Alors qu’ils sont solidaires des peuples endeuillés, les Palestiniens de Gaza se disent que pour la première fois, la planète entière, ou presque, est en train de vivre le confinement et l’isolement dont ils souffrent depuis longtemps.
Après la découverte, la semaine dernière (30 mars), de neuf cas d’infection au coronavirus dans la bande de Gaza, deux Palestiniens qui rentraient du Pakistan et sept policiers qui protégeaient le centre d’isolement où ils se trouvaient, les mesures de précaution et de prévention ont été renforcées dans la bande côtière afin d’empêcher la propagation du virus et éviter, surtout, le possible désastre d’une épidémie de COVID-19 dans cette région. Une région sous blocus, très peuplée et très pauvre.
Les autorités de Gaza sont passées à la phase 2, avec de nouvelles instructions préventives. Les marchés publics, les mosquées, les cafés, les restaurants et tous les lieux publics sont fermés. Aucun rassemblement n’est autorisé et les déplacements sont limités. Il est strictement interdit de sortir de chez soi après 22 heures, sauf pour les cas humanitaires et urgents. Les fêtes de mariage dans les rues et dans les salles sont annulées, et les maisons de deuil ne sont plus autorisées.
De nouvelles habitudes pour les familles de cette région isolée, qui vivent avec difficulté l’absence de visites familiales et l’interdiction des rassemblements populaires et de voisinage, un élément essentiel de leur quotidien en temps normal.
Un double confinement
Même les enfants de Gaza, qui sont privés de tout en général – centres de loisirs, stades, clubs, etc. détruits par l’aviation militaire israélienne –, n’ont pas actuellement le droit de jouer devant leurs maisons et immeubles, le seul endroit possible pour pratiquer leurs loisirs, et ce même avec des masques.
Un double confinement pour une population enfermée et souffrante depuis plus d’une décennie.
Le télétravail est désormais encouragé, et les fonctionnaires se rendent sur leurs lieux de travail deux jours par semaine.
L’enseignement en ligne et à distance pour les élèves et les étudiants a été favorisé, même si cette option n’est pas toujours évidente avec les longues coupures d’électricité et la mauvaise connexion à internet dans cette région en souffrance permanente. Toute la famille utilise internet, que ce soit pour le travail, les études ou les informations – saturation totale.
Heureusement, dans la bande de Gaza, personne ne dort dans la rue. Il existe un seul et unique centre pour les personnes âgées, accueillant 25 patients. Malgré une situation économique catastrophique, et grâce à la solidarité entre les habitants, le pire a été évité.
Avec ces nouvelles mesures et ces nouvelles contraintes, la population de Gaza est confinée chez elle. Les Gazaouis sont passés d’une prison à ciel ouvert à une prison fermée.
Cette situation d’enfermement pour les deux millions de Palestiniens de Gaza n’est pas nouvelle, ni étrange. Ils vivent déjà sous blocus israélien depuis plus de quatorze ans, ils ont l’interdiction de sortir de leur territoire par ordre militaire israélien.
Cependant, la population de Gaza est confiante, elle vit au jour au jour, elle est habituée à cette situation d’isolement et de confinement.
En 1991, lors de la première guerre du Golfe, un couvre-feu de trois mois avait été imposé à tous les Palestiniens de Gaza par l’armée israélienne, qui contrôlait déjà la bande côtière.
À l’été 2014, pendant les 51 jours de l’offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza – la troisième en cinq ans –, les Palestiniens de Gaza avaient été obligés de rester enfermés chez eux, même sous les bombes de l’occupant.
55 lits en soins intensifs pour 2 millions d’habitants.
Malgré tous les efforts nationaux et internationaux déployés et malgré toutes les mesures prises contre la propagation du coronavirus, la population est inquiète dans le contexte particulier qui est le sien, marqué par une crise sanitaire et économique sans précédent.
Les Gazaouis craignent le pire. Ils savent que leur situation est problématique et extrêmement préoccupante en raison de la très forte densité de population (5 453 habitants/km2) et des habitations qui se côtoient, en particulier dans les camps de réfugiés.
Il est vrai que l’Autorité palestinienne (AP), basée à Ramallah, a envoyé à Gaza des médicaments, notamment des antibiotiques, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait don de 500 kits de dépistage et que le Qatar a versé 150 millions de dollars au gouvernement de Gaza pour aider à faire face à cette pandémie, ainsi qu’à la situation économique dévastatrice dans l’enclave palestinienne.
Mais tout cela est insuffisant dans cette région qui souffre depuis plus d’une décennie d’un système de santé défaillant, d’un manque d’infrastructures médicales et d’une vraie crise sanitaire à cause du blocus israélien et de ses conséquences dramatiques dans tous les domaines.
La bande de Gaza possède uniquement 55 lits en soins intensifs et 50 appareils de réanimation pour 2 millions d’habitants, les forces d’occupation israéliennes refusant l’entrée de matériel médical, sans oublier le manque de personnels soignants. S’ajoutent à cela, les coupures permanentes d’électricité et l’eau potable contaminée et impropre à la consommation humaine.
Faute de centres médicaux équipés et adaptés, les 1 400 personnes récemment revenues à Gaza depuis l’Égypte sont actuellement mises en quarantaine dans des écoles et hôtels qui font office d’espace d’isolement.Source : Middle East Eye
La situation humanitaire est catastrophique, le niveau de vie se détériore et la situation économique se dégrade : le taux de chômage dépasse les 67 %, plus des deux tiers des ménages souffrent d’insécurité alimentaire, 72 % de la population de Gaza vit en dessous du seuil de pauvreté et 75 % des Palestiniens de Gaza dépendent d’aides alimentaires pour survivre.
Une communauté internationale complice
Jusqu’à présent, et malgré l’ouverture partielle du seul passage commercial qui relie la bande de Gaza à Israël pour l’acheminement des produits alimentaires et sanitaires uniquement, et ce en quantités limitées, les autorités israéliennes maintiennent le blocus imposé depuis plus de quatorze ans. Il n’y a aucune réaction positive de leur part, ni volonté de coopérer, elles laissent entrer ces produits sous la pression des organisations internationales humanitaires et sanitaires.
En Cisjordanie, une telle coopération existe entre Palestiniens et Israéliens, car les contacts sont quotidiens entre les deux côtés, notamment du fait que des Palestiniens travaillent dans les champs et les usines israéliens. Il en est de même pour les services sanitaires des deux côtés. Mais à Gaza, la population est abandonnée à son sort par les autorités d’occupation et une communauté internationale officielle complice.
Face à cette situation désastreuse, et malgré les craintes, la population de Gaza demeure confiante. Pas de panique pour le moment, pas de pénurie et de manque de produits nécessaires sur les marchés de Gaza, pas d’afflux de citoyens dans les grandes surfaces et les supermarchés. Habitués à ce type de crise, les habitants ne stockent pas les produits chez eux.
La solidarité se renforce et s’active face à ce double blocage ; beaucoup de commerçants, de magasins et de boulangeries baissent les prix de leurs produits en solidarité avec les plus démunis. Des supermarchés proposent l’acheminement des achats gratuitement chez les habitants confinés chez eux.
La population civile s’organise également, avec des campagnes officielles et citoyennes de sensibilisation à l’épidémie et des initiatives, de la part des jeunes notamment, pour informer sur les conséquences graves de ce virus. On voit aussi la distribution de masques, de savon et de produits de désinfection, la stérilisation quotidienne des rues, marchés et lieux de travail, mais aussi la distribution de colis alimentaires et sanitaires et de repas aux familles pauvres directement chez elles à cause du confinement.
En outre, les habitants de Gaza suivent avec beaucoup d’attention l’évolution de cette épidémie mortelle dans le monde entier. Alors qu’ils sont solidaires des peuples endeuillés, ils se disent que pour la première fois, la planète entière, ou presque, est en train de vivre le confinement et l’isolement dont ils souffrent depuis longtemps, même si les conditions sont différentes. Oui, le sentiment d’enfermement est terrible, les Gazaouis le savent bien !
À cause de cette situation exceptionnelle dans cette prison à ciel ouvert, les Palestiniens de Gaza ont été obligés d’annuler leurs actions et manifestations pacifiques à la frontière, comme la commémoration de la Journée de la terre et la célébration du deuxième anniversaire de la Grande marche du retour, ce 30 mars. Ils ont dû suspendre leur mobilisation contre l’occupation et le blocus imposé.
En général, les Palestiniens de Gaza appliquent à la lettre les consignes données par les autorités sanitaires. Ils suivent les précautions préventives et les instructions demandées. Ils s’adaptent à ce nouveau blocage, mais surtout ils attendent. Ils réclament la levée de ce blocus israélien inhumain, la réconciliation palestinienne, et espèrent un vrai changement à la fin de cette nouvelle épreuve.
Ziad Medoukh
Ziad Medoukh est un professeur de français, écrivain et poète palestinien d’expression française. Titulaire d’un doctorat en sciences du langage de l’Université de Paris VIII, il est responsable du département de français de l’Université al-Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la Palestine, et la bande de Gaza en particulier, ainsi que la non-violence comme forme de résistance. Il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et son amour de la patrie. Ziad Medoukh a été fait chevalier de l’ordre des Palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh a été nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.
Par Ziad Medoukh. Publié le 6 avril sur le site de l’Agence Média Palestine.
Source : Middle East Eye