Par Alain Gresh
Ne nous y trompons pas. Les récentes « fuites » sur d’éventuelles sanctions contre Israël — organisées par Israël lui-même à travers les Etats membres de l’Union européenne qui le soutiennent inconditionnellement — ne sont que de la poudre aux yeux. Il s’agit d’un simple projet que les pays membres n’ont pas vraiment discuté et qui n’a, dans le contexte actuel, aucune chance d’être appliqué. Quant à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, elle perd beaucoup de sa signification si elle ne s’accompagne pas de mesures coercitives contre la partie qui refuse la paix depuis longtemps, le gouvernement israélien.
A plusieurs reprises, le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius a déclaré que, le moment venu, Paris reconnaîtrait l’Etat palestinien. Ces déclarations se sont faites plus insistantes après que le Parlement britannique a voté une résolution (symbolique) en ce sens et que le gouvernement suédois a officiellement reconnu la Palestine. Selon Libération du 8 novembre, M. Fabius affirme : il y aura « à un moment — c’est une évidence — reconnaissance de l’Etat palestinien par la France », avant d’expliquer : « La question, c’est quand et comment ? Car il faut que cette reconnaissance soit utile aux efforts pour sortir de l’impasse et contribuer à un règlement définitif du conflit. » « Jusqu’à présent l’idée qui a prévalu, c’est que la reconnaissance devait être liée à la négociation. Mais si la négociation ne se produit pas, ou si elle n’aboutit pas, alors la France doit prendre ses responsabilités », a-t-il ajouté. Combien de temps faudra-t-il à Paris pour comprendre que la négociation n’a aucune chance d’aboutir dans le cadre actuel ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la France ne fait pas preuve d’un très grand courage. Rappelons que ces déclarations sur la reconnaissance de l’Etat palestinien ont d’abord été formulées durant la récente agression israélienne contre Gaza, quand Paris essayait de faire oublier les propos honteux du président François Hollande.
Il est vrai que les crimes commis à Gaza par l’armée israélienne et la situation intolérable de ce territoire ont poussé les parlements à travers l’Europe à mettre sur la table cette question de la reconnaissance. Dans quelques jours, l’Assemblée nationale (le 28 novembre) et le Sénat (le 11 décembre) examineront une résolution peu contraignante en ce sens. Bien sûr, personne ne peut le regretter (même s’il faudra examiner le contenu des textes adoptés). Et si la France reconnaît officiellement l’Etat palestinien, on ne pourra que s’en réjouir, mais modérément. L’acte aura pour conséquence de confirmer la présence de la Palestine sur la carte politique et diplomatique. Mais au-delà ? Même en supposant que la solution à deux Etats soit encore possible malgré la colonisation, la question est de savoir si la reconnaissance la rend plus proche. Or, elle ne met un coup d’arrêt ni à l’extension des colonies, ni à la judaïsation de Jérusalem, tandis que les Palestiniens subissent une répression quotidienne. Et que dire de la situation à Gaza, où la reconstruction est bloquée par le siège israélien, auquel l’Egypte du maréchal Sissi apporte sa contribution ?
Dans les conclusions de sa réunion du 17 novembre, le Conseil des affaires étrangères de Bruxelles, malgré un ton un peu plus ferme à l’égard d’Israël, renvoie les deux parties dos à dos et, surtout, n’envisage aucune mesure alors même que le blocus de Gaza par Israël (soutenu par l’Egypte) se poursuit et que le texte attribue à Israël toutes les décisions hostiles à la paix [note]« Actions which call into question stated commitments to a negotiated solution must be avoided. The EU deeply deplores and strongly opposes the recent expropriation of land near Bethlehem, recent announcements of plans for new settlement construction, in particular in Givat Hamatos, Ramat Shlomo, Har Homa and Ramot, as well as plans to displace Bedouins in the West Bank and the continued demolitions, including of EU and Member States funded projects. It urges Israel to reverse these decisions which run counter to international law and directly threaten the two state solution. Recent settlement activity in East Jerusalem seriously jeopardizes the possibility of Jerusalem serving as the future capital of both states. Recalling that settlements are illegal under international law, the EU and its Member States remain committed to ensure continued, full and effective implementation of existing EU legislation and bilateral arrangements applicable to settlement products. The EU closely monitors the situation and its broader implications and remains ready to take further action in order to protect the viability of the two state solution. »]], il ne prend aucune mesure et renvoie les parties dos à dos. Lire aussi « Pourquoi les négociations au Proche-Orient échouent toujours », Le Monde diplomatique, juin 2014Et il salue encore une fois les « efforts » du secrétaire d’Etat américain John Kerry, qui a pourtant un bilan déplorable, dû largement au fait que, loin d’être un intermédiaire équitable entre les deux parties, il partage pour l’essentiel la vision israélienne de la « sécurité » et de la « paix ». Et si les conclusions du Conseil stipulent qu’il ne doit pas y avoir de retour au statu quo et que le blocus de Gaza doit être levé, le mécanisme d’entrée des matériaux dans Gaza négocié par l’ONU, et mentionné comme « un pas important », n’est en définitive ni plus ni moins qu’un retour à ce statu quo — sachant que l’entrée des matériaux pour les projets de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et de l’aide internationale humanitaire était déjà possible.
Les révélations des projets européens de sanctions par le quotidien Haaretz, le 17 novembre (Barak Ravid, « Haaretz obtains full document of EU-proposed sanctions against Israel » ), auraient pu faire naître certains espoirs. Des mesures y sont proposées qui vont jusqu’à demander aux compagnies européennes de ne pas travailler dans les colonies (il est étrange que ces investissements, totalement illégaux du point de vue du droit international, soient encore autorisés !), le boycott des figures israélienne hostiles à la solution à deux Etats (mais il faudrait dans ce cas boycotter le gouvernement israélien lui-même…), etc. Or, contrairement à ce que laisse supposer l’article de Haaretz, écrit par un journaliste connu pour ses excellents contacts avec les services de renseignement israéliens, ce texte ne reflète que la volonté de quelques Etats (Suède, Irlande, Pays-Bas, Autriche) et n’a été rédigé que par une poignée de personnes. Il n’a aucune chance de passer les différents groupes de travail au sein du Conseil européen (et donc d’être avalisé par les instances décisionnelles de l’Union européenne, comme le Conseil des affaires étrangères). Mais sa divulgation (à travers les alliés européens d’Israël — République tchèque et Allemagne —, sans doute) sert surtout à la propagande de Tel-Aviv, qui ne va pas manquer de dénoncer l’« antisémitisme européen », ce qui obligera, une fois de plus, l’Europe à se coucher.