait qu’ils commencent à paniquer parce qu’ils voient clairement qu’un nombre croissant d’universités, de syndicats de dockers, d’associations de partout considère l’État d’Israël pour ce que c’est, c’est-à-dire un Etat d’apartheid. Donc, rappelez-vous que l’Afrique du Sud a changé quand elle a été expulsée des Jeux olympiques, c’était pas les oranges Outspan, eh bien c’est peut-être la voie à suivre : dénoncer d’une telle façon cet Etat voyou, quelles que soient nos origines, croyants ou non croyants, d’origine française de France, d’origine du Maghreb, d’origine juive, tous ensemble l’égalité de droits et le vivre ensemble, là-bas comme ici.

(Ovation)

Palestine vivra, Palestine vaincra !

Propos transcrits par JPB