Les images d’un jeune homme tirant sans relâche ont fait le tour d’Internet la semaine dernière. Malgré les multiples balles qui lui transpercent le corps, le jeune homme persiste, même lorsqu’il ne peut plus se tenir debout. Après avoir épuisé ses munitions, il fouille dans sa poche pour en trouver d’autres alors qu’un barrage de balles l’atteint.
Les commentateurs ont décrit ces images comme une scène de bataille épique tirée d’un film d’action, mais ces images ne sont pas de la fiction. Elle montre le défi d’Udai Tamimi face aux forces de sécurité israéliennes à l’entrée de la colonie illégale de Ma’ale Adumim le 19 octobre.
Âgé de 22 ans et originaire du camp de réfugiés de Shuafat, Udai a commencé son voyage vers le martyre le 7 octobre, lorsqu’il a abattu un soldat israélien à un poste de contrôle menant à Shuafat. Les lieux qu’il a ciblés ne sont pas le fruit du hasard ; ces sites représentent l’oppression palestinienne et le colonialisme israélien en cours dans des zones d’importance stratégique pour l’État israélien.
Le poste de contrôle a été érigé pendant la deuxième Intifada. En 2009, Israël a annoncé la transformation du mur supposé temporaire en un « passage international », séparant de fait les zones qui relèvent de la municipalité israélienne de Jérusalem et celles qui relèvent de la Cisjordanie et faisant des résidents des prisonniers.
Le camp revêt une importance stratégique car il relie les villages palestiniens du nord et de l’est de la ville de Jérusalem. À ce titre, l’annexion des terres du camp fragmenterait non seulement les communautés palestiniennes restantes à Jérusalem, mais relierait également une chaîne de colonies israéliennes illégales (dont Ma’ale Adumim) englobant la ville.
En janvier, Israël a déclaré l’annexion de 500 dunams de terre du village d’Issawiya, du camp de Shuafat et de la ville d’Anata, dans le but d’unir les colonies israéliennes – une preuve que la solution à deux États est un mythe.
Le camp de réfugiés comme site de résistance
La capacité d’Udai à mener deux opérations dans des zones d’importance stratégique pour l’État israélien et à échapper à son arrestation pendant 12 jours a capté l’attention des médias populaires alors que l’armée israélienne assiégeait et raflait le camp. Le camp de réfugiés dans l’histoire populaire est bien plus qu’un simple site d’oppression. Le camp de Shuafat, comme beaucoup d’autres, est synonyme de détermination.
Historiquement, la révolution anticoloniale palestinienne a été façonnée par les camps de réfugiés de Jordanie et du Liban et y a pris racine. Avec la montée de la résistance palestinienne armée au siècle dernier, la figure et la représentation du réfugié sont passées d’une personne appauvrie au guerrier héroïque qu’Udai symbolise aujourd’hui pour les Palestiniens.
Avec le siège du camp par Israël, les images de jeunes garçons se rasant la tête par solidarité pour l’aider à échapper à la capture ont inondé les réseaux sociaux. Les souvenirs de la révolution paysanne de 1936 sont bien vivants ici, lorsque les Palestiniens des villes portaient les Keffiyehs que portaient habituellement les révolutionnaires afin de dissuader les militaires britanniques de capturer leurs cibles.
Selon les analystes militaires israéliens, la deuxième opération d’Udai démontre un échec massif des appareils de sécurité d’Israël. Ces formes de soutien communautaire à la résistance sont ce que les Palestiniens appellent Al Hadena Al Sha’bya – le berceau populaire.
Le 12 octobre, cinq jours après la première attaque d’Udai et le siège du camp par Israël, le nouveau groupe de résistance palestinien basé à Naplouse, Areen Al-Usud (la Fosse aux Lions), a appelé à sa première grève générale à travers Jérusalem et la Cisjordanie en solidarité avec Udai et le camp de Shuafat.
Areen Al-Usud
Tout comme le camp de réfugiés de Shuafat, la ville de Naplouse est soumise à un siège militaire complet depuis le 11 octobre, à la suite d’une opération menée par la Fosse aux Lions qui a entraîné la mort d’un soldat israélien près du village de Sebastia. À ce jour, le groupe a été responsable de plus de 35 opérations.
L’inspiration de la Fosse aux Lions est venue des affrontements qui ont eu lieu dans le camp de réfugiés de Jénine au cours des six derniers mois. En ce sens, la formation de la Fosse aux Lions fait partie d’un phénomène qui a secoué le nord de la Cisjordanie, avec la formation des Brigades de Jénine et des Brigades de Naplouse.
Au départ, leur objectif était d’affronter les soldats et de protéger la ville lors des raids militaires et de l’assaut de Naplouse par les colons israéliens. Toutefois, plus récemment, le groupe est passé à l’offensive, en misant sur l’élément de surprise et en déclarant son intention d’attaquer l’occupation au lieu de se contenter de défendre les Palestiniens face à elle. Ils ont souligné à plusieurs reprises que la résistance armée enracinée dans Al Hadena al Sha’bya est la voie de la libération.
Al Hadena al Sha’bya – le berceau populaire
Le principe du berceau populaire a une longue histoire au sein de la résistance palestinienne, et se voit réimaginé aujourd’hui dans le contexte des réseaux sociaux et de la Fosse aux Lions. Le berceau populaire dénote un état de cohésion entre la résistance et les masses, amenant la résistance à devenir un état d’être général.
Il existe différentes formes de ce soutien, notamment matérielles, morales, financières et sociales. Il peut s’agir, par exemple, de dissuader l’ennemi, d’héberger des fugitifs, d’avertir la résistance d’un éventuel danger, de produire de la littérature et des médias qui soutiennent la résistance, et bien plus encore.
Ce que ces groupes ont fini par comprendre, comme l’a souligné à plusieurs reprises la Fosse aux Lions, c’est que la résistance ne peut avoir lieu sans le berceau populaire. Non seulement le groupe tient le peuple informé de ses activités, de ses opérations et de ses intentions, mais il communique également avec le public concernant le soutien sur le terrain de ses opérations.
Il s’agit notamment de demandes de grève générale, de blocage des routes afin de détourner l’attention de l’armée et d’arrêter les raids, et de demandes aux gens d’éteindre leurs caméras de vidéosurveillance pour assurer la sécurité des militants.
Les Palestiniens sont descendus dans la rue à plusieurs reprises pour soutenir le groupe, des chants ayant été entendus d’Haïfa à Gaza. Sur les réseaux sociaux, les partisans partagent des chansons, des vidéos et promettent leur soutien au groupe. La logique du berceau populaire exige un sens de la synchronicité entre les deux, par lequel les masses peuvent commencer à anticiper ce dont la résistance a besoin dans des situations urgentes.
Rien ne le démontre mieux que l’invasion de Naplouse par une unité armée israélienne aux premières heures du 25 octobre. Malgré de lourds affrontements de munitions, des centaines de jeunes sont descendus dans la rue pour soutenir la Tanière des Lions. En ce sens, le berceau populaire comprend des personnes prêtes à supporter les coûts de la résistance.
Les jeunes Palestiniens sont les nouveaux leaders de la résistance
Bien que plusieurs brigades aient fonctionné pendant la deuxième Intifada, ce qui distingue ce phénomène, c’est que la Fosse aux Lions représente un groupe de jeunes qui se sont réunis pour défendre leur peuple. Comme Udai, le groupe nouvellement formé représente une nouvelle génération de jeunes Palestiniens qui en ont assez du colonialisme et de ses collaborateurs palestiniens. Il s’agit d’un groupe non hiérarchique et non partisan.
L’émergence de ces groupes ne démontre pas seulement le mécontentement à l’égard de l’Autorité palestinienne et des dirigeants des différents partis politiques, mais aussi un mouvement visant à raviver le sentiment d’unité palestinienne et l’état de résistance vécu lors des événements de mai 2021.
Avec la pression croissante d’Israël, l’Autorités Palestinienne a tenté de négocier avec les membres du groupe en proposant d’acheter leurs armes et en leur offrant des emplois au sein des forces de sécurité.
Depuis l’émergence du groupe, l’armée israélienne a mené des opérations militaires limitées tout en évitant une invasion complète de Naplouse. Officiellement, Israël a tué cinq des membres du groupe. En procédant à des assassinats par le déploiement de ses forces spéciales, Israël a révélé un échec sécuritaire dans la poursuite et l’affaiblissement du phénomène croissant des nouveaux combattants de la résistance en Cisjordanie occupée. Pourtant, une invasion complète entraînerait davantage de rébellion dans la rue et augmenterait la popularité et la confiance de la résistance.
Alors que les discussions se poursuivent sur la stratégie potentielle d’Israël, les membres du groupe sont conscients de cette possibilité toujours présente d’être tués avant tout changement du statu quo, tout comme Udai. Pour cela, ils placent leur confiance et leur foi dans le berceau populaire pour continuer à produire des révolutionnaires qui lutteront pour la libération de la terre et de leur peuple.
Ce qui ressort clairement des récents événements, c’est que la nouvelle génération croit vraiment au sacrifice, et elle voit que seule une lutte active entre elle et le colonisateur est la clé de tout progrès vers ses objectifs. Ils ont compris que c’est l’accumulation de la résistance qui mènera à la libération.
Article de Abu-Jildeh, universitaire et organisateur palestinien, publié le 04 novembre 2022.
Source : The New Arab – Traduction : Collectif Palestine Vaincra