Dans une scène de terrain rare et unique, cet atelier est venu comme le premier du genre destiné aux jeunes filles déplacées, vivant dans la dure réalité de l’exil, où aucune opportunité sûre ne leur avait été offerte auparavant pour exprimer et révéler leurs sentiments enfouis. L’équipe de l’UJFP a compris que cette tranche d’âge traverse une phase psychologique critique où les transformations physiques et émotionnelles se croisent avec les traumatismes de la guerre et du déplacement, rendant leurs besoins psychologiques plus complexes et plus sensibles que ceux des autres. Ainsi, l’idée de cet atelier est née comme une réponse innovante visant à offrir un accompagnement psychologique spécialisé, reposant sur les principes de la thérapie narrative et du soutien collectif.
Dans le camp de survie de la zone d’Al-Mawasi – Khan Younès, l’équipe a accueilli trente jeunes filles déplacées âgées de treize à dix-sept ans. Leurs visages portaient les marques de l’épuisement, mais leurs yeux brillaient encore d’une lueur de détermination et d’amour pour la vie. La séance fut différente par son approche et sa profondeur : elle ne visait pas seulement à apaiser la douleur, mais à reconstruire le sentiment de force et réparer une identité psychique abîmée par la peur et l’arrachement.
Dès les premiers instants, l’équipe a senti que l’atelier n’était pas une simple séance thérapeutique, mais une expérience humaine complète redéfinissant le soutien psychologique dans le contexte du déplacement. Les jeunes filles sont arrivées à pas hésitants, craignant de raconter, mais elles ont rapidement trouvé un espace chaleureux où elles pouvaient parler librement, sans peur du jugement ni du rejet. La séance était comme une fenêtre ouverte vers la lumière dans un long mur de silence ; à travers elle, a commencé un processus de transformation : de la douleur vers l’espoir, de la peur vers la prise de conscience de leur force intérieure.
La rencontre a débuté par l’activité du « Mur des émotions silencieuses », un exercice visant à libérer les sentiments de manière indirecte afin d’éviter la réactivation du traumatisme. La psychologue a expliqué l’importance de cet exercice, montrant que l’expression symbolique des émotions — par l’écriture ou le dessin — aide l’esprit à organiser et comprendre la douleur. Des feuilles et des crayons colorés ont été distribués, et chaque fille a écrit ou dessiné ce qu’elle ressentait sur le moment, puis a accroché sa feuille sur un grand panneau au centre de la salle. Les papiers ont commencé à s’accumuler : des mots, des couleurs, des symboles, des visages tristes, des cœurs brisés… Les phrases portaient le poids de l’expérience : « Je veux dormir sans peur », « Ma maison me manque », « Je veux rire comme avant ». Et à chaque nouvelle feuille, on percevait un souffle plus profond, comme si la douleur s’allégeait dans cette reconnaissance collective des émotions. Ce n’était pas simplement de l’encre sur du papier, mais un rituel de purification intérieure donnant aux jeunes filles un léger apaisement et un sentiment d’appartenance à un cercle qui comprend leur souffrance.
Ensuite, l’équipe est passée à l’activité centrale « Les héroïnes de mon histoire », l’une des techniques de thérapie narrative visant à transformer la vision de soi : de victime à survivante. L’objectif a été clairement expliqué : « Chacune de nous a vécu un moment où elle s’est sentie forte malgré tout, et aujourd’hui nous allons essayer de nous en souvenir. » Le silence a prévalu d’abord, puis les cœurs se sont ouverts et les histoires ont commencé à couler. L’une d’elles a raconté comment elle a sauvé son petit frère d’un scorpion qui s’approchait de lui alors qu’il dormait sous la tente. Une autre a évoqué son soutien à sa mère dans les jours les plus difficiles. Une troisième a parlé de sa persévérance à continuer ses études malgré l’absence d’internet et de livres. Chaque récit était un fil lumineux tissé dans une tapisserie collective de résilience. Et tandis qu’elles racontaient, les larmes coulaient — mais des larmes apaisées, non brisées. Les filles ont ressenti qu’elles n’étaient pas seules, et que leurs histoires n’étaient pas des fins tragiques, mais des débuts où s’affirme leur force intérieure.
Puis vint le moment de calme avec l’exercice du « Coffre de sécurité », un exercice de relaxation et de visualisation mentale visant à aider les jeunes filles à gérer leur anxiété. La psychologue leur a demandé de fermer les yeux et d’imaginer un endroit où elles se sentent en sécurité — peut-être une ancienne maison, un arbre au dessous duquel elles s’asseyaient souvent, ou même un lieu imaginaire — puis d’y placer, dans un joli coffre, toutes les pensées dérangeantes avant de le fermer. Le silence était profond, ponctué de respirations qui devenaient progressivement plus régulières. À la fin, l’une des jeunes filles a murmuré d’une voix tremblante : « Pour la première fois depuis longtemps, j’ai senti que je pouvais contrôler mes pensées, et non l’inverse. » Ses mots reflétaient le résultat précis de l’exercice : retrouver la sensation de contrôle après une longue perte de repères.
L’atelier s’est poursuivi avec l’activité « Lettre pour le futur », visant à semer l’espoir et encourager une vision positive de l’avenir. La facilitatrice a demandé à chaque fille d’écrire une lettre à elle-même dans un an, une lettre lui rappelant sa force et que ce qu’elle traverse aujourd’hui n’est pas éternel. Elles se sont penchées sur leurs feuilles dans un silence profond, écrivant des mots où se mêlaient les larmes et l’espoir : « Je continuerai à sourire quoi qu’il arrive », « Je deviendrai enseignante », « Je n’oublierai pas, mais j’avancerai ». Ce moment fut comme une renaissance psychologique, où la douleur se transforma en promesse de continuer le chemin.
À la fin de cette activité, un espace de discussion libre a été ouvert. Les jeunes filles ont partagé leurs rêves : terminer leurs études, voyager pour apprendre, revoir un monde loin de la destruction. Une autre a insisté : « Nous avons le droit que la vie nous donne une vraie chance de joie et de réussite. » La facilitatrice les écoutait avec admiration, surprise par la profondeur de leur conscience et leur culture malgré les circonstances. Elles ont parlé avec une grande maturité de paix, de justice et de liberté ; comme si la souffrance avait sculpté en elles une nouvelle compréhension de la vie. Ce n’était pas de simples rêves en attente, mais une déclaration collective que rêver est en soi un acte de résistance — et que l’éducation, la vision et l’expression de soi sont des armes psychologiques contre le désespoir.
L’équipe a ensuite ajouté une courte activité intitulée « Après la guerre », un dialogue sincère sur ce que l’on ressent après la fin des combats. Les jeunes filles ont parlé à cœur ouvert : de la perte, de la nostalgie, de maisons détruites, d’êtres chers absents, et de la peur qui ne les a toujours pas quittées. L’une d’elles a dit d’une voix brisée : « La fin de la guerre ne m’a pas rendu mon père, mais elle m’a rendu la capacité de rêver. » Une autre a ajouté : « Peut-être que nous avons tout perdu, mais nous sommes toujours là… à rêver et à raconter. » C’étaient des moments profondément touchants, une véritable naissance de l’espoir au cœur des ruines et une incarnation de la transformation de la douleur en résilience.
En clôture de la séance, les filles se sont rassemblées en cercle, ont posé leurs mains ensemble et ont crié d’une seule voix : « Nous parlons pour devenir plus fortes ». Cet appel simple résonnait comme un pacte collectif avec la vie. Leurs visages paraissaient plus lumineux, leurs sourires plus sincères, et leurs pas plus légers qu’à leur arrivée. Cet atelier leur a redonné un sentiment d’elles-mêmes, leur a offert les premières clés d’un équilibre émotionnel et leur a rappelé que la force n’est pas dans l’oubli de la douleur, mais dans la capacité à la transformer en une histoire de survie.
Cette expérience a prouvé que le soutien psychologique n’est pas un luxe, mais une nécessité humaine. Grâce aux mots, à l’imagination et au partage, les jeunes filles ont pu commencer un chemin de guérison intérieure. Elles ont quitté la séance en sachant que la douleur ne disparaît pas, mais qu’elle peut être racontée… et lorsqu’elle est racontée, elle devient un remède.
Photos et vidéos ICI
(Voir aussi les chroniques et articles postés par Brigitte Challande du Collectif Gaza Urgence déplacé.e.s quotidiennes sur le site d’ISM France et du Poing, article hebdomadaire sur le site d’Altermidi, et sur l’Instagram du comité Palestine des étudiants de Montpellier..)







