À Montreuil, la police vise les manifestants à la tête

Lettre ouverte de Stéphane Gatti sur les circonstances dans lesquelles Joachim Gatti a perdu un oeil

Le matin du mercredi 8 Juillet, la police avait vidé une clinique
occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux
expériences venues d’Italie, avait pris la forme d’un « centro sociale » à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans papiers, repas…. Tous ceux qui réfléchissent /au vivre ensemble/ regardaient cette expérience avec tendresse.
L’évacuation s’est faite sans violence.. Les formidables moyens
policiers déployés ont réglé la question en moins d’une heure. En
traversant le marché le matin, j’avais remarqué leurs airs affairés et diligents.

Ceux qui s’étaient attaché à cette expérience et les résidents ont
décidé pour protester contre l’expulsion d’organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil.

Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d’être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient. Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l’espace. Des images du front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d’Espagne se
superposaient à cette fête parce que parfois les images font école.
J’ai quitté cette fête à 20h en saluant Joachim.

A quelques mètres de là, c’était le dernier jour dans les locaux de
la Parole errante à la Maison de l’arbre rue François Debergue, de
notre exposition sur Mai 68. Depuis un an, elle accueille des pièces
de théâtres, des projections de films, des réunions, /La nuit sécuritaire, L’appel des Appels/, des lectures, des présentations de
livres… Ce jour-là, on fermait l’exposition avec une pièce d’Armand
Gatti « [i]L’homme seul[/i]» lu Pierre Vial de la Comédie Française et
compagnon de longue date. Plusieurs versions de la vie d’un militant chinois s’y confrontent : celle de la femme, des enfants, du père, du lieutenant, du général, des camarades….

C’était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les
journaux de Mai. D’un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle,
effrayés, ils venaient se cacher… ils sont repartis. On m’a appelé.
Joachim est à l’hôpital à l’hôtel Dieu. Il était effectivement là. Il n’avait pas perdu conscience. Son visage était couvert de sang qui
s’écoulait lentement comme s’il était devenu poreux. Dans un coin,
l’interne de service m’a dit qu’il y avait peu de chance qu’il retrouve l’usage de son ?il éclaté. Je dis éclaté parce que je l’apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe
oculaire fendu en deux, la paupière arrachée…

Entre ces deux moments; celui où je l’ai quitté à la fête aux gnocchi
et l’hôtel Dieu que s’était-il passé ? Il raconte : Il y a eu des feux
d’artifice au dessus du marché. Nous nous y sommes rendus.
Immédiatement, les policiers qui surveillaient depuis leur voiture se
sont déployés devant. Une minute plus tard, alors que nous nous
trouvions encore en face de la clinique, à la hauteur du marché
couvert, les policiers qui marchaient à quelques mètres derrière nous, ont tiré sur notre groupe au moyen de leur flashball.
A ce moment-là je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon oeil droit.
Sous la force de l’impact je suis tombé au sol. Des personnes m’ont
aidé à me relever et m’ont soutenu jusqu’à ce que je m’assoie sur un trottoir dans la rue de Paris. Devant l’intensité de la douleur et des saignements des pompiers ont été appelés.

Il n’y a pas eu d’affrontement. Cinq personnes ont été touchés par
ces tirs de flashball, tous au dessus de la taille. Il ne peut être question de bavures. Ils étaient une trentaine et n’étaient une menace pour personne. Les policiers tirent sur des images comme en témoigne le communiqué de l’AFP.

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui occupait, avec d’autres personnes, un squat évacué mercredi à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a perdu un oeil après un affrontement avec la police, a-t-on appris de sources concordantes vendredi. Le jeune homme, Joachim Gatti, faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de squatters qui avaient été
expulsés mercredi matin des locaux d’une ancienne clinique. Ils avaient tenté de réinvestir les lieux un peu plus tard dans la soirée
mais s’étaient heurtés aux forces de l’ordre. Les squatters avaient
alors tiré des projectiles sur les policiers, qui avaient riposté en faisant usage de flashball, selon la préfecture, qui avait ordonné l’évacuation. Trois personnes avaient été arrêtées et un jeune homme avait été blessé à l’oeil puis transporté dans un hôpital à Paris, selon la mairie, qui n’avait toutefois pas donné de précision sur l’état de gravité de la blessure. »[i]Nous avons bien eu connaissance qu’un jeune homme a perdu son oeil mais pour le moment il n’y a pas de lien établi de manière certaine entre la perte de l’oeil et le tir de flashball[/i] », a déclaré vendredi la préfecture à l’AFP.

La police tire sur l’image d’un jeune de 20 ans qui essayent de reprendre son squat. Et pour la police et les médias, cela vaut pour absolution, et c’est le premier scandale.
Faut-il rétablir la vérité sur l’identité de Joachim Gatti ne serait-ce que pour révéler la manipulation des identités à laquelle se livre la police pour justifier ses actes , comme s’il y avait un
public ciblé sur lequel on pouvait tirer légitimement ?

Joachim n’a pas 20 ans mais 34 ans.
Il n’habitait pas au squat, mais il participait activement aux nombreuses activités de la clinique.
Il est cameraman. Il fabrique des expositions et réalise des films.
Le premier film qu’il a réalisé s’appelle « Magume ». Il l’a réalisé dans un séminaire au Burundi sur la question du génocide.
Aujourd’hui, il participe à la réalisation d’ un projet dans deux foyers Emmaüs dans un cadre collectif.

On devrait pouvoir réécrire le faux produit par l’AFP en leur
réclamant de le publier. Il serait écrit :
Joachim Gatti, un réalisateur de 34 ans a reçu une balle de flashball en plein visage alors qu’il manifestait pour soutenir des squatteurs
expulsés. Il a perdu un ?il du fait de la brutalité policière.

Stéphane Gatti

http://la-parole-errante.org/index.php?cat=LPE-PRESENTATION

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