Allocution de Michèle Sibony à Genève

Discours du 9 juin 2007, dans le cadre de la manifestation anniversaire des 40 ans de l’occupation de 67, à Genève devant l’Ambassade d’Israël. Une chaine humaine s’organise jusqu’au bâtiment des nations unies.

Je représente ici l’Union Juive Française pour la Paix. L’UJFP est aussi affiliée à la fédération des Juifs européens pour une paix juste. Nous sommes des juifs qui refusons d`être pris en otage pour servir la politique des gouvernements d`Israël. Nous refusons que les crimes commis dans les TOP le soient prétendument en notre nom. Nous militons pour une paix juste et durable au Moyen Orient.

Je vous remercie de votre invitation, et je suis très heureuse de participer avec vous ä ce rassemblement hautement symbolique. En effet vous avez choisi de constituer une chaîne humaine qui relie l’ambassade israélienne devant laquelle nous nous trouvons au bâtiment des Nations Unies. Après quarante ans d’occupation, il s’agit là d’un appel à Israël à rejoindre la loi internationale, d’une main tendue au gouvernement israélien, un appel à sortir de la jungle et de la barbarie du non droit, de la force brutale, et à rejoindre la civilisation, celle de la loi qui organise la communauté humaine.
Pour cela la vérité doit être dite et c`est notre rôle aujourd`hui ici et partout dans le monde ou se sont rassemblés des milliers de manifestants : Il y a eu trop d`hypocrisies et de mensonges
Proférés depuis des années maintenant pour achever de détruire la Palestine, de détruire la société palestinienne, de créer sur le terrain une réalité irréversible et terrible celle de l’annihilation de l`autre.
Une annihilation qui ne peut d’ailleurs qu`entraîner Israël vers sa propre destruction.

Alors les mensonges: après la Naqba, après 60 ans de refus d`appliquer la résolution 194 sur le droit au retour des réfugiés qu’Israël a acceptée, après 40 ans d’occupation des territoires de Cisjordanie et de Gaza:

– 40 ans d’autodéfense contre une volonté d’ extermination et un terrorisme sans cause?
Mensonge!
La vérité c’est 40 ans d’occupation des milliers de palestiniens tues, des centaines de milliers de colons 460 000 installés dans des centaines de colonies en Cisjordanie et autour de Jérusalem. Une colonisation qui a été la plus galopante pendant les négociations d’Oslo et sous le régime travailliste, et qui a achevé de aujourd’hui de fragmenter les TOP au point que l’ONU (OCHA) vient de déclarer qu’il lui paraissait impossible de faire de ce gruyère un Etat.
La vérité c’est des centaines de milliers d’arrestations 650 000 prisonniers palestiniens ont connu les geôles israéliennes, pas une famille n’a été épargnée. Un peuple de terroristes? Mensonge!
Des milliers de maisons détruites, près d’un million d’oliviers arrachés, l’économie palestinienne détruite.

– 40 ans de lutte pour la sécurité?
Ce sont les travaillistes qui ont eu l’ idée de la Barrière de sécurité et de son édification. Mais c’est un mur qui ne sert pas à assurer la sécurité des Israéliens, il est là pour achever le découpage la dépossession et l’annexion des terres, renforcer l’étranglement de la population et de l’économie palestinienne, poussant à ce que l’on appelle le « transfert soft ».
Attention un mur dit aussi Abraham Burg, ex directeur de l’Agence juive et président du parlement israélien qui marque la frontière de l’Europe, en face de la Barbarie. Quel est notre rôle à nous Européens devant une telle vision du monde, et de quoi serions nous complices si nous l’acceptions. Attention a nos propres murs mentaux et concrets aussi aujourd’hui qui nous séparent des opprimés et de la réalité de leur misère, et nous permettent de conserver nos privilèges.

– Israël seule démocratie au Proche-Orient:

Faux! Israël pratique une politique discriminatoire à l’égard de ses citoyens palestiniens. Les projets de constitutions égalitaires, et les textes proposés par diverses associations palestiniennes d’Israël pour un Etat qui devienne enfin celui de tous ses citoyens, des mains tendues pour permettre d’accéder à un peu de véritable démocratie, sont traités par Israël comme des menaces à sa sécurité intérieure. Le citoyen Azmi Bishara en fait les frais, parmi les premiers, qui a dû s’exiler devant les accusations de trahison des services secrets. Est-il barbare ou civilisé, celui qui refuse l’égalité à ses citoyens sur un même territoire, celui qui refuse d’appliquer les lois internationales, et les conventions qu’il a signées.

– Nous n’avons pas de partenaire pour la paix:
Mensonge! Les seules offres généreuses jamais faites dans cette histoire sont celles des Palestiniens à la suite de la conférence d’Alger : La paix en échange de 22% de la Palestine historique.

Dans une lettre ouverte a Shimon Peres, ministre du gouvernement Sharon et complice de tous ses crimes, Gidéon Lévy journaliste de Haaretz l’interpelle en 2002. « Une nation entière nous a tendu les mains pour faire la paix, tout autant que nous l’avons fait nous même, cela tu le sais très bien. Elle a son compte de souffrances depuis la Naqba de 48 en passant par l’occupation de 67 pour finir par l’état de siège de 2002… Le partenaire d’un gouvernement qui sabote tous les efforts des Palestiniens pour ramener le calme, qui humilie délibérément leurs dirigeants, pour qui la vengeance est le seul mobile, qui exploite cyniquement l’aveuglement et la stupidité de l’après 11 septembre afin d’agir à sa guise ne saurait être pardonné »…Et le pire est à venir, disait alors Gidéon Lévy. La paix est entre les mains des Israéliens. Elle est aussi entre nos mains, nous européens, et notre capacité de comprendre et d’agir.

Israël est celui qui veut la paix :
Faux et archi faux : depuis Ben Gourion les choix des gouvernements israéliens ont toujours été pour toujours plus de terre avec toujours moins de Palestiniens dessus. Israël a toujours choisi la force dans les territoires occupés, il a choisi la force au Liban pendant des années, et à nouveau l’été dernier l’écrasement de la population civile sous des milliers de bombes antipersonnelles, et il attend de pouvoir recommencer. Israël a les yeux tournés vers l’Iran, et menace même de l’attaquer s’il poursuit un programme nucléaire civil ou militaire, lui qui est la première puissance nucléaire militaire de la région, dont les programmes se sont appelés successivement Masada (faisant allusion au suicide collectif des Juifs plutôt que de se rendre aux Romains) et Samson (qui se détruit en même temps que ses ennemis, en faisant s’écrouler le temple sur lui-même et les Philistins) et qui refuse de rendre des comptes à quiconque..

En réalité de mensonge en mensonge ce qui apparaît c’est que les seuls buts non illégitimes que le sionisme pouvait revendiquer devant l’histoire n’ont pas été atteints. En ce sens Abraham Burg le disait déjà en 2002 alors qu’il était encore un des leaders du parti travailliste après avoir été président du Parlement et directeur de l’Agence juive : « la Révolution sioniste est morte »
Le sionisme voulait faire d’Israël un havre de paix pour les juifs du monde après la tentative de judéocide nazi. Il est devenu un lieu de haine, de mort et d’insécurité pour ses citoyens. Demandez à Nurit Peled , la fille du Général Peled, qui a perdu sa fille de 14 ans dans un attentat, et qui a fondé depuis avec d’autres familles juives et palestiniennes le comité des familles endeuillées.
Demandez aussi aux habitants de Sderot qui loin de la bourgeoisie confortable du centre, rejetés dans la périphérie pauvre et largement juive orientale du pays paient tous les jours la politique du retrait unilatéral de Gaza, et l’étranglement et les bombardements quotidiens de sa population depuis. (Puisque l’autre n’existe pas et n’est pas un partenaire.)
Le sionisme voulait faire d’Israël le lieu d’une renaissance spirituelle juive : il est devenu le lieu de dévoiement de toutes les valeurs universelles inscrites dans la bible : depuis le décalogue, jusqu’au principe « tu ne feras pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse à toi-même ».

Voulant faire d’Israël un refuge contre l’antisémitisme, le sionisme est devenu une fabrique d’antisémitisme dont il a besoin et qu’il utilise tous les jours pour justifier son existence et aussi faire taire toute protestation contre ses actions guerrières en Europe et dans le monde. Enfermé dans ce cercle vicieux il n’a plus d’autre issue que de continuer à générer de la haine contre les juifs du monde pour pouvoir continuer à exister par les armes et dans la survie et par les armes.
C’est cette vision du sionisme et d’Israël qui a perdu et elle doit changer. Bien sûr cela ne signifie pas la destruction d’Israël (comme certains ont très envie de traduire immédiatement) ni le rejet de tous les Israéliens à la mer, non Israël et les israéliens existent et il ne peut s’agir d’échanger les barbaries. Mais pour échapper à la barbarie et rejoindre la civilisation humaine Israël doit pouvoir devenir l’Etat de tous ses citoyens, qu’ils soient juifs ou palestiniens, il doit pouvoir s’intégrer par le dialogue et la négociation au Moyen –Orient Arabe, en acceptant les nouvelles et généreuses offres de paix arabes, dans le cadre du droit et du respect, par la demande aussi du pardon pour tout le mal causé, et aussi par la réparation.

Celui qui choisit de vivre par le glaive rencontre tôt ou tard plus fort que lui, c’est la loi de la jungle, et c’est cela qui est barbare. Par le choix de la justice on peut établir les fondements durables d’une paix et d’une réconciliation possible.
Renoncer au glaive et quitter la barbarie, choisir la justice et rejoindre la communauté de la civilisation humaine ce doit être le choix d’Israël. Notre rôle ici est d’aider Israël à faire ce choix, à retrouver le chemin de la loi et de la civilisation, c’est lui imposer d’arrêter les assassinats, la dépossession, l’humiliation, la négation de l’autre, par la sanction et le boycott si nécessaire. N’est ce pas le meilleur service que le monde ait jamais rendu aux Afrikaners de l’Apartheid en Afrique du Sud, en les forçant par la force d’un boycott international, de cesser d’être des criminels ?
Aujourd’hui les gouvernements « libéraux » du monde veulent nous faire accepter la logique folle de la sanction sur les victimes et le silence sur les bourreaux. Accepter la barbarie exercée sur le peuple palestinien ferait de nous des complices et des collabos pour la construction d’un monde injuste et fondé sur l’inégalité.

En conclusion je voudrais vous lire « une déclaration, publiée en septembre 1967 dans le quotidien Haaretz, la première prise de position publique contre l’occupation. Les douze signataires peuvent être considérés comme les pionniers de la lutte contre l’occupation en Israël. »
. Je voudrais vous lire cet appel pour que entendiez combien il est juste, et combien nous pouvons en reprendre ensemble chaque mot aujourd’hui.

« Notre droit de nous défendre contre l’extermination
ne nous donne pas le droit d’opprimer les autres.
L’occupation entraîne une domination étrangère.
Une domination étrangère entraîne la résistance.
La résistance entraîne la répression.
La répression entraîne le terrorisme et le contre-terrorisme.
Les victimes du terrorisme sont engénéral des innocents.
La mainmise sur les territoires occupés fera de nous des assassins.
Sortons des territoires occupés maintenant ! »
(Shimon Tsabar, Haim Hanegbi, Rafî Zichroni, David Ehrenfeld, Uri Lifschitz, Arie Bober, Dan Orner, Moshé Machover, Schneour Sherman, Raif Elias, Elie Aminov, Yehuda Rozenstrauch)

Nous devons être des millions dans le monde aujourd’hui à reprendre les mots de cet appel et à conclure avec lui : « sortez des territoires occupés maintenant ! »

Les passages cités de G. Lévy, A. Burg, et l’appel de septembre 67 sont tirés de « La révolution sioniste est morte » (Voix israéliennes contre l’occupation 1967-2007) textes réunis et présentés par Michel Warschawski Ed. la Fabrique 2007