A propos du film « Mizrahim, les oubliés de la Terre promise »

L’UJFP avait été sollicitée pour participer au soutien du film « Mizrahim, les oubliés de la Terre promise »1 de la réalisatrice Michale Boganim. Celui-ci s’est révélé impossible par solidarité avec nos amis palestiniens et selon les règles de la campagne BDS : nous ne pouvons ignorer que ce film dispose du soutien du Fonds Rabinovitch pour le cinéma qui exige du réalisateur ou de la réalisatrice un engagement de fidélité à l’État d’Israël.

Mais cela n’impose pas automatiquement le boycott du film : décider de le voir ou pas est un choix personnel.

D’ailleurs plusieurs d’entre nous l’ont visionné et ont des avis différents sur les qualités cinématographiques de ce documentaire.

Sur le fond, on peut résumer ainsi nos commentaires :

  • Le film est pour beaucoup de spectateur.trice.s hors de nos mouvements une totale découverte des conditions dans lesquelles l’État d’Israël a fait venir les « Mizrahis » (du mot « מזרחי » (Mizrahi) l’expression israélienne qui désigne les Juifs « orientaux », c’est-à-dire issus des pays musulmans ; son pluriel hébreu « « מזרחים » (Mizrahim) a donné le titre du film).

La plupart, tout à leur joie de fouler le sol de la Terre promise, nourris des espoirs et des promesses décrits par l’Agence juive, pensaient être accueillis en frères à Jérusalem. Pour eux, il s’agissait de retrouvailles entre des Juifs qui avaient été séparés par 2000 ans d’exil.. A la place, avant de débarquer, ils ont été humiliés par une « décontamination » au DDT et ont été envoyés dans des camps de tentes dans des régions désertiques afin de « faire tampon » avec l’Égypte (Gaza) ou la Jordanie. Des camps qui deviendront baraquements puis des cités sans âme rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes.

  • Beaucoup de spectateurs découvriront ces vols massifs de nouveau-nés « offerts » à des familles ashkénazes (les Juifs d’Europe) installées depuis longtemps et en mal d’enfants.

Une pratique plus connue dans d’autres pays colonisateurs comme le Canada, et qui en Israël n’a toujours pas fait l’objet de la moindre excuse officielle.

  • Curieusement (alors que l’auteure est fille de Juifs marocains) le film ne parle pas d’une autre horreur qu’ont subi environ 100 000 enfants mizrahis, principalement marocains : des surexpositions expérimentales de la tête aux rayons X censées offrir un traitement à la teigne et qui ont conduit à des dizaines de milliers de cancers !

Saisis plusieurs années plus tard, les tribunaux israéliens ont rejeté un grand nombre de dossiers. Ceux qui, malgré les conditions draconiennes, ont été retenus n’ont donné lieu qu’à des compensations financières minimes. La responsabilité des médecins n’a jamais été reconnue. 

  • Ce documentaire montre bien comment dans les premières décennies de l’État, entièrement dominé par les « travaillistes » ashkénazes, Israël a traité, exploité, discriminé, méprisé, ces Juifs arabes.

Le film permet de comprendre comment le Likoud et les partis religieux ont pu capter cet électorat.

  • Le documentaire parle aussi du mouvement de révolte contre la discrimination dont sont victimes les Mizrahis : les Panthères noires d’Israël (הפנתרים השחורים, Hapanterim Hash’horim).

Leurs manifestations ont été violemment réprimées par la police, leurs leaders emprisonnés ou conduits à l’exil. Décimé, isolé, le mouvement s’éteindra en 1973.

Le film rappelle aussi qu’outre leurs revendications sociales, les Panthères noires ont aussi tenté d’établir un dialogue avec les Palestiniens à travers leur langue commune : l’arabe. Elles furent également une des premières organisations israéliennes à rencontrer l’OLP.

  • Le film se place uniquement du point de vue israélien, ignorant les Palestiniens.

On nous dira que ce n’était pas le sujet choisi par l’auteure, mais personne dans le film ne se pose la question des Palestiniens qui venaient juste d’être chassés de cette même terre, y compris les quelques Mizrahis à qui on donne des maisons qui avaient été occupées par des « Arabes ».

C’est sans doute ce point de vue et l’absence des Palestiniens qui permettent de comprendre comment un film aussi critique sur l’histoire d’Israël a pu être cependant financé par le fonds Rabinovitz.

Jean-Guy Greilsamer

Béatrice Orès

Michel Ouaknine

André Rosevègue


Note-s
  1. « Mizrahim – Les oubliés de la Terre Promise » de Michale Boganim – 2022 – Documentaire – 1h 33min[]