Union juive française pour la paix

Témoignage d’Abu Amir, le 2 novembre 2025 – Atelier L’espoir Rosé : soutien psychologique et sensibilisation pour les femmes du camp Al-Sumoud

Abu Amir 2 11 25 Atelier psy IMG 2960 Témoignage d'Abu Amir, le 2 novembre 2025 - Atelier L’espoir Rosé : soutien psychologique et sensibilisation pour les femmes du camp Al-Sumoud

Lorsque nous sommes arrivées au camp Al-Sumoud dans la zone Al-Mawasi, secteur de Khan Younis, le matin portait dans ses brises un mélange de chaleur et de tristesse, et les visages des gens reflétaient la fatigue des longs jours qu’ils avaient passés dans les tentes du déplacement. Nous apportions avec nous des outils simples et des cœurs emplis du désir de faire une différence, même petite, dans la vie de ces femmes que la rudesse de la réalité avait épuisées. La séance d’aujourd’hui, intitulée « Octobre rose : sensibilisation au cancer du sein », avait pour objectif d’être plus qu’une simple réunion de santé – elle devait être un espace psychologique sûr pour que les femmes sentent qu’elles sont encore capables de prendre soin d’elles-mêmes malgré tout.

Nous avons commencé à préparer le lieu très tôt dans l’une des grandes tentes qui avait été dédiée à cette activité : nous avons disposé les chaises en cercle, symbole d’un esprit de partage, et accroché quelques affiches roses évoquant l’auto-examen du sein. La tente était simple mais chaleureuse, et dans nos yeux une conviction : la beauté peut naître même dans les lieux les plus modestes. Peu à peu les femmes commencèrent à arriver — trente participantes de divers âges, affichant sur leurs visages à la fois l’épuisement et la curiosité. Certaines étaient venues de camps plus éloignés à l’intérieur d’Al-Mawasi, traversant le sable en quête d’un moment de répit ou d’un mot d’encouragement.

Dès leur entrée, nous remarquâmes que l’anxiété planait sur le lieu comme une ombre persistante. Les murmures des femmes tournaient autour des récents nouvelles de la violation du cessez-le-feu et des frappes qui avaient touché toutes les zones de la bande de Gaza, et de la peur que la guerre ne recommence à tout instant. Ces peurs étaient visibles dans les mots tremblants et dans les regards nerveux qui se tournaient parfois vers le ciel. Certaines femmes avaient amené avec elles de jeunes enfants, n’ayant personne à qui les laisser, comme si la peur pour la vie était devenue un compagnon quotidien inséparable. Nous ressentîmes que la séance ne devait pas seulement porter sur la sensibilisation à la santé, mais qu’elle devait être un véritable exutoire psychologique face à cette angoisse collective.

Nous les avons accueillies avec un large sourire et des mots d’accueil calmes – nous savions que le début était la clé : un lieu empreint de sécurité ouvre les cœurs avant les esprits. Elles s’assirent en cercle devant nous, et ce que nous fîmes en premier fut de demander à chaque femme de dire son nom et de partager un mot qui décrivait son sentiment à ce moment-là. Les mots succédèrent : « inquiète », « fatiguée », « effrayée », « assoiffée de repos ». Ces premières minutes furent comme un miroir sincère de l’intérieur de chaque femme.

Avant d’aborder le sujet de la séance, nous avons lancé une activité simple de soutien psychologique pour briser la glace et alléger la tension. Nous avons demandé à toutes de se tenir debout en cercle, de fermer les yeux quelques instants, puis de prendre de grandes respirations en répétant la phrase : « Je suis ici… je suis en sécurité… et ceci est ma place. » Nous leur avons expliqué que cet exercice s’appelle « relaxation consciente », c’est un moyen de se reconnecter à soi-même et de ressentir la sécurité dans l’instant présent. Les sons des respirations profondes remplissaient lentement l’espace de calme, et avec eux l’intensité de l’anxiété aperçue dans les yeux s’atténua. Certaines femmes sourirent, d’autres fermèrent les yeux comme si elles fuyaient un instant le vacarme de la réalité vers un espace de sérénité. Nous sentîmes à ce moment que la séance commençait à s’épanouir doucement comme une fleur rosée au matin.

Ensuite, nous sommes passés au premier axe de la séance : aborder le concept du cancer du sein. Nous avons parlé en langage simple, sans termes médicaux complexes. Nous leur avons dit que la maladie ne signifie pas la fin, et que le dépistage précoce offre une grande chance de guérison. Nous avons vu dans les regards de certaines d’entre elles une peur silencieuse, comme si le seul fait d’entendre le mot « cancer » ramenait à la mémoire tout ce qui est douloureux. Aussi avons-nous pris soin d’entourer les informations d’un langage d’espoir, en mentionnant que la science aujourd’hui offre de nombreuses solutions, et que l’essentiel est la conscience et la connaissance. Nous expliquâmes comment la tumeur se forme, comment elle peut être détectée tôt, et distribuâmes des schémas explicatifs illustrant les étapes de l’auto-examen du sein.

Avant de passer à la partie pratique, nous avons utilisé une activité narrative pour relier l’information aux émotions. Nous avons récité une histoire vraie d’une femme qui avait survécu à la maladie parce qu’elle avait remarqué tôt un changement mineur et ne l’avait pas ignoré. Pendant l’histoire, nous avons remarqué que les femmes écoutaient profondément : certaines posèrent leur mains sur leur poitrine sans même s’en rendre compte, comme si l’histoire avait éveillé en elles un nouveau sentiment de responsabilité envers leur corps. Ce fut ce moment-clé où la science s’est mêlée au ressenti, et la connaissance à la peur qui commença à se transformer en conscience.

Puis commença la partie pratique de la séance. Nous avons présenté un petit modèle pour illustrer comment faire l’auto-examen, et avons expliqué les étapes lentement afin que les femmes puissent suivre avec nous. Nous leur disions : « L’examen n’est pas compliqué, c’est un acte d’amour envers soi-même et de soin pour la vie. » Elles ont interagi avec sérieux, certaines prenaient des notes sur de petits carnets qu’elles avaient apportés. À chaque étape, nous avons affirmé que l’objectif était la détection précoce, non pas l’alarme. Nous avons ressenti que la peur commençait à s’adoucir, et que la curiosité scientifique avait pris la place du silence chargé de peur.

Après la partie pratique, nous sommes passés à une autre activité à dimension psychologique et émotionnelle plus profonde : « cercle des couleurs et des émotions ». Nous avions sur une table de petites cartes colorées, et avons demandé à chaque femme de choisir la couleur qui représentait son sentiment actuel, puis d’en expliquer la raison. L’une d’elles, en tenant la carte rose, dit : « Je me sens tranquille parce que j’ai appris des choses que je ne connaissais pas. » Une autre, choisissant le bleu, dit : « Il y a encore de la peur dans mon cœur, mais maintenant je sais comment y faire face. » Et une troisième, choisissant le jaune, déclara avec un léger sourire : « Je ressens de l’espoir, comme si quelque chose en moi s’était éveillé. » Cette activité fut comme un miroir collectif dans lequel nous avons vu la transformation émotionnelle qui se produisait sous nos yeux : de la tension à la curiosité, de la peur à l’espoir.

Nous avons voulu consolider ce sentiment positif chez chaque femme, puis nous avons entamé l’activité de soutien psychologique numéro trois intitulée « lettre à moi-même ». Nous leur avons expliqué que l’objectif de cette activité était de renforcer la conscience de soi et le dialogue intérieur. Nous leur avons demandé d’écrire sur un petit papier un message court à elles-mêmes commençant par la phrase « Je te promets que… », et certaines écrivirent des phrases telles que : « Je te promets que je prendrai soin de ma santé chaque mois. », « Je te promets que je ne craindrai pas l’examen. », « Je te promets que je serai forte quoi qu’il arrive. » Lorsque certaines commencèrent à lire leurs messages à haute voix, un silence profond s’abattit dans la tente, entrecoupé seulement par le léger tremblement de certaines voix. L’écriture ici n’était pas simplement une activité : c’était une forme d’autothérapie, comme on le sait en psychologie, elle permet à la personne de traduire ses émotions en promesses concrètes qui lui donnent force.

À la fin de cette activité, nous avons ouvert un court débat collectif sur le soutien social et familial, et avons posé une question simple : « Qui pourrait être ton soutien si tu ressentais peur ou anxiété ? ». Les réponses furent variées : « mon mari », « ma fille », « ma voisine », voire « Dieu seul est mon appui ». Nous avons utilisé ce débat pour ancrer le concept de soutien psychologique social, et avons expliqué que simplement parler à une personne proche peut alléger beaucoup de pression, et que l’isolement augmente la douleur. Nous avons affirmé que construire un petit réseau de soutien au sein du camp est un grand pas vers l’équilibre psychologique.

À la fin de la séance, nous sommes retourné aux exercices respiratoires. Nous avons demandé à toutes de poser leurs mains sur leur poitrine, de prendre une grande respiration lentement, puis de répéter ensemble : « Je suis forte, je suis capable, je mérite la vie. » Leurs voix se mêlèrent à la puissance du moment, et nous ressentîmes tous que nous faisions partie d’un moment humain sincère. Certaines femmes pleurèrent, mais leurs larmes cette fois étaient différentes, plus proches de l’émancipation que de la tristesse. Nous les avons regardé et avons senti que nous étions face à un tableau de résilience humaine, où la douleur se transformait en énergie nouvelle pour continuer.

Nous avons conclu la rencontre en remerciant les participantes, et nous avons distribué des brochures contenant les étapes de l’auto-examen ainsi que les adresses à contacter en cas de besoin médical. Avant de partir, une des dames se leva et prononça une phrase que nous n’oublierons pas : « Aujourd’hui, j’ai senti que je possédais quelque chose de moi-même que je ne connaissais pas auparavant. » Ces mots furent la plus belle récompense pour tout ce que nous avions fait.

Nous avons quitté la tente en portant en nous un sentiment chaleureux de satisfaction, comme si nous avions planté une petite graine au cœur d’une terre épuisée, mais qui saurait pousser malgré tout. Nous savions que la conscience ne se propage pas rapidement, mais qu’une fois semée dans le cœur, elle demeure. Cette séance fut plus qu’une activité de sensibilisation ; elle fut un moment de rencontre entre la science et la compassion, entre l’espoir et la réalité, entre le rose qui symbolise la vie et le gris imposé par le déplacement. Et malgré la simplicité des moyens, nous avons senti que ce qui avait été accompli était grand par sa portée humaine.

Ce jour-là, nous ne l’oublierons pas, car il nous a appris à nous aussi que le soutien psychologique n’est pas un concept académique seulement, mais un acte de vie, qui commence par un sourire sincère et qui se termine par une femme revenant à sa tente en sentant que son cœur est plus fort que la guerre, et qu’elle, malgré tout ce qu’elle a perdu, possède encore son être.

(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)

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