Il y a quelques jours, Charlie-Shalom Biton ( צ’רלי-שלום ביטון ) a été enterré à Givat Shaul (il est décédé le 24 février dernier), cimetière de la banlieue est de Jérusalem, non loin des lieux où il a passé son enfance et sa jeunesse.
Il y a quelques jours, ceux qui on enterré Charlie-Shalom Biton ( צ’רלי-שלום ביטון ) à Giv’at Shmuel, décédé le 24 février dernier, ont dû penser qu’il y avait une certaine ironie à se retrouver dans cette banlieue plutôt chic de Tel Aviv, une cité créée par un Juif ashkénaze et jumelée à 3 villes européennes (Allemagne, Pologne et Russie)… Charlie, Juif marocain, a été surtout connu comme un défenseur des Juifs sépharades et orientaux et un des fondateurs du mouvement social le plus important d’Israël qui a remis en question l’organisation, raciste, de la société israélienne.
Ironies, décalages de l’Histoire… Charlie Biton, le combattant laïque antisystème, défenseur des méprisés, un des fondateurs du mouvement social le plus marquant d’Israël se retrouve parmi les tombes de nombreuses personnalités juives (politique, culture… et un grand nombre de rabbins importants) a eu droit a un hommage du Président Itshak Herzog: ”…l’un des fondateurs du mouvement des ”Panthères noires”, était un leader social et politique révolutionnaire, qui a mené une lutte publique importante, courageuse et déterminée pour les Mizrahis en particulier et les couches sociales défavorisées en général. Il veillait à faire entendre les voix de ceux qui n’étaient pas entendus et à œuvrer pour un changement social significatif dans notre pays ”.
« On ne nait pas révolutionnaire, on le devient » avait dit Charlie à la TV israélienne, reprenant sans le savoir les paroles de Lazare Carnot, notre révolutionnaire, illustrant ainsi ce qu’alors avait été sa vie. Né en 1947 à Casablanca, il émigre avec sa famille en Israël à l’âge de 2 ans. L’administration les installe à Mousrara (مصرارة – מוסררה), un ancien quartier bourgeois de la Jérusalem ottomane dont les habitants avaient fui pendant la Nakba. C’était alors la politique israélienne : utiliser les immigrants des pays arabes, les Mizrahis, pour créer le prolétariat dont l’Etat avait besoin et pour occuper les villes palestiniennes ou celles fondées aux confins du pays.
Charlie grandit donc conformément au schéma prévu dans une ville oubliée du développement du pays (le cycle habituel emplois précaires/ pauvreté/criminalité) où il fait de brèves études (une formation professionnelle), de la petite délinquance et commence à se révolter contre un racisme qu’il ne soupçonnait pas en Israël.
Charlie avec ses camarades de galère, Reuven Abergel, Kochavi Shemesh, Sa’adia Marciano, Roni Orovitz, Meir Levi et Eli Avichzer décident en 1970 d’organiser leurs protestations contre le statut inférieur assigné aux Mizrahis créant un mouvement « Les panthères noires (הפנתרים השחורים, haPanterim haShkhorim), allusion à la radicalité des Black Panthers américains et sans doute aussi au surnom donné aux Mizrahis, « animaux noirs » ( חיות שחורות , khayot chkhorot).
Mouvement laïque les Panthères protestent contre le refus de l’establishment de reconnaître le caractère ethnique de certaines formes d’inégalité sociale en matière de logement, de salaire, de représentation politique, dans le domaine culturel, etc.
L’année suivante, le 18 mai 1971, entre 5 et 7000 personnes (un nombre énorme, l’équivalent de 50 à 80 000 manifestants en France) manifestent contre le racisme et la pauvreté devant la mairie de Jérusalem. Le maire, Teddy Kolleg, les traitant avec mépris avec un « Ils marchent sur mes pelouses » déclenche alors la fureur de la foule ; il y aura plus d’une centaine de blessés (dont 2/3 de policiers). Cet évènement sera appelé la « Nuit des panthères ».
Le symbole des Panthères noires d’Israël.
Golda Meir, alors Première ministre, le commentera d’une façon méprisante restée célèbre : « Ils ne sont pas présentables » (הם לא חמודים, Hem lo khamoudim).
Cette dénonciation du non-fonctionnement du « melting pot » israélien et leurs nombreuses manifestations et actions (un jour ils iront voler les bouteilles de lait livrées au matin devant les maisons bourgeoises pour les distribuer dans les bidonvilles de Jérusalem…) leurs vaudront d’être sévèrement pourchassés par la police.
En 1973 une première tentative de participation aux élections législatives se soldera par un échec pour les Panthères. Mais aux élections suivantes, en 1977, Charlie et Kochavi Shemesh représenteront les Panthères dans le Front démocratique pour la paix et l’égalité rassemblant Juifs et Palestiniens et connu par son acronyme hébreu, Hadash (חד״ש ).
Le logo du Hadash
Seul Charlie Biton sera élu. Fidèle à son engagement avec les Panthères il va choquer l’establishment, revendiquant pour les Mizrahis leur proximité avec le monde arabe et rencontrant le dirigeant national palestinien Yasser Arafat en 1980 (premier Israélien de haut niveau à le rencontrer).
Charlie sera réélu 3 fois (scrutins de 1981, 1984 et 1988).
Michel Ouaknine