Par Yorgos Mitralias
A l’opposé de ce que font tous nos grands médias, pour Al Jazeera il n’y a pas des vies et des morts qui comptent plus ou moins que d’autres, ce qui la conduit, par exemple, à donner souvent la parole aux parents des otages Israéliens détenus par Hamas et même à des généraux et des officiels Israéliens qui défendent les politiques du gouvernement Netanyahou !
Il a été dit et écrit à maintes reprises que le génocide des Palestiniens à Gaza est « la première guerre retransmise en direct » de l’histoire. Et aussi, qu’en conséquence de cette première historique, nul ne peut désormais dire qu’il ignore ce qui se passe en Palestine. Cependant, rares ont été ceux qui se sont demandé grâce à qui cette guerre a été retransmise en direct. Et encore plus rares ont été ceux qui ont osé donner une réponse à cette interrogation. Ce qui suit est donc un hommage à tous ceux et celles qui l’ont fait au péril de leur vie…
La chaîne qui a monopolisé cette retransmission en direct s’appelle Al Jazeera. Et elle l’a monopolisé non parce qu’elle l’a voulu mais parce que la grande majorité des chaines TV du monde entier ont refusé de couvrir « les évènements de Gaza », ou bien ont arrêté de le faire face aux menaces et aux agressions, parfois meurtrières, de l’envahisseur israélien qui a tout fait pour qu’il n’ait pas des témoins oculaires de ses crimes. Seule Al Jazeera n’a pas cédé et a accompli sa mission contre vents et marais, sauvant ainsi le très malmené honneur de la presse mondiale !
Profitant donc du cessez le feu qui fait que les journalistes et autres professionnels des médias en poste à Gaza, enlèvent -enfin!- leur équipement de guerre (casques, gilets par balle, etc.) et se sentent à l’abri des drones, des obus et des snipers israéliens, rendons leur justice en faisant un premier bilan de leur professionnalisme, de leur courage et de leur héroïsme. Car c’est grâce à eux et à elles qu’on connaît ce qui s’est passé aux killing fields (champs de la mort) de Gaza et que les bourreaux devront un jour répondre de leurs crimes…
Alors, nous commençons par cet extraordinaire Hani Mahmoud, le journaliste de Al Jazeera, qui est entré dans nos vies en nous réveillant chaque matin depuis 15 mois, pour nous informer de tout ce qui s’était passé à Gaza au cours de la nuit et du lever du soleil précèdent. Ce Hani Mahmoud toujours debout dans les ruines ou devant un des hôpitaux gazaouis bombardés à répétition, relatant dans un anglais impeccable et avec une rigueur exemplaire, sans jamais trahir ses émotions, les massacres des dernières heures tandis que le bruit caractéristique des drones qui le survolaient couvrait parfois sa voix et les bombes explosaient souvent derrière son dos ! Et tout ça tandis que Hani Mahmoud et sa famille partageaient le sort des Palestiniens de Gaza obligés d’errer, affamés et assoiffés, d’un endroit à l’autre sous une pluie de bombes qui pouvaient les frapper à n’importe quel moment…
Ces bombes qui ont frappé durement la famille de Wael Al-Dahdouh, chef du bureau de Al Jazeera de la ville de Gaza, tuant sa femme, ses enfants, ses petits- enfants pendant que lui continuait à nous informer, se permettant seulement quelques larmes aux yeux. Mais, ce n’est pas tout. Quelques mois plus tard, Wael Al-Dahdouh est ciblé par un missile israélien, et si lui échappe avec des blessures, il perd son cameraman Samer Abu Daqqa tué sur le coup. Et pour achever sa tragédie personnelle, son fils aîné, également journaliste, est tué par une frappe aérienne, début janvier 2025…
Hélas, le cas de ce grand Monsieur qu’est Wael Al-Dahdouh n’est pas du tout exceptionnel. Selon le Committee to Protect Journalists basé aux Etats-Unis, « au moins 166 journalistes et professionnels des médias comptent parmi les dizaines de milliers de personnes tuées à Gaza, en Cisjordanie, en Israël et au Liban depuis le début de la guerre, ce qui en fait la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le CPJ a commencé à recueillir des données en 1992 » !(1) Mais, selon Al Jazeera elle-même, qui publie une enquête éloquemment titrée « Apprenez leurs noms » avec les images et les noms des « Journalistes Palestiniens tués par Israël à Gaza », le bilan est encore plus terrible : « du 7 octobre 2023 au 25 décembre 2024, au moins 217 journalistes et professionnels des médias ont été tués à Gaza. Cinq autres ont été tués le 26 décembre lorsqu’une frappe aérienne israélienne a visé une camionnette de presse près de l’hôpital al-Awda. Ces meurtres de journalistes les plus récents soulignent l’environnement périlleux dans lequel les professionnels des médias opèrent à Gaza. En termes simples, il s’agit du pire conflit jamais vécu par les journalistes ».(2)
Du jamais vu de mémoire de journaliste ! Un vrai carnage sans pareil dans l’histoire de la presse mondiale ! Car pour Israël, l’élimination des journalistes palestiniens constitue une priorité absolue que seule l’élimination systématique des médecins palestiniens pourrait concurrencer. D’autant plus que les journalistes Palestiniens de Al Jazeera sont depuis de longs mois, les seuls à couvrir sur place le génocide en cours de leur peuple par Israël. Car tous les autres médias internationaux s’en abstiennent, a trop peu d’exceptions près. (3)
C’est pourquoi il suffirait de suivre Al Jazeera pendant quelques heures pour réaliser que ce que font, ou plutôt ne font pas toutes les autres chaînes de télévision de par le monde, est tout simplement de la…désinformation, du pur lavage de cerveau. Et cela parce que Al Jazeera ne parle pas du tout exclusivement de la Palestine ou même du Moyen Orient. Elle s’occupe, avec des correspondants sur place ( !) de tout le monde, de l’Irlande du Nord et du Botswana, à l’Indonésie et la Nouvelle Zélande. Et surtout, elle accorde une grande importance, avec des enquêtes approfondies, aux grandes questions de nos temps comme le féminisme et la condition des femmes, la catastrophe climatique et la lutte des mouvements écologiques, le racisme et l’antisémitisme, les droits et l’oppression des LGBT, la famine au monde, etc. Et toujours du côté des faibles et avec le regard et la sensibilité de ceux d’en bas, ce qui amène Al Jazeera à donner la priorité à tous ceux que nos médias méprisent et « oublient » traditionnellement, comme l’Afrique noire, les pays de l’océan Indien, ceux de l’ex-URSS ou…les nations et les peuples indigènes. A l’opposé de ce que font tous nos grands médias, pour Al Jazeera il n’y a pas des vies et des morts qui comptent plus ou moins que d’autres, ce qui la conduit p.ex. à donner souvent la parole aux parents des otages Israéliens détenus par Hamas et même à des généraux et des officiels Israéliens qui défendent les politiques du gouvernement Netanyahou ! En somme, à faire des choses qui sont tout simplement impensables non seulement pour les médias israéliens, mais aussi pour les grands médias de nos pays occidentaux. Alors, notre conclusion est simple et va de soi : pour ceux et celles qui voudront se faire une opinion de ce qu’est cette Al Jazeera si haïe par Netanyahou et ses amis occidentaux et autres, voici le lien sur lequel il suffirait de cliquer pour suivre ses émissions en direct : https://www.aljazeera.com/live
Et n’oubliez pas en cliquant sur la vidéo ci-dessous, d’écouter la chanson pour Hani Mahmoud et son collègue Tareq Abu Azzoum que le Woodie Guthrie de nos temps qu’est (le juif américain) David Rovics, a composé et chanté.
Notes
1. https://cpj.org/2025/01/journalist-casualties-in-the-israel-gaza-conflict/
3. Voir aussi notre article de janvier 2023 « Parce qu’il ne veut pas de témoins de ses crimes, Israël tue méthodiquement les journalistes qu’il ne peut faire taire! »: https://www.cadtm.org/Parce-qu-il-ne-veut-pas-de-temoins-de-ses-crimes-Israel-tue-methodiquement-le