Le réseau des Juifs Européens pour une Paix Juste (EJJP en anglais, JEPJ en français), dont l’UJFP est membre, s’est vu refuser par la Commission Européenne la participation à un comité consultatif sur la stratégie à adopter pour lutter contre l’antisémitisme et favoriser une vie juive en Europe. Après plusieurs échanges de lettres avec les autorités de la Commission qui n’ont donné en réponse aucune explication à leur refus, une lettre ouverte a été rédigée le 5 juillet afin de faire connaître publiquement comment l’Union Européenne fait l’amalgame entre critique d’Israël et antisémitisme.
Nous reproduisons ici cette lettre qui appuie sa contestation de l’attitude de la Commission sur un rappel de la charte européenne des droits fondamentaux et sur la déclaration du Conseil de l’Europe de décembre 2018 sur la lutte contre l’antisémitisme. Le texte procède ensuite à une critique de la définition de l’IHRA qui a diffusé dans le monde entier une assimilation de toute critique d’Israël à de l’antisémitisme. EJJP développe en regard la défense et illustration de la déclaration de Jérusalem (JDA en anglais, DJA en français). L’UJFP a adopté une position critique sur cette déclaration. Nous considérons que sa focalisation quasi totale sur l’antisémitisme dans le contexte d’Israël-Palestine, contribue à valider, au lieu de le combattre, l’argument de l’assimilation de l’antisionisme avec l’antisémitisme. D’autre part cette déclaration ne prend pas en compte les droits légitimes des Palestiniens ni le contexte colonial dans lequel parler d’égalité n’a aucun sens. Cette déclaration n’évoque à aucun moment l’antisémitisme d’extrême droite et suprématiste blanc qui monte pourtant en Europe et aux États Unis. On retrouve les réserves et les critiques de l’UJFP dans le texte qu’elle a signé avec des associations juives dont Jewish Voice for Peace[1].
Nous publions néanmoins la lettre ouverte de EJJP car elle s’inscrit dans une démarche contestataire menée depuis plusieurs mois vis-à-vis de la Commission Européenne sur le sujet très sensible de l’antisémitisme et qu’en dehors de ce réseau, nulle autre organisation juive ne tente de faire changer la position de l’Europe ; au contraire, la plupart font pression pour renforcer les liens entre l’Europe et Israël et pour dénoncer et écarter toutes les voix qui réclament justice en Palestine.
Nous souhaitons, de plus, diffuser largement ce texte dans le mouvement de soutien à la Palestine et parmi les organisations juives de France afin que soient démasqués la Commission Européenne et les participants au comité consultatif employés à propager une vision fausse de l’antisémitisme au profit de la politique israélienne.
[1] https://ujfp.org/principes-pour-le-demantelement-de-lantisemitisme-une-reponse-juive-progressiste-a-la-jda-declaration-de-jerusalem-sur-lantisemitism
Adresse des Juifs Européens pour une Paix Juste à la consultation sur la « stratégie de lutte contre l’antisémitisme et de promotion de la vie juive dans l’UE » et la feuille de route qui lui est associée.
Introduction
EJJP est la seule organisation juive européenne progressiste regroupant douze groupes juifs dans sept États membres de l’UE, au Royaume-Uni et en Suisse. Nous faisons partie d’un réseau plus large d’organisations juives progressistes, dont certaines sont aux États-Unis et au Canada.
Nous sommes d’accord avec la nécessité d’avoir une stratégie pour combattre l’antisémitisme et encourager la vie juive dans l’UE. Notre proposition concerne l’objectif de la lutte contre l’antisémitisme. Nous avons de sérieuses réserves sur la feuille de route de la Commission à cet égard.
Ces dernières années, la question de l’antisémitisme s’est inextricablement mêlée au droit de critiquer Israël. Cela est dû en grande partie au fait que, depuis 2016, les grandes organisations juives communautaires, soutenues par le gouvernement israélien, ont activement promu la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) et les exemples qui y sont associés. La définition et les exemples sont formulés de manière à créer une confusion entre la critique d’Israël et l’antisémitisme, et sont utilisés par ses partisans pour prétendre qu’une grande partie de la critique fondamentale d’Israël est antisémite Notre soumission est composée de six sections.
A | Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne |
B | Déclaration du Conseil sur la lutte contre l’antisémitisme et le développement d’une approche commune sur la sécurité pour mieux protéger les communautés et institutions juives en Europe (décembre 2018). |
C | Définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. |
D | Manuel pour l’utilisation pratique de la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA (janvier 2021). |
E | Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme |
F | Recommandations |
A. La Charte des droits fondamentaux
1. La feuille de route cite la Charte de manière déséquilibrée. Elle dit « En outre, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit, entre autres, que toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions, la race, la couleur, l’origine ethnique ou sociale est interdite ». Cette citation est tout à fait justifiée, mais à l’article 11, la Charte dit aussi « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. » Ce point est tout aussi important et devrait également être cité.
2. En 2016, la Haute Représentante Federica Mogherini, a confirmé : » L’UE est fermement décidée à protéger la liberté d’expression et la liberté d’association conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui est applicable sur le territoire des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions de BDS menées sur ce territoire « . La liberté d’expression, comme le souligne la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, s’applique également aux informations ou idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une partie de la population. L’UE rejette les tentatives de la campagne BDS d’isoler Israël et s’oppose à tout boycott d’Israël. »
3. Si la Commission a le droit de mener sa politique d’opposition au boycott d’Israël, elle a également le devoir de reconnaître le droit des citoyens à prôner le BDS, comme l’a fait Mme Mogherini en 2016.
B. Déclaration du Conseil (décembre 2018)
1. La déclaration du Conseil fait cette déclaration : » CONSTATANT que l’antisémitisme – y compris lorsqu’il est déguisé sous le couvert d’opinions politiques – ainsi que le néonazisme suscitent une grande inquiétude au sein des communautés juives de plusieurs États membres « , le terme « opinions politiques » désigne clairement la critique d’Israël.
2. La déclaration est justifiée, mais elle est néanmoins gravement déséquilibrée car elle ne reconnaît pas l’inquiétude justifiée de nombreuses personnes sur l’inverse. Les tentatives de suppression de la critique fondamentale d’Israël peuvent se cacher derrière des allégations d’antisémitisme tout aussi facilement que l’antisémitisme peut se cacher derrière la critique d’Israël. La Commission devrait reconnaître les deux possibilités.
3. Les personnes très critiques à l’égard d’Israël ont le droit d’exprimer leur point de vue tout autant que les communautés juives ont le droit d’être protégées contre l’antisémitisme. Mais bien sûr, les deux groupes ne s’excluent pas mutuellement. Il existe de nombreux juifs qui critiquent Israël.
C. Définition pratique de l’antisémitisme par l’IHRA
1. La Commission s’appuie exclusivement sur la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste et sur les « exemples contemporains d’antisémitisme » qui lui sont associés pour juger de ce qui est ou n’est pas antisémite. C’est une grave erreur. La définition de travail est inadéquate ; les exemples mélangent certains exemples qui seraient antisémites en toutes circonstances et d’autres qui pourraient l’être ou non selon le contexte, sans les différencier ; et certains des exemples sont fortement biaisés en faveur de l’interprétation de la critique fondamentale d’Israël et la protestation contre la politique israélienne comme antisémites. Le fait qu’il n’y ait pas d’exemples de commentaires liés à Israël qui ne soient pas antisémites indique la nature biaisée de la définition de l’IHRA.
2. La définition de travail
La « définition de travail » se compose de ces deux phrases :
« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par une haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées vers des individus juifs ou non juifs et/ou leurs biens, vers des institutions communautaires juives et des installations religieuses. »
Cette définition est d’une imprécision déconcertante et ne répond pas au premier critère d’une définition, qui est de définir. Elle peut être comprise de différentes manières et est donc fondamentalement inutile pour juger si un commentaire particulier est antisémite. Deux des nombreuses questions qui se posent suffiront à l’illustrer : Que signifie « une certaine perception » ? Qu’est-ce que « peut être exprimé comme de la haine » est censé inclure ou exclure, puisque « peut être » implique « peut ne pas être » ?
3. Les exemples
Il y a 11 exemples, dont sept se rapportent à Israël. Deux en particulier se prêtent à l’interprétation d’une critique fondamentale d’Israël et d’une protestation contre les politiques israéliennes comme étant antisémites. Un examen rigoureux du contexte d’un commentaire ou d’une protestation peut être un correctif contre le préjugé, mais il n’est généralement pas effectué lorsque des allégations d’antisémitisme sont formulées.
3.1 Le premier exemple
Il s’agit de « Nier au peuple juif son droit à l’autodétermination, par exemple en prétendant que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste ». La logique glissante de cette déclaration défie toute compréhension claire. Elle semble dire que prétendre qu’Israël est nécessairement raciste est le moyen de refuser au peuple juif son droit à l’autodétermination, mais en fait, elle ne dit pas cela du tout. Il s’agit d’une formule qui signifie « par exemple », et non « c’est-à-dire ».
En d’autres termes, l’exemple dit que ce n’est qu’une façon d’affirmer que les Juifs n’ont pas le droit à l’autodétermination. Il n’a aucune fonction logique dans l’exemple. Sa seule fonction semble être la fonction psychologique consistant à faire en sorte que les gens hésitent à affirmer qu’Israël est raciste, de peur d’être accusés d’antisémitisme, même si cela peut être soutenu sur des bases empiriques.
L’exemple élude également deux concepts d' »autodétermination » complètement différents, à savoir culturel et territorial. Ce que l’on pourrait appeler l’autodétermination culturelle, incluant par exemple la liberté de religion, la liberté de pratiquer des rituels et des coutumes à condition qu’ils ne nuisent pas à d’autres personnes, et la liberté d’utiliser les ressources naturelles d’association avec des personnes partageant les mêmes idées, est le droit de chacun, y compris des Juifs. Ce droit ne prête pas à controverse. Il ne nécessite pas un territoire ou un État juif pour que les Juifs puissent le pratiquer. Il est pratiqué par les 50% des Juifs du monde qui choisissent de ne pas vivre en Israël.
En revanche, il n’existe pas de droit à l’autodétermination territoriale, défini comme le fait de gouverner un territoire, possédé par des personnes en raison de leur religion ou de leur ethnie. Ce droit n’est acquis que par la population qui a vécu sur un territoire donné pendant une période prolongée, et l’ensemble de la population du territoire partage ce droit.
En éludant les deux concepts, la définition de l’IHRA semble conférer une légitimité incontestable au sionisme en tant que philosophie de l’autodétermination territoriale juive en Palestine. Cette affirmation est toutefois fallacieuse, car les Juifs représentaient moins de 5 % de la population de la Palestine à l’époque des premières implantations sionistes, dans les années 1880. Les Juifs ne représentaient toujours qu’un tiers de la population au moment de la résolution de partage des Nations unies en 1947, malgré les années d’immigration sioniste.
Pour ces seules raisons, la philosophie du sionisme ne peut être nécessairement constitutive de l’identité juive, et par conséquent, être antisioniste ne peut être synonyme d’antisémitisme.
D’autres raisons résident dans les profondes contradictions morales inhérentes à l’implantation sioniste en Palestine et à la formation d’Israël. Le sionisme était une idéologie minoritaire à ses débuts (et l’est resté pendant de nombreuses années). Néanmoins, il constituait une réponse compréhensible à des siècles d’antisémitisme européen. La nécessité d’une réponse est devenue aiguë après le traumatisme de l’Holocauste, car les Juifs européens survivants avaient sans aucun doute besoin d’un sanctuaire, mais cela ne changeait rien au fait que le droit à l’autodétermination en Palestine appartenait à la grande majorité de la population indigène de Palestiniens musulmans et chrétiens.
L’événement prééminent pour les Palestiniens dans la formation d’Israël a été la Nakba (catastrophe), l’exode de près de 90 % des Palestiniens des zones conquises par les forces sionistes, puis israéliennes, lors de la guerre de 1947-1949. La moitié d’entre eux environ a été expulsée sous la menace des armes et l’autre moitié a fui dans la peur. Des massacres ont eu lieu lors de plusieurs de ces expulsions. Les historiens estiment généralement l’exode à 700 000 à 750 000 personnes. Aucune n’a été autorisée à revenir par le gouvernement israélien. Ces personnes, ainsi que leurs enfants et petits-enfants, sont les réfugiés palestiniens d’aujourd’hui.
Si la convention sur le génocide avait été en vigueur à l’époque, la Nakba aurait pu être qualifiée de génocide. La signification politique de la Nakba a également été profonde. Elle a fait passer la petite majorité palestinienne de la région à une grande majorité juive. C’est ainsi qu’Israël est devenu un État juif de fait et de nom.
Pour ces raisons, être antisioniste est une réponse justifiée à ce qui a été fait aux Palestiniens. Dire aux gens que c’est antisémite parce que cela viole un exemple de la Convention internationale sur les droits de l’homme est une violation flagrante de leur droit à la liberté d’expression. Dire aux Palestiniens que c’est antisémite est une insulte grossière.
3.2 Le deuxième exemple
Il s’agit d' »appliquer deux poids, deux mesures en exigeant de lui {Israël} un comportement que l’on n’attend ou n’exige d’aucune autre nation démocratique ». Cette déclaration implique qu’Israël, étant démocratique, se comporte comme les démocraties établies, et devrait donc être traité de la même manière. Mais, bien sûr, cette implication est fausse.
Israël est une démocratie très imparfaite dans la mesure où il maintient une politique systématique de discrimination raciste à l’encontre des 20% de ses citoyens qui sont palestiniens. Depuis 1967, il occupe et colonise illégalement les 22% de la Palestine mandataire britannique qu’il n’a pas conquis en 1948. Il y a créé un système d’apartheid, favorisant ses propres colons au détriment des Palestiniens autochtones.
Dans une tournure orwellienne du langage, cet exemple est régulièrement utilisé pour faire des allégations d’antisémitisme contre les personnes qui prônent le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions pour protester contre la politique israélienne, au motif qu’elles exigent d’Israël des normes de comportement supérieures à celles d’autres démocraties. En réalité, les gens essaient de faire respecter les mêmes normes à Israël.
4. Les tentatives d’interdire les réunions de protestation où le BDS et/ou l’antisionisme seront défendus sont devenues courantes, tout comme les allégations contre les individus qui ont défendu le BDS ou l’antisionisme. La justification couramment donnée est que l’un de ces deux exemples a été violé. C’est l’un des effets les plus délétères de l’adoption de la définition de l’IHRA.
5. Pourtant, les tribunaux de divers pays ont rendu au moins 16 décisions selon lesquelles le plaidoyer BDS est légal et n’est pas antisémite. (Voir la section D.2.2 pour plus de détails).
6. En s’appuyant exclusivement sur la définition de l’IHRA comme moyen de juger si un commentaire ou un événement particulier est antisémite, la Commission a involontairement orienté les gens vers de fausses croyances sur l’antisémitisme. Ce faisant, elle les a découragés d’exercer leur droit à la liberté d’expression. La Commission devrait donc modifier son recours exclusif à la définition de l’IHRA.
D. Manuel pour l’utilisation pratique de la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA (janvier 2021)
Au lieu de corriger l’inadéquation de la définition et le parti pris contre la critique fondamentale d’Israël dans certains des exemples, ce manuel amplifie malheureusement ce parti pris.
1. Les exemples
1.1 Cette section du manuel présente 11 incidents réels pour illustrer comment chacun des 11 « exemples contemporains d’antisémitisme » a été utilisé avec succès pour identifier l’antisémitisme. La méthodologie n’est pas solide car elle ne présente aucun incident concernant une allégation basée sur un exemple qui a été rejetée parce que l’exemple a été mal appliqué. Cela incitera les utilisateurs du manuel à s’attendre à ce que les allégations soient valides, alors qu’ils devraient garder un esprit ouvert sur toute allégation donnée.
1.2 Cette situation est injuste pour les personnes faisant l’objet d’allégations, car elles sont susceptibles d’avoir des idées préconçues sur leur culpabilité. Elle est également injuste dans le sens plus large où les personnes qui critiquent Israël peuvent être empêchées d’exprimer leurs opinions par crainte d’être accusées d’antisémitisme et de subir de graves conséquences dans leur emploi ou dans les partis politiques auxquels elles appartiennent.
1.3 En fait, les allégations sont souvent rejetées après enquête. Au sein du parti travailliste britannique, par exemple, entre avril 2018 et juin 2019, 18 % des allégations ont été jugées sans fondement, et si la moitié des allégations encore en cours d’enquête à la fin de la période étaient également sans fondement, alors le chiffre passerait à 49 %.
2. Le pouvoir judiciaire
2.1 Cette section du manuel est une discussion générale sur la manière dont la police, les juges et les procureurs peuvent utiliser la distinction de l’IHRA pour identifier les incidents et les crimes comme étant antisémites. Toutefois, la section omet de mentionner les nombreuses décisions de justice rendues ces dernières années en faveur de la défense du BDS.
2.2 Dix-sept décisions ont été rendues par des cours de justice dans différents pays, selon lesquelles la défense du BDS est légale et n’est pas antisémite. (Cela inclut l’avis de la Harvard Law School Review qui arrive à la même conclusion). Il existe également plus de 80 cas enregistrés dans ces mêmes pays de législatures régionales et nationales adoptant des résolutions en ce sens. Il existe littéralement des centaines de cas de collectivités locales, de fonds de pension, de syndicats et d’universités qui pratiquent le BDS en matière d’approvisionnement, d’investissement et de réduction des activités conjointes avec des institutions israéliennes. (Voir les données du comité national BDS à l’adresse suivante : https://visualizingpalestine.org/collective-action-timeline#timeline) .
2.3 Cette omission est une défaillance majeure dans un manuel qui prétend offrir des conseils sur l’utilisation de la définition de l’IHRA pour identifier les commentaires, décisions et événements antisémites. La Commission partage la responsabilité de cet échec du fait qu’elle a parrainé et publié le manuel.
3. Recommandations concernant les programmes de financement
3.1 À première vue, l’idée est bonne, mais les recommandations spécifiques révèlent un sérieux problème. Elles prévoient le financement de « programmes contre l’antisémitisme basés sur et diffusant la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA », et « un mécanisme de contrôle pour éviter le financement de groupes et de projets antisémites ». La recommandation de financement est évidemment dépendante de toute la faiblesse et du parti pris de la définition de l’IHRA sur l’antisémitisme.
3.2 La recommandation relative au refus de financement est insidieuse car elle vise non seulement des projets spécifiques, mais aussi les groupes eux-mêmes. Elle fait référence à des « groupes antisémites » sans chercher à les définir, de sorte que la question se pose nécessairement de savoir comment les autorités de financement sont censées savoir si un groupe est antisémite. Ce n’est que dans la frange d’extrême droite de la société que les néonazis et autres groupes néofascistes se déclarent ouvertement antisémites, et certains d’entre eux tentent de le cacher. Ces groupes d’extrême-droite sont très peu nombreux. Par conséquent, il est fort probable que les autorités de financement interprètent cette recommandation comme un refus de financement à tous les groupes qui expriment leur droit légal de soutenir BDS ou de remettre en question le sionisme, et même à tout groupe qui ne soutient pas positivement la définition de l’IHRA.
3.3 Cela contreviendrait aux garanties des droits à la liberté d’expression et de réunion prévues par les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ont été largement interprétés comme incluant l’interdiction de refuser des distinctions ou des financements publics.
E. La Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme
1. EJJP soutient la Déclaration de Jérusalem sur l’Antisémitisme (JDA ou DJA en français), qui fournit une bien meilleure définition de l’antisémitisme que la Déclaration de l’IHRA. Idéalement, elle devrait remplacer celle de l’IHRA dans la déclaration du Conseil ou être adoptée à côté d’elle afin de fournir un moyen clair de juger si un commentaire ou un événement donné est antisémite.
2. Les auteurs de la déclaration sont un groupe international d’éminents universitaires dans les domaines de l’histoire de l’Holocauste, des études juives, des études et de la philosophie du Moyen-Orient. La Déclaration est approuvée par plus de 200 universitaires de plusieurs pays. Les auteurs et les signataires ne partagent pas tous les mêmes opinions politiques et ne cherchent pas à promouvoir un programme politique partisan.
3. La DJA se compose d’un préambule, d’une définition, des lignes directrices générales, d’exemples de commentaires sur Israël et la Palestine qui, à première vue, sont antisémites, et d’exemples de commentaires sur Israël et la Palestine qui, à première vue, ne sont pas antisémites.
- La définition est la suivante : « L’antisémitisme est une discrimination, un préjugé, une hostilité ou une violence à l’encontre des Juifs en tant que Juifs (ou des institutions juives en tant que juives) ». Cette définition est précise et ne prête pas à une mauvaise interprétation.
- Les lignes directrices générales fournissent un contexte historique, identifient les similitudes entre l’antisémitisme et les autres formes de racisme et la particularité de l’antisémitisme ; elles identifient les formes que peut prendre l’antisémitisme, et précisent que la négation ou la minimisation de l’Holocauste est toujours antisémite.
- Les deux séries d’exemples liés à Israël/Palestine fournissent une base pour différencier logiquement les critiques légitimes d’Israël de l’antisémitisme.
- Les lignes directrices soutiennent la légitimité de la critique du sionisme, de la critique fondamentale de la politique israélienne et de la promotion du Boycott, du Désinvestissement et des Sanctions (BDS) pour protester contre la politique israélienne.
- Bien que EJJP soit en désaccord avec une ou deux de ses formulations, nous considérons la DJA comme un document solide et juste. Elle est conforme au droit à la liberté d’expression qui est protégé par l’article 10(2) de la Convention des droits de l’homme, en vertu duquel les autorités publiques ont l’obligation de créer un environnement favorable à la participation aux débats publics pour toutes les personnes concernées, leur permettant d’exprimer leurs opinions et leurs idées sans crainte, même si ces opinions et ces idées sont contraires à celles défendues par les autorités officielles ou par une grande partie de l’opinion publique.
F. Recommandations à la Commission européenne sur sa stratégie de lutte contre l’antisémitisme
- La Commission devrait faire explicitement référence à la protection de la liberté d’expression dans sa stratégie, comme le stipulent la Charte des droits fondamentaux de l’UE, les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la CEDH.
- La Commission devrait modifier sa dépendance exclusive à l’égard de la définition de l’IHRA et envisager de se référer à d’autres outils pour surveiller l’antisémitisme, tels que la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme.
- La Commission devrait cesser de promouvoir le Manuel pour l’utilisation pratique de la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA et ne devrait pas encourager l’utilisation de la définition de travail de l’IHRA à des fins de financement.
5 juillet 2021