A ma camarade Houria Bouteldja

Non, on n’est pas innocemment Israélien. La responsabilité collective, ça n’existe pas. Chaque individu est responsable de ses actes, de ses non-actes, de ses silences plus ou moins complices. Cette vérité ne doit pourtant pas en cacher une autre : une société peut être évaluée, jugée, en fonction du comportement de la majorité qui la compose.

L’Allemagne a été nazie entre 1933 et 1945, la France collaboratrice entre 1940 et 1944, l’Afrique du Sud a été une société d’apartheid. Ces définitions sociétales mettent d’ailleurs en valeur les minorités qui se sont mises à contre-courant, souvent au prix de leur liberté ou de leur vie. Pendant l’Apartheid, on ne peut être blanc sud-africain innocemment, ou Français innocemment pendant l’empire colonial : soit on se bat, soit on collabore au crime, ne serait-ce qu’en fermant les yeux. Celui qui a longtemps été la conscience d’Israël, le Professeur Yeshayahou Leibovitz, a défini le courage comme la capacité d’aller à contre-courant et de ne pas craindre le qu’en dira-t-on ; c’est ainsi qu’il décrivait les soldats réfractaires de la guerre du Liban.

De même ne peut-on être innocemment Israélien, alors que notre régime est colonial et sa politique une politique d’apartheid : soit on se bat contre le colonialisme, soit on perd son innocence. La société juive-israélienne, dont l’immense majorité soutient, activement ou passivement, la politique coloniale ne peut donc clamer son innocence. Et qu’on ne vienne pas brandir les quelques milliers de Juifs israéliens qui résistent aux côtés des Palestiniens : ils sauvent leur dignité individuelle, mais ne forment pas la masse critique qui justifierait de parler de deux Israël, un colonial et un anti-colonial.

Masse critique, tout est là. Revenons à mes sources culturelles, en l’occurrence la Bible. Le chapitre 18 de la Genèse raconte l’extraordinaire plaidoirie d’Abraham pour sauver Sodome que Dieu a décidé d’éradiquer pour le mal que commettent ses habitants. ‘’S’il y’a 50 Justes a Sodome, épargneras-tu la ville ?’’ Oui, répond  le Seigneur. ‘’Et 40 ?’’ Oui. ‘’Et 20 ?’’ Oui ‘’Et 10 ?’’ Oui. Mais comme Juste, il n’y avait que Lot. Trop peu pour justifier d’épargner la ville. Sodome est dans sa totalité une ville pécheresse. Remarque d’actualité : c’est son attitude envers les étrangers (les migrants  dirait-on aujourd’hui) qui a fait de Sodome la ville à éradiquer.

Il y a eu des moments dans l’histoire moderne du pays où l’on pouvait, où l’on devait, parler de deux Israël : pendant la guerre du Liban, par exemple, ou encore dans les années quatre vingt-dix autour de la question  de l’occupation coloniale et de la reconnaissance de l’OLP. Ce sont des moments où le consensus national s’est cassé en deux, deux camps qui se battaient entre eux pour déterminer la politique à suivre. Notre camp a gagné la première de ces batailles, mais perdu la seconde, suite à la trahison de sa direction (‘’les offres généreuses’’ de Barak). On ne s’en est pas remis, et le dit ‘’mouvement de la paix’’ s’est évaporé. Notre châtiment est le régime semi-fasciste de Netanyahou, la corruption généralisée et l’écroulement des institutions partiellement libérales qui caractérisaient l’ancien régime.

Clairement : on ne peut être innocemment israélien, car l’État d’Israël est un régime colonial d’apartheid, et la société israélienne l’accepte, même si pour beaucoup c’est avec un goût amer dans la bouche.

C’est le mérite de Houria Bouteldja de l’avoir dit, sans craindre – pour reprendre l’expression de Yeshayahou Leibovitz – le qu’en dira-t-on,  ou les chasses aux sorcières.

Michel Warschawski

11 Janvier 2021

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