Il est souvent très difficile d’accepter que l’on soit privilégié. C’est un fait social historique presque toujours vrai : les privilégiés minimisent voire nient leurs propres privilèges.
Dans notre société, il existe des privilèges bourgeois, masculins, blancs, hétérosexuels, chrétiens, cisgenres etc.
Dire cela, ça ne veut pas dire que les blancs, les hommes, les chrétiens etc abusent de leurs privilèges, ni même qu’ils les ont souhaités. Par exemple, ma peau étant blanche (ou vue comme telle) j’ai moins de difficulté à accéder au marché de l’emploi que quelqu’un dont la peau est perçue comme noire. C’est révoltant et je ne l’ai jamais souhaité. Pour autant, je bénéficie de ce privilège que je le veuille ou non. Étant de sexe masculin, j’ai beaucoup moins de risque d’être violé que si j’étais une femme. C’est un fait. Ça n’empêche pas que je puisse être victime d’injustices par ailleurs.
L’intersectionnalité c’est déjà la compréhension de ce phénomène : un homme hétéro noir et pauvre est dominé par le système de privilèges blancs et bourgeois ce qui ne l’empêche pas d’être privilégié au regard de son genre et de son orientation sexuelle. Il a moins de risques d’être victime de violences conjugales mais plus de risques d’être victime de racisme, d’un travail pénible ou de précarité.
Les musulmans ou les personnes supposées musulmanes sont aujourd’hui très stigmatisées en France. La polémique sur la photo prise à la manifestation hier en est un exemple.
Quand une manifestation de SOS racisme a lieu (je prends un exemple, j’aurais pu en prendre d’autres) ces manifs ont le privilège de ne pas être traquées à la recherche du moindre détail compromettant. Depuis des décennies, les militants SOS racisme accrochent sur leur cœur une main jaune. La référence à l’étoile jaune est très claire et tout le monde a compris le message : l’extrême-droite et le racisme mènent à la Shoah. Quand Balavoine chante « l’Aziza ton étoile jaune c’est ta peau » c’est pareil. On aime ou pas la chanson, on aime ou pas SOS racisme mais je n’ai jamais entendu qu’ils étaient négationnistes ou antisémites. Mais là, à cette manif, pas de privilège donc pas de bienveillance. Certains scrutaient la manif à la recherche de signes antisémites. Parce qu’on suppose les musulmans antisémites, bien sûr. Parce qu’on voulait que cette manif le soit.
Un manifestant a pris l’initiative de distribuer des étoiles à 5 branches jaunes pour les coller sur son vêtement. On pourrait comprendre qu’il s’agit non seulement d’un hommage aux millions de victimes innocentes du nazisme, mais aussi un appel à la vigilance contre le racisme et l’extrême-droite. Mais si on choisit de jeter un regard malveillant, on y voit du négationnisme, le « poison du relativisme » etc.
Pensez à cette question chaque fois qu’une polémique naît. Pourquoi peut-on être nommé premier ministre après avoir tenu des propos ouvertement racistes devant des caméras mais on ne peut pas participer à un télé-crochet musical après avoir fait un retweet complotiste quand on avait 14 ans ? Dans un cas je parle de Manuel Valls, dans l’autre de Menel Ibtissem. Pourquoi peut-on tuer entre 7 et 39 personnes par an mais pas casser la vitrine d’une brasserie de luxe ? Dans un cas je parle des chasseurs dans l’autre des gilets jaunes.
Ce n’est pas le « poison du relativisme ». Une chose grave est grave en soi, nul besoin de la comparer. Mais force est de constater que les systèmes de domination ont la peau dure. Le relativisme c’est au contraire, faire comme si tout se valait. Comme si un gamin à qui on aurait dit « sale babtou » (et c’est inacceptable) ça équivalait à 400 ans de traite négrière et un racisme présent à toutes les étapes de la vie d’un noir en France. Le relativisme, c’est quand la Licra s’en prend à Lilian Thuram pour « racisme anti-blanc ». Le privilège blanc, c’est de pouvoir tirer sur un lieu de culte sans être considéré comme terroriste.
Théo A