A propos de l’orientation adoptée par le MRAP sur « le racisme anti-Blancs »

Le texte ci-dessous a été rédigé et signé par des militants du MRAP, en désaccord sur ce point avec les orientations du mouvement. Comme ce débat concerne tous ceux qui luttent contre le racisme, il est rendu public.

Un virage déroutant et préoccupant

Le projet d’orientation du MRAP, adopté en 2012, lors de son congrès,
introduisant la notion de « racisme anti-Blancs » jusque-là une rhétorique de l’extrême droite a suscité incompréhensions et réactions au sein et à l’extérieur de l’association.

Nombreux sont les militants et les comités du MRAP qui ont fait part de
leurs inquiétudes et de leur opposition à cette orientation incompatible, voire contradictoire, avec « l’esprit » et les valeurs du mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.

Cette orientation n’est-elle pas également en décalage avec les statuts même
du MRAP qui se réfèrent aux textes internationaux en matière des Droits de
l’Homme ?

Plusieurs intellectuels-chercheurs comme Stéphane Beaud, Saïd Bouamama,
Jean-Luc Gautero, Alain Gresh, Gérard Noiriel, Pierre Tevanian, Françoise
Vergès …. ont aussi démontré le caractère problématique de cette
orientation
et sa nocivité pour la lutte contre le racisme et pour l’égalité des droits
en général.

Faut-il dire que malgré les habillages et les subtiles précautions de
langage, comme pour mieux faire avaler « la pilule », cette orientation est
bel et bien un virage déroutant et préoccupant.

Des arguments insuffisants…

Le racisme « anti-Blancs » n’est pas un racisme. En effet le racisme
s’inscrit dans un rapport de domination. Il ne peut qu’être institutionnel,
systémique et structurel.

La reprise de cette rhétorique de « racisme anti-Blancs » coloniale, « néocoloniale » et « post-coloniale », ne vise-t-elle pas, de manière
implicite, principalement, les comportements réactionnels des filles et fils
des jeunes « beurs » qui ont marché il y a 30 ans pour l’égalité,
jeunes des
banlieues urbaines mis dans une situation de disqualification sociale ?

Jusqu’à preuve du contraire, à part le fait de s’appuyer sur des faits
divers qu’il ne s’agit pas de nier, mais qui ne relèvent pas du racisme, et
de s’arrimer à un discours bien audible par le commun des mortels, compte
tenu du matraquage médiatique amplifiant fantasmes et ressentis de peur de
l’autre, de l’étranger, du « basané »…, cette orientation ne repose sur
aucune référence sérieuse qu’elle soit historique, sociologique,
philosophique ou politique.

Une rhétorique de l’extrême droite

Mais, au-delà des incohérences et de l’insuffisance des arguments, cette
rhétorique du « racisme anti-Blancs » n’est-elle pas d’abord une émanation
de l’extrême droite, sachant que celle-ci repose sur une idéologie
essentialiste et raciste stigmatisant hier les juifs jusqu’au génocide, et
essayant aujourd’hui de se refaire une virginité par la mise en avant d’une
entité judéo-chrétienne, en marginalisant toutes les autres, notamment les
populations issues des anciennes colonies françaises.

Mouloud Aounit, n’a-t-il pas affirmé, lors du congrès du MRAP en 2012, qu' »au siècle dernier le carburant idéologique de l’extrême droite était
l’antisémitisme. Aujourd’hui l’islamophobie joue le même rôle. »

Enfin, était-il si opportun et urgent, qu’une association comme le MRAP
mette en avant cette rhétorique, compte tenu du contexte ?

Un contexte fait de matraquage politique et médiatique.

Débuté depuis des décennies le contexte actuel se caractérise par une
offensive idéologique « obscurantiste » [note]L’obscurantisme : « ce n’est pas un rejet de tout savoir; il consiste à
anoblir, à consacrer un savoir déjà acquis de manière à se garantir contre
l’effet destructeur de nouvelles connaissances »

François Flahault, Le paradoxe de Robinson : Capitalisme et société, avril
2012, Editions Mille et une nuits]] de grande ampleur faite de
banalisation de discours institutionnels, xénophobes et racistes, inoculant
la peur, les clivages « ethniques » et flattant les egos de la « blanchitude ».

Le matraquage politique et médiatique qui s’inspire de la rhétorique
bushienne du « Choc des civilisations » diabolise l’islam et l’amalgame au
terrorisme. Ce matraquage orchestré et amplifié par le quinquennat précédent
perdure encore aujourd’hui.

Comment oublier, dans ce cadre, le stupide débat sur « l’identité nationale »
initié par le sinistre ministère de l’immigration et de l’identité
nationale, les états généraux de l’UMP sur la laïcité, sous-entendu sur
l’islam, le discours de Dakar, celui de Grenoble sur les Roms, le discours
du deuxième tour de la campagne présidentielle, et les propos de Valls sur
les Roms « culturellement non intégrables ».

Toute cette offensive idéologique est fondée sur la diffusion implicite d’un
message marquant une frontière, un clivage entre le « NOUS »-les
« Blancs » et « EUX »-les « non Blancs ».

Compte tenu de ce contexte et de ce climat délétère, était-il donc, opportun
que le MRAP adopte cette notion de « racisme anti-Blancs » venue de
l’extrême droite ?

S’est-on soucié des monstrueuses instrumentalisations et des conséquences de
cette prise de position ?

Des conséquences dramatiques

Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, le maintien de cette position
constituera un précédent historique dont on aura du mal à se défaire. Nous
serons contraints de produire des arguments contre l’instrumentalisation du
« racisme anti-Blancs » qui nous détourne et nous divertit de la lutte
contre le racisme bien réel.

Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, compte tenu du contexte et du rapport
des forces politiques et médiatiques, si le MRAP maintient cette adhésion au
concept de « racisme anti-Blancs » il sera, quoi qu’il en soit, systémisé,
en s’appuyant justement sur la légitimité et la crédibilité du MRAP.

Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, cette orientation participera surtout à
l’affaiblissement de la lutte contre le racisme et à sa dilution dans une
confusion généralisée, entre les causes et les conséquences, le ponctuel et
le général, l’institutionnel et l’individuel, l’oppresseur et l’opprimé…

D’une manière plus générale, cette orientation participera à
l’affaiblissement de la solidarité avec la lutte des peuples pour leur
émancipation.

Une orientation inacceptable

Il faut espérer que cette position ne restera pas celle du MRAP dont les
conséquences seraient désastreuses pour la cohésion sociale et le vivre
ensemble dans une France d’égalité, de liberté et de fraternité.

Ainsi, parce que soucieux de l’intégrité, de la crédibilité et de la place
qu’occupe le MRAP dans la lutte contre le racisme et pour l’amitié entre les
peuples, nous estimons que cette orientation est un virage dangereux car ses
conséquences négatives ne sont pas maîtrisables.

Le « racisme anti-Blancs » n’entre-t-il pas en contradiction avec
l’histoire
du MRAP et avec ses responsabilités actuelles dans le combat anti-raciste ?

C’est pourquoi, nous estimons que cette orientation est inacceptable.

Notre exigence citoyenne et militante demande qu’elle soit retirée, à
défaut, nous nous considérerons en désaccord idéologique manifeste avec la
direction actuelle.